Jeanne Corriveau - Les crucifix ont-ils leur place dans les salles de conseils municipaux? À l'instar du crucifix de l'Assemblée nationale, celui qui orne le mur de la salle du conseil municipal de Montréal depuis un demi-siècle est là pour de bon, a réitéré l'administration du maire Gérald Tremblay. Et le conseiller Marvin Rotrand, qui avait tenté en 2002 de faire disparaître ce symbole religieux, croit qu'il n'est pas approprié de relancer le débat à Montréal.
La commission Bouchard-Taylor a beau souhaiter que le crucifix de l'Assemblée nationale soit retiré afin «que le lieu même où délibèrent et légifèrent les élus ne soit pas identifié à une religion particulière», le principe ne trouve pas d'écho à Montréal.
«C'est un signe religieux qui fait partie de nos valeurs, comme d'autres signes religieux qui sont également présents à l'hôtel de ville. Alors, je ne pense pas qu'on veuille faire un débat de cette nature, expliquait Gérald Tremblay la semaine dernière. Tout le monde reconnaît qu'on est une société laïque, mais je pense que le crucifix à l'hôtel de ville a sa place et dans cette optique, on n'en fera pas un débat.» Malgré les recommandations émises par Charles Taylor et Gérard Bouchard jeudi, l'opinion du maire n'a pas changé, a indiqué hier son attachée de presse, Renée Sauriol.
Au cours des dernières décennies, plusieurs tentatives avaient été faites pour que disparaissent les crucifix des salles du conseil municipal et du comité exécutif de l'hôtel de ville de Montréal. En 1987, l'administration de l'ex-maire Jean Doré avait aboli la prière récitée en début d'assemblée afin de la remplacer par un moment de recueillement. Il avait alors été convenu d'enlever les crucifix à l'occasion de travaux de réfection, mais ils sont finalement restés en place et la question a été reléguée aux oubliettes.
En 2002, le conseiller de Snowdon, Marvin Rotrand, favorable à la laïcisation de l'hôtel de ville, avait tenté de relancer le débat à l'occasion d'une séance publique de la Commission de la présidence, mais l'item avait été retiré de l'ordre du jour compte tenu de la controverse. «Un édifice de l'État, qu'il s'agisse d'un parlement, d'une cour de justice ou d'une salle de conseil municipal, ne devrait pas comporter de symboles qui donnent l'impression qu'il y a une foi officielle qui a plus de valeur que les autres, surtout dans une ville très multiculturelle et multiraciale comme Montréal», explique M. Rotrand qui insiste pour dire qu'à son avis, le retrait des crucifix ne devrait pas être interprété comme un manque de respect à l'égard des croyants catholiques.
Le conseiller relate qu'à la suite de ses déclarations aux médias, en 2002, il avait été inondé de lettres, essentiellement défavorables, de citoyens provenant des régions. Marvin Rotrand est d'ailleurs convaincu que les Montréalais sont généralement en accord avec sa position et que la contestation vient principalement des régions.
Même si l'opinion de MM. Taylor et Bouchard le conforte dans sa position, Marvin Rotrand n'entend pas ramener la question sur le tapis compte tenu de l'empressement des élus de l'Assemblée nationale à confirmer le maintien du crucifix. «Même si c'est à Montréal qu'on pourrait retrouver le plus grand consensus pour retirer le crucifix de la salle du conseil, c'est clair que s'il n'y a pas de volonté à Québec de le faire, Montréal ne va pas le faire seule», dit-il.
Les élus de Vision Montréal ne souhaitent d'ailleurs pas que cette question fasse l'objet d'un débat, a-t-on indiqué hier au bureau de l'opposition.
Dans l'arrondissement de Verdun, le crucifix de la salle du conseil demeurera aussi en place. Il y a trois semaines, l'enquêteur de la Commission des droits de la personne chargé de traiter une plainte d'un citoyen concernant la prière et la présence d'un crucifix dans l'enceinte des débats a d'ailleurs informé le plaignant qu'il recommandait le maintien du crucifix. Dans sa lettre datée du 1er mai, il évoque un avis produit en 1999 par la commission qui stipulait que «la présence dans une institution publique d'un symbole religieux, tel qu'un crucifix ou une croix, ne soulève pas de problème particulier du point de vue de la Charte, à moins que ledit symbole n'acquière un caractère coercitif en raison du contexte dans lequel il s'inscrit».
Par ailleurs, les élus de Verdun n'ont pas hésité, en septembre dernier, à abolir la prière à la suite du jugement rendu, en 2006, par le Tribunal des droits de la personne ordonnant à la Ville de Laval de mettre fin à cette coutume. Le maire de l'arrondissement, Claude Trudel, affirme toutefois qu'il est hors de question de retirer le crucifix, non seulement parce qu'il représente «un symbole fondamental de notre patrimoine culturel», mais également parce qu'il est... incrusté dans le mur, fait-il remarquer.
Tout comme la prière continue d'être récitée dans plusieurs assemblées de conseils municipaux à travers le Québec, des crucifix subsistent aussi un peu partout. La salle du conseil de l'hôtel de ville de Québec compte un crucifix. Il y a quelques années, des citoyens avaient tenté de le faire retirer, mais les élus s'y étaient refusés, relate Alain Thériault, du service des communication de la Ville.
À Trois-Rivières, le maire Yves Lévesque récite une courte prière en début d'assemblée et cette tradition est là pour rester, précise Yvan Toutan, porte-parole de la Ville. «On considère que si l'Assemblée nationale se permet de garder le crucifix, qui, à notre avis, est l'un des symboles les plus puissants de la religion catholique avec la Bible, on ne voit pas pourquoi nous serions dans l'obligation de ne pas faire la prière, qui fait partie de la tradition à la Ville depuis plus de 300 ans», soutient M. Toutan. Une plainte a toutefois été logée à la Commission des droits de la personne au sujet de la prière, mais l'organisme ne s'est pas encore prononcé sur la question. Par ailleurs, la salle du conseil n'a pas de crucifix.
À Laval, où la prière a été abolie en octobre 2006, la salle du conseil ne comporte pas de crucifix, pas plus qu'à Longueuil. Lorsque le nouvel hôtel de ville de la Rive-Sud a été construit en 2006, aucune demande concernant l'installation d'un crucifix n'a été soumise à la Ville, signale François Laramée, directeur des communications à la Ville de Longueuil. Il n'a pu préciser si l'ancien hôtel de ville en comptait un.
À Saguenay, le salle du conseil ne compte pas de crucifix, mais plutôt une statuette du Sacré-Coeur. Quant à la prière, jugée récemment discriminatoire à l'égard de la liberté de conscience et de religion par la Commission des droits de la personne, elle continuera d'être récitée, foi de Jean Tremblay, maire de Saguenay.
Si la commission Bouchard-Taylor estime que la prière n'a pas sa place aux assemblées de conseils municipaux, pas plus que le crucifix à l'Assemblée nationale, elle juge par ailleurs que la croix du mont Royal a davantage une valeur patrimoniale qu'une fonction de régulation. La croix du mont Royal, ont-ils écrit dans leur rapport, «ne signifie pas que la Ville de Montréal s'identifie au catholicisme» et dans ce sens, il s'agit d'un «symbole qui témoigne d'un épisode de notre passé».
Les villes refusent de s'agenouiller
Montréal garde son crucifix, Trois-Rivières, sa prière
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