L’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État (16 juin 2019), visant les personnes en position d’autorité, a provoqué la réaction indignée, voire outrée, de l’ensemble de la classe politique et des médias du Canada anglais. Encore une fois, l’adoption d’une loi qui manifeste le caractère distinct du Québec, a été perçue comme un acte de sédition. Après le docudrame The Story of Us (film de propagande, de fiction historique, fédéraliste et francophobe), on nous présente maintenant Au coeur des ténèbres de la Belle Province. Au lendemain même de l’adoption de la loi, les acteurs politiques du Canada anglais étaient prêts à faire leur entrée sur scène : déclarations outrées, formules convenues, ton condescendant, le tout saupoudré de quelques calomnies (« loi haineuse », « raciste »), le grand jeu, quoi !
Contrairement au consensus des anglophones contre la loi 101, la question de l’interdiction de signes religieux chez les agents de l’État, ne fait pas consensus au Canada anglais. D’où l’importance de la mise en scène politique, où, avec une mauvaise foi consommée, les acteurs politiques du « ROC », ont réduit, de façon absurde, la Loi sur la laïcité à de la discrimination contre les minorités. On dresse le tableau d’un Québec plongé dans les « ténèbres du nationalisme » ; encore une fois ! L’hégémonie de la culture américaine, et donc indirectement des nations anglophones, leur fait jauger les valeurs des autres nations occidentales, selon le prisme de leur propre code culturel, implicitement accepté comme l’aboutissement ultime du monde occidental. Dans ce contexte, que le peuple québécois ose prétendre définir lui-même son modèle d’intégration sociale constitue une pure provocation aux yeux des « élites » du Canada anglais.
La conception française de la laïcité de l’État ne correspond pas à celle du « secular state », telle que la conçoivent les pays anglo-saxons. La laïcité de l’État en France est née avec la Révolution de 1789. Elle en conserve dans son application, une forme radicale, qui impose une séparation complète de l’État et de la religion. La neutralité de l’État lui impose de ne reconnaître aucune religion, afin de respecter de manière égale toutes les croyances, incluant l’absence de croyances religieuses.
Histoire tumultueuse
La conception anglo-saxonne d’un État séculier (secular state), trouve sa source dans l’histoire tumultueuse de la réforme protestante des pays anglo-saxons. La conception d’un État séculier est le fruit d’un compromis pragmatique, typiquement anglo-saxon, qui établit que l’institution étatique est un arbitre neutre, qui reconnaît toutes les religions, sans en privilégier aucune (bien que, historiquement, cela excluait le culte catholique). Cette conception d’une forme d’État neutre est très étroite, car elle ne s’applique qu’aux institutions et non aux représentants de l’État et de ses agents. De fait, la liberté de religion des individus au Canada, comme aux États-Unis, prime sur la souveraineté du peuple. Dans le contexte canadien où le multiculturalisme est imposé comme un dogme, la vision traditionnelle de la liberté de religion réduit le rôle de l’État à celui d’un arbitre neutre, mais largement impotent face aux revendications à caractère religieux.
Ce rappel historique est important afin de ne pas tomber dans le piège de la culpabilisation, même si les tribunaux devaient finalement mettre la hache dans la loi 21 sur la laïcité. Or, il n’est pas nécessaire d’être constitutionnaliste pour savoir que la Charte canadienne des droits et libertés constitue un terrain particulièrement hostile à la conception de la laïcité, telle que défendue par la Loi sur la laïcité de l’État. S’il est possible que la clause dérogatoire prévue à l’article 32 de la Charte passe le test des tribunaux, il faut dire cependant que rien n’est moins sûr. Même en insérant une clause dérogatoire dans la loi sur la laïcité, celle-ci demeure vulnérable face aux recours devant les tribunaux pour en contester la validité. Comme la question de la laïcité est devenue un enjeu de société fondamental pour la majorité des citoyens québécois, le problème de la légitimité de la loi sur la laïcité demeurera.
La question de la légitimité relève de l’interprétation des tribunaux, mais sa source trouve son origine dans la volonté du peuple souverain, et donc est de la compétence de l’Assemblée nationale du Québec. Comme le rapatriement de la constitution en 1982 s’est fait sans même l’accord des représentants du peuple québécois, les décisions des tribunaux relativement à la loi 21, sur la question de la laïcité de l’État québécois, déborderont la sphère juridique. La question de la laïcité sera un enjeu politique, ou ne sera pas.
Pour la première fois depuis le référendum de 1995, le peuple québécois a posé un geste important d’affirmation nationale en choisissant de définir lui-même la nature de l’État du Québec. Le gouvernement de la CAQ, dirigé par François Legault, a fait acte de courage et de vision. Par-delà les clivages politiques de gauche et de droite, les citoyennes et citoyens du Québec, qui s’identifient d’abord comme membres de la nation québécoise, doivent soutenir leur gouvernement. Car ce n’est que le début d’une âpre lutte pour l’établissement d’un État laïque en Amérique du Nord. Les tenants du multiculturalisme canadien veulent réduire au rang de minorité ethnique la nation québécoise. La loi sur la laïcité, de par sa nature même, constitue un rempart contre le multiculturalisme, et comme telle, sera l’objet de toutes les attaques juridiques, idéologiques et politiques. En fin de compte, la laïcité de l’État du Québec ne sera effective et durable que si, par-delà les aléas des contestations judiciaires, une réponse politique est trouvée. Sinon, la laïcité n’aura été qu’un mirage, précédant la dissolution de la nation québécoise dans le Canada « postnational ».