Photo : Jacques Grenier - Le Devoir
Les efforts combinés du Québec, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique pourraient permettre au Canada de réduire ses émissions de 8,4 % en 2020 par rapport à 1990
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Les efforts conjugués du Québec, de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, qui ont pris les devants dans la lutte contre les changements climatiques, pourraient permettre aux sept autres provinces, dont l'Alberta, de profiter de la situation pour augmenter leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).
Les réductions annoncées par les trois provinces dégageraient une marge de manoeuvre pour les sept autres, qui pourraient augmenter leurs émissions de 11,5 % d'ici 2020 (par rapport au niveau de 1990) sans compromettre l'objectif pancanadien de -3 % prôné par le gouvernement Harper.
C'est ce que révèle une analyse des réductions planifiées par ces trois provinces, une analyse que Le Devoir a fait valider la semaine dernière par l'Institut Pembina d'Ottawa, qui la confirme.
Par rapport à leurs niveaux d'émissions de 1990, les trois provinces se sont publiquement engagées à dépasser les objectifs fédéraux: le Québec cible pour 2020 des réductions de -20 %, l'Ontario vise un objectif de -15 % et la Colombie-Britannique, de -14 %.
Le Devoir a voulu examiner trois scénarios.
Dans un premier temps, qu'arrivera-t-il si les sept autres provinces se contentent de ramener leurs émissions au niveau de 1990 pendant que les trois autres réalisent leurs objectifs plus ambitieux?
Il en résulterait que le Canada réduirait globalement ses émissions de 8,4 % en 2020, soit presque trois fois plus que ce que projette depuis trois ans le gouvernement Harper, qui vise une réduction globale de 3 % sous le niveau de 1990 (ou 20 % sous le niveau de 2006).
Deuxième scénario: quelle serait la performance du Canada si le gouvernement Harper maintenait globalement son objectif de -3 % sous la barre de 1990 en laissant les trois grandes provinces mener à terme leur plan de réductions en laissant les sept autres profiter de la situation? Matthew Bramley, de l'Institut Pembina, interroge son ordinateur qui répond avec un savant tableau que les sept provinces sans plan de réductions pourraient alors augmenter leurs émissions de 11,5 % par rapport au niveau de 1990, Alberta comprise, sans que cela compromette l'objectif fédéral de -3 %.
On imagine dès lors les réactions dans les trois provinces dont l'effort accru servirait à justifier des augmentations d'émissions chez leurs voisines.
Un troisième scénario s'impose dès lors: si, au lieu de laisser les sept provinces actuellement sans plan de réductions profiter de l'effort des trois plus engagées, Ottawa exigeait du groupe des sept une réduction moyenne de 3 % sous la barre de 1990, soit son objectif actuel? Dans ce scénario, le Canada obtiendrait en 2020 une réduction globale de ses émissions de 9,87 % par rapport à 1990. C'est l'équivalent, en somme — et sans effort supplémentaire du fédéral —, de la moitié de l'objectif de l'Europe, qui est de -20 % sous le niveau de 1990.
Une répartition difficile
Depuis quelques jours, le débat politique sur les enjeux de Copenhague glisse progressivement vers le problème, jusqu'ici occulté, du partage de l'effort au Canada.
Il y a ceux, comme le premier ministre de l'Alberta, qui dénoncent les objectifs trop ambitieux à son goût du Québec parce qu'ils augmenteront le niveau d'exigence des autres pays envers sa province et l'exploitation des sables bitumineux.
Ed Stelmach est allé jusqu'à dire, selon le Globe & Mail, que les réductions planifiées par le Québec sont un véritable «mal de tête» pour le Canada puisqu'elles campent sa province dans le rôle du vilain.
Le premier ministre albertain en a rajouté en disant qu'en raison de l'abondance de son hydro-électricité, le Québec «n'aura rien à faire» pour réaliser son plan, ou presque.
Les chiffres compilés par Matthew Bramley montrent cependant le contraire.
Dans l'étude réalisée récemment par l'Institut Pembina et la Fondation Suzuki sur la manière d'atteindre au Canada une réduction de -25 %, on s'aperçoit que, pour atteindre sa cible globale de -3 %, le gouvernement Harper devra impérativement et progressivement augmenter le prix de la tonne de carbone à 100 $ la tonne d'ici 2020 sous peine de rater son propre objectif. Quand on y regarde de près, à ce prix, c'est en Alberta, souligne le chercheur du Pembina, que les réductions de GES sont les plus importantes. À 100 $ la tonne, l'Alberta peut réduire ses émissions de 83 millions de tonnes (Mt ou mégatonne) par rapport à une réduction de 26 Mt au Québec.
«Cela indique, explique le scientifique, que c'est en Alberta que se retrouve le bassin de gains majeurs au meilleur prix, et non au Québec, où chaque gain coûte plus cher parce que les options sont plus limitées.»
Le premier ministre ontarien, Dalton McGuinty, est lui aussi très préoccupé par la possibilité que d'autres provinces moins conscientisées en matière de changements climatiques profitent des efforts conjugués de sa province, du Québec et de la Colombie-Britannique.
Il a en effet dit craindre que le plan fédéral constitue une «discrimination» envers les efforts de l'Ontario, une possibilité que l'analyse du Devoir et de l'Institut Pembina confirme.
Il entend remodeler son plan de réductions afin que les investissements consentis à ce chapitre restent dans sa province.
«Nous n'allons pas développer cette valeur économique ajoutée pour qu'on nous la confisque et qu'elle profite à d'autres parties du pays», a-t-il déclaré.
Selon Matthew Bramley, à la lumière de ces chiffres qu'il qualifie «d'étonnants», le gouvernement fédéral n'aura pas d'autres choix que de s'atteler rapidement à la tâche de fixer de nouveaux objectifs de réduction au Canada avant la conférence de Copenhague s'il ne veut pas officialiser le piratage des réductions des provinces les plus déterminées, par les autres.
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