«Ceux qui défendent le plus le français dans les arènes internationales, ce sont les Québécois et les Africains», dit le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf.
Le Québec champion de la Francophonie? Telle est bien l’image que cultive soigneusement le gouvernement québécois dans les pays francophones et les organisations internationales. Au moment où s’ouvre le premier Forum mondial de la langue française, rares sont les militants de la Francophonie, parmi le millier de francophones qui débarqueront lundi à Québec en provenance de l’Afrique, de l’Europe et de l’Asie, qui savent que, même au Québec, il arrive au français de battre de l’aile.
Le premier surpris de ce constat semble d’ailleurs être le secrétaire général de la Francophonie lui-même, Abdou Diouf, qui, à quelques jours de son arrivée chez nous, semblait ne pas avoir vraiment eu vent de ces messages inquiétants qui se multiplient pourtant depuis quelques années : crise du français à Montréal, vent d’anglophonie au Festival d’été de Québec, progression de l’anglais dans l’affichage et au travail. Sans oublier ces dirigeants d’une société publique qui ne parlent pas un traître mot de français.
Évidemment, ce n’est pas le rôle du secrétaire général de l’OIF de se mêler de nos débats linguistiques. Cela n’empêche pas Abdou Diouf de dire que la Francophonie a plus que jamais besoin du Québec. « Ces prédictions, j’espère bien qu’elles ne se réaliseront pas, car nous, nous avons besoin du Québec, dit-il. Partout où on me dit que la Francophonie perd du terrain, je suis inquiet. Mais, ce que je constate me permet de dire que ce n’est pas irréversible. Le pire n’est jamais sûr. Moi, j’exprime une profession de foi. Si tous les pays de la Francophonie étaient aussi résistants, aussi créatifs, aussi innovants [que le Québec] en ce qui concerne le français, je serais heureux parce que vous faites quand même des choses extraordinaires. »
À l’aube de ce premier grand forum mondial qui se répétera dorénavant tous les quatre ans, Abdou Diouf a accepté de confier au Devoir ses espoirs, mais aussi quelques-unes de ses angoisses concernant l’avenir du français dans le monde. Pour l’ancien président sénégalais, cette rencontre regroupant des artistes, des intellectuels et des gens d’affaires représente le couronnement de plusieurs années d’efforts afin de faire de la défense et de la promotion du français une priorité de l’OIF.
Priorité au français
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’idée ne s’est pas imposée d’elle-même. « Au départ, le postulat de la Francophonie supposait que la langue française était notre socle et que cela créait une connivence et une complicité qui nous permettaient de coopérer dans d’autres domaines, dit Abdou Diouf. Quand je suis arrivé, en 2003, j’avais déjà dans l’idée que nous devions aussi jouer notre rôle dans la promotion de la langue française et qu’on ne pouvait pas simplement la considérer comme un acquis. Mais, ce n’était pas évident pour tout le monde. »
Abdou Diouf se souvient d’une discussion de plusieurs heures au sommet de Ouagadougou, en 2004, où certaines délégations soutenaient que tel n’était pas le rôle de l’OIF. Et il ne s’agissait pas de pays du Sud, dit-il. « Finalement, tout le monde a admis que, si on ne le faisait pas, on sciait la branche sur laquelle on était assis. Aujourd’hui, de toutes les missions que nous menons, c’est celle qui concerne la langue française qui mobilise le plus de fonds. »
Ensuite, dit-il, il a fallu constater que de nombreux pays membres de la Francophonie ne s’exprimaient pas en français dans les organisations internationales. Pour cela, l’OIF a élaboré un vade-mecum résumant les obligations des membres de l’organisation. Abdou Diouf réprime difficilement sa colère lorsqu’on lui dit que des francophones s’expriment en anglais alors qu’ils pourraient facilement le faire en français ou que la traduction est disponible. Le résultat, c’est la plupart du temps « un appauvrissement du message » puisque cet anglais est le plus souvent médiocre, constate le secrétaire général de l’OIF.
Abdou Diouf ne semblait pas savoir que même le Québec ne respectait pas toujours ces obligations puisqu’il est arrivé au premier ministre Jean Charest de s’exprimer en anglais dans des rencontres internationales où il y avait pourtant de la traduction simultanée.
Une nouvelle étape
Selon Abdou Diouf, la tenue de ce premier Forum mondial devrait représenter « une nouvelle étape » afin que « les forces vives de la société s’approprient ce combat ». L’initiative s’inspire des Congrès internationaux de la langue espagnole, qui se tiennent tous les trois ans. Ce premier forum se tient à un moment où le français est dans une situation paradoxale, dit le secrétaire général.
« Le français est une langue dont le nombre de locuteurs augmente et qui est très demandée dans le monde entier. Je parle notamment de l’Afrique anglophone, de la Chine, des pays du Golfe. Si tout se passe normalement, à l’horizon de 2050, il devrait y avoir plus de 700 millions de francophones, dont 80 % en Afrique. Cela suppose que l’Afrique ait réalisé sa scolarisation universelle et que sa démographie demeure aussi vivante qu’aujourd’hui. »
Malheureusement, constate Abdou Diouf, les pays francophones et la Francophonie manquent cruellement de moyens pour répondre à cette demande, notamment pour la formation des enseignants.
La trahison des clercs
L’autre point faible, dit-il, c’est la visibilité du français dans les organisations internationales. « On a l’impression que de plus en plus les gens considèrent que l’anglais est la seule langue de communication internationale, à l’ONU, dans l’Union européenne et même aux Jeux olympiques. » Abdou Diouf le reconnaît, les résultats de ce combat sont souvent décevants.
Serait-il perdu d’avance ? « Je me rends compte que c’est très dur et parfois décevant. Ne me demandez pas une obligation de résultats. Mais vous avez le devoir de me demander une obligation de moyens. J’agirai, je mobiliserai, je crierai, je dénoncerai, je plaiderai. Mais je ne peux pas être un gendarme derrière chaque personne. »
La France, en particulier, est loin de faire tout ce qui est en son pouvoir, répète inlassablement Abdou Diouf. « Nous sommes quand même parvenus à obtenir que les autorités françaises s’intéressent réellement à la Francophonie. Mais, en gros, les universitaires et les intellectuels s’en moquent. C’est la nouvelle trahison des clercs. Et les hommes d’affaires s’en moquent encore plus. Quand vous leur en parlez, vous les ennuyez. On a l’impression que seule la mondialisation les intéresse. »
Abdou Diouf avait proposé que chaque 20 mars, Journée internationale de la Francophonie, toutes les mairies de France arborent le drapeau de l’OIF. Sa proposition est restée lettre morte. Le secrétaire général est tout de même optimiste en ce qui concerne le nouveau président. Avant son élection, François Hollande est venu le voir à trois reprises pour discuter de la Francophonie. « Je pense qu’au niveau de son gouvernement, il fera passer le souffle. »
Pour Abdou Diouf, l’honnête homme du XXIe siècle devrait au moins parler sa langue nationale et deux grandes langues de communication internationales. « Ceux qui défendent le plus le français dans les arènes internationales, ce sont les Québécois et les Africains, dit-il. Nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux. La plupart du temps, quand je reçois des lettres de protestation parce que dans une réunion on a parlé l’anglais au lieu du français, ce sont des chefs d’État africains qui m’alertent. Ce ne sont pas des pays du Nord. »
Ce nouveau forum mondial de la langue française représentera-t-il un nouveau départ pour une organisation qui sinon pourrait s’essouffler ? « Je crois que ça deviendra un événement majeur du combat francophone, dit le secrétaire général, qui quittera son poste en 2014. Il faut que ce qui va s’allumer à Québec ne s’éteigne jamais. Mais pour cela, il faut l’entretenir. »
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