Le Québec amputé

Attendrons-nous, comme l’alouette, de nous faire complètement plumer avant de réagir ?

Tribune libre 2010


En complément à l’article de Mathieu Jacques, La frontière oubliée du Québec (Le Devoir, 24 août 2010)
Trouvez l’erreur : les îles du Pacifique qui longent la côte de la Colombie-Britannique (île de la reine Charlotte, île de Vancouver) appartiennent à… la Colombie-Britannique. L’île Hershel, qui longe la courte côte nord du Yukon, appartient au… Yukon. Les îles des Territoires du Nord-Ouest qui longent ses côtes appartiennent aux… Territoires du Nord-Ouest. Les îles de la baie d’Hudson à proximité du Nunavut continental (Ellesmere, Devon, etc.) appartiennent au… Nunavut. Les innombrables îles qui longent la côte du Labrador et de Terre-Neuve appartiennent toutes à la province de… Terre-Neuve-et-Labrador. Le chapelet d’îles qui longent le Québec de la baie James à la Baie d’Ungava en passant par la Baie d’Hudson (îles Ottawa, Sleepers, Baker's Dozen Belchers, North Belchers, King George, Mansfield, Charles et Button) appartiennent… au Nunavut ! Le premier ministre du Québec de l’époque, Lomer Gouin, avait exigé, déjà en 1909, la cession de ces îles avec l’Ungava, actuel Nunavik. Chose certaine, à la création du Nunavut en 1999, quelqu’un, à Ottawa, a veillé à ce que cette amputation soit bien maintenue en défaveur du Québec.
(Voir L’Atlas du Canada :
http://atlas.nrcan.gc.ca/auth/francais/maps/reference/provincesterritories/nunavut/map.pdf).
Seule l’Ontario est dans une situation analogue, mais dans son cas cela ne touche que deux îles.
Au même moment, quelqu’un, à Québec, dormait au gaz. C’était Lucien Bouchard. Je me souviens que les projecteurs étaient alors tournés sur le virage à droite sur feu rouge et… la couleur de la margarine. Ces deux enjeux cruciaux étaient bien plus importants que des questions de territoires, de zones de pêche, de ressources naturelles, n’est-ce pas ? Son successeur, Jean Charest a eu, depuis, neuf ans pour corriger cet état de fait. Mais c’est trop demander d’un homme qui travaille d’abord et avant tout en coulisses pour le Canada.
Cela illustre que d’un point de vue territorial, le Canada a patiemment veillé à encercler, à enclaver le Québec en son sein. La perte définitive du Labrador, en 1949, n’en était que la suite logique. Ici encore, des ressources inestimables sont en jeu. Frontières maritimes incluses, il s’agit d’un territoire plus grand que le Labrador ! Attendrons-nous, comme l’alouette, de nous faire complètement plumer avant de réagir ?
Jean-François Vallée

Saint-Philippe-de-Néri



http://www.ledevoir.com/politique/quebec/294845/grand-nord-la-frontiere-oubliee-du-quebec
Grand Nord - La frontière oubliée du Québec
Mathieu Jacques - Étudiant à la maîtrise, Faculté de droit, Université McGill  24 août 2010  Québec
Photo : Agence Reuters Andy Clark
Aucune des îles de la côte ouest, du haut de la pointe de l’Ungava jusqu’au fond de la baie James, n’appartient au Québec: elles font toutes partie intégrante du territoire du Nunavut.
On parle beaucoup ces temps-ci du Grand Nord canadien, mais le Grand Nord québécois semble quelque peu oublié. Pourtant, il s'agit d'une région problématique du Québec où les frontières sont très mal définies.
Si l'on regarde actuellement une carte du Québec, on peut rapidement remarquer qu'aucune des îles de la côte ouest, du haut de la pointe de l'Ungava jusqu'au fond de la baie James, n'appartient au Québec: elles font toutes partie intégrante du territoire du Nunavut. C'est un fait étonnant considérant que ces îles sont une demande du Québec.
En effet, le 27 avril 1909, l'Assemblée nationale avait adopté une résolution demandant à l'unanimité l'intégration de ces îles au territoire du Québec. Ces demandes furent rejetées en 1912 quand l'Ungava fut cédé au Québec. D'ailleurs, le premier ministre de l'époque, Lomer Gouin, est très explicite quant à son insatisfaction par rapport à la frontière septentrionale du Québec.
«Cette délimitation du territoire annexé, qui se trouve dans la loi fédérale, n'est pas la même qui est consignée dans la résolution de l'Assemblée législative du 27 avril 1909, soulignait-il. Cette résolution demandait que les îles et les groupes d'îles qui font géographiquement partie de la région de l'Ungava nous fussent donnés. Ces îles et groupes d'îles étaient les îles Ottawa, Sleepers, Baker's Dozen Belchers, North Belchers, King George, Mansfield, Charles, toutes les îles de la baie d'Ungava et les îles Button, conformément à la description contenue dans la proclamation du 2 octobre 1895.
«Lorsque le projet de loi fédéral nous a été communiqué, nous avons attiré l'attention du gouvernement du Canada sur ce point et nous avons demandé qu'on nous accorde ces îles, soit en les désignant nommément, soit en faisant passer plus à l'ouest la ligne frontière occidentale de ce territoire. Ces îles forment géographiquement partie de l'Ungava et nous croyions, comme nous le croyons encore, qu'il est absolument nécessaire, si l'on veut assurer une bonne administration de la terre ferme, que les îles avoisinantes soient mises sous la juridiction de la province.»
Indifférence générale
Le fait est que lorsque le Nunavut fut constitué en 1999, personne à l'Assemblée nationale n'a même émis une demande à Ottawa à ce sujet. Pas un seul député n'a réclamé les îles manquantes. Il s'agit là d'un oubli terrible de notre histoire et des demandes du Québec. L'administration Bouchard aurait dû agir. Ottawa a pu transférer les îles du territoire du Nord-Ouest au Nunavut dans l'indifférence générale.
Nous aurions dû au moins soulever le débat en Chambre à l'époque et discuter de l'attribution du territoire en question. Ces îles couvrent un territoire important qui s'étire sur des milliers de kilomètres et qui aurait permis au Québec de bénéficier d'un immense territoire maritime. Du point de vue de la superficie, c'est supérieur au Labrador.
Désormais, à cause du silence de nos politiciens, le Québec est contraint de ne bénéficier que d'une frontière maritime extrêmement limitée sur son versant ouest et nord. Cet oubli est d'autant plus surprenant que la commission d'étude sur l'intégrité territoriale du Québec, à la fin des années 60, recommanda l'intégration des îles de la côte au territoire du Québec. Malheureusement, on ne donna pas suite à ces recommandations.
Il est intéressant de s'arrêter aux conséquences hypothétiques de la frontière actuelle sur un Québec souverain. L'État du Québec serait enclavé par le Nunavut et serait donc un acteur effacé dans le développement du passage du nord-ouest.
De plus, il hériterait d'une frontière similaire à l'actuelle frontière gréco-turque, c'est-à-dire une côte amputée par la présence d'îles d'un autre État. Dans le cas de la Grèce et de la Turquie, il y a presque eu affrontement militaire autour de cette question, car ce genre de frontière apporte inévitablement des disputes par rapport au partage des ressources naturelles présentes dans les eaux.
Il est navrant que cette problématique soit ignorée, car elle est lourde de conséquences pour le développement futur du Québec.
***
Mathieu Jacques - Étudiant à la maîtrise, Faculté de droit, Université McGill

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Jean-François Vallée91 articles

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Jean-François Vallée est professeur de littérature québécoise et française au niveau collégial depuis 1995. Son ambition de pédagogue consiste à rendre les étudiants non seulement informés mais objectivement fiers de la culture dans laquelle ils vivent. Il souhaite aussi contribuer à les libérer de la relation aliénante d'amour-haine envers leur propre culture dont ils ont hérité de leurs ancêtres Canadiens français. Il a écrit dans le journal Le Québécois, est porte-parole du Mouvement Quiébec français dans le Bas-Saint-Laurent et milite organise, avec la Société d'action nationale de Rivière-du-Loup, les activités de la Journée nationale des patriotes et du Jour du drapeau.





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1 commentaire

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    2 septembre 2010

    Vous ais-je parlé de la nécessaire doctrine d'État. Je me permet de reproduire ce texte d'une très grande pertinence pour un thème fondamentale: Le contrôle effectif de notre territoire (JCPomerleau):
    ............................................................
    "Comme leurs cousins chinois, nos Inuits du Nunavik ont une intelligence politique et une vision stratégique à mon avis considérablement supérieures à celles de la plupart des hommes et des femmes politiques du Canada et du Québec."
    .........
    Les Cahiers de lectures de L’Action nationale, volume III, numéro 3, Été 2009
    AMBITION INUITE,
    ANESTHÉSIE QUÉBÉCOISE
    André Binette
    ÉRIC CANOBBIO
    GÉOPOLITIQUE D'UNE AMBITION INUITE: LE QUÉBEC FACE A SON DESTIN NORDIQUE
    Sillery, Septentrion, 2009, 365 pages
    Le 28 avril 2009, l'Inuit Circumpolar Council (ICC), organisme représentant les quelque 135000-150000 Inuit répartis en quatre États souverains (la Russie, les États-Unis, le Canada et le Danemark), a adopté en Norvège une déclaration de souveraineté sur l'ensemble de l'Arctique, en guise de prélude à l'indépendance annoncée du Groenland. La souveraineté est considérée dans ce document comme un concept évolutif sans définition établie (article 2.1). Les auteurs s'y réfèrent afin d'affirmer leur identité millénaire, leur sentiment d'appartenance, et leur désir de signifier aux États de cette région de plus en plus névralgique que l'on ne pourra ignorer ni leur présence ni leurs droits dans la prise de décision relative à leurs territoires historiques.
    Lors de l'automne 2008, la population groenlandaise (55 000 personnes), très majoritairement inuite (en réalité fortement métissée), approuvait par référendum un traité avec la puissance coloniale danoise qui prévoyait un partage des revenus des ressources naturelles, et surtout l'accession du Groenland à l'indépendance au moment choisi par ce dernier, l'une des principales conséquences étant la fin de l'aide financière très importante de Copenhague. Le Groenland avait obtenu l'autonomie politique interne, ou Home Rule, en 1979, ce qui avait inspiré les Inuits canadiens et québécois à rechercher un statut comparable. Les Inuits de l'Arctique canadien obtinrent ce statut politique nouveau en 1999 avec la création du Nunavut. Le Québec et le Canada s'apprêtent conjointement à faire de même au Nunavik avec le récent Accord sur les revendications territoriales du Nunavik.
    L'erreur que fait Éric Canobbio dans son très remarquable ouvrage, erreur que reprend généralement la classe politique québécoise, est de laisser croire que les choses trouveront bientôt leur aboutissement et qu'elles en resteront là, dans le cadre de la stabilité présumée du Canada. Si l'autonomie du Groenland a eu, après quelques décennies de décalage, un tel effet d'entraînement au Canada, qu'en sera-t-il de son indépendance? Un Groenland indépendant enrichi par le développement de ses ressources naturelles ne risque-t-il pas de renforcer le rêve persistant d'une grande patrie inuite? Utopie? Dans l'exposé magistral de Canobbio d'une fascinante clarté, c'est plutôt la réalité politique construite par les Inuits depuis un demi-siècle qui pouvait, en 1950, paraître utopique. Dans un XXIe siècle où la souveraineté canadienne dans l'Arctique est contestée par ses plus proches alliés, face à une Russie qui cherche à s'imposer, les Inuits peuvent trouver une occasion inespérée, comparable à celle ouverte par le débat constitutionnel canado-québécois, de faire avancer leurs propres projets. Qui sait si ces projets ne feront pas un jour l'affaire d'acteurs politiques plus puissants que le Canada, ou même de la communauté internationale, dans un Arctique transformé ?
    Comme leurs cousins chinois, nos Inuits du Nunavik ont une intelligence politique et une vision stratégique à mon avis considérablement supérieures à celles de la plupart des hommes et des femmes politiques du Canada et du Québec.
    L'objectif d'une partie de l'élite politique inuite est de démontrer, lorsque les circonstances internationales s'y prêteront, que le Canada et le Québec sont tous deux divisibles. L'autonomie régionale n'est pour elle qu'une étape historique, nécessaire, mais transitoire, dans cette direction. Lors de mon mandat à la coprésidence de la Commission du Nunavik, certains membres de cette élite ont eu la franchise, dans des échanges souvent empreints d'une inoubliable intensité, de le reconnaître. Lorsque j'ai entrepris ce mandat, le meilleur conseil que j'ai reçu était: «N'oublie jamais que ce sont des Chinois. » je me méprenais toutefois sur la portée de cette remarque. J'ai longtemps cru qu'elle ne signifiait que l'horreur asiatique de perdre la face devant des vérités dites trop brutalement. Il y a bien davantage. Comme leurs cousins chinois, nos Inuits du Nunavik ont une intelligence politique et une vision stratégique à mon avis considérablement supérieures à celles de la plupart des hommes et des femmes politiques du Canada et du Québec, qui n'y voient souvent que du feu et qui s'éparpillent en amabilités qui ne trompent personne Un intellectuel canadien, John Saul, conjoint d'une ancienne gouverneure générale, confiait récemment dans une conférence qu'à son avis, les leaders politiques autochtones avaient une culture politique plus profonde et plus subtile que celle de nos politiciens. C'est encore plus vrai chez les Inuits.
    À la fin de mon mandat, je leur ai proposé d'inviter le président de l'Assemblée nationale au Nunavik et d'approfondir leur relation avec lui. On m'a répondu qu'il ne valait pas la peine de faire son éducation.
    Tout commence par une différence fondamentale de perspective. Les Canadiens de souche britannique et française, souverainistes québécois ou patriotes canadiens, partagent en gros le même univers mental et sont généralement à mille lieues d'imaginer les autres conceptions qui ont cours sur ce qu'ils croient être leur territoire. Pour eux, le Canada, dont le Québec, fait partie de l'Extrême-Occident. Dans cet univers mental, l'histoire commence en Europe occidentale et se déplace vers l'ouest dans des bateaux transportant les explorateurs, les marchands, les pêcheurs, les missionnaires et les colons. Pour les autochtones, au contraire, dont les Inuit, nous sommes à l'est de l'Extrême-Orient. L'histoire commence en Asie du Nord il y a dix mille ans et se déplace vers l'est. Dans cette perspective, les premiers Québécois étaient des Asiatiques et sont demeurés les seuls sur les lieux pendant des millénaires. Dans cet univers mental, les descendants des colons européens sont toujours de nouveaux venus.
    Cette différence de perspective a des conséquences inattendues à notre époque. Ainsi, la montée en puissance de la Chine et le déclin relatif de l'Occident suscitent des réactions différenciées, souvent discrètes. Pour les Euro-Canadiens que nous sommes en majorité, cela est parfois une source d'inquiétude. Pour les Inuit, une source de dignité qui les conforte dans leurs aspirations politiques.
    Que fait le gouvernement québécois devant ce phénomène? Il a longtemps cru qu'il pouvait enfermer les aspirations du Nunavik à l'intérieur du régime administratif de la Convention de la Baie James et du Nord québécois. Les Inuits se sont plutôt servis de la Convention pour asseoir leur juridiction sur 500000 kilomètres carrés un tiers du territoire québécois, en choisissant, comme au Nunavut et au Groenland des institutions publiques, en principe non ethniques, que leur majorité démographique (environ 80% dans chacun de ces territoires) pouvait contrôler. La plus lourde erreur historique du Québec a été de rechercher, dans la convention et ses lois de mise en œuvre, l'extinction présumée des droits ancestraux des Incus, que les Québécois confondent massivement avec les Inuit, et qui fréquentaient eux-mêmes ce territoire en
    suivant le caribou depuis des millénaires. Cette erreur a causé l'une des plus exécrables injustices de l'histoire canado-québécoise, car les Incus (des Amérindiens que les Français appelaient les Montagnais) ont été dépossédés sans leur consentement et sans aucune compensation. Les Inuits ont ainsi gagné le gros lot, en profitant sans coup férir des retombées de la stratégie plus agressive des Cris, car ils n'ont jamais eu à prouver leur occupation historique d'un territoire aussi étendu devant un tribunal, ce qui est l'une des preuves les plus ardues, complexes et coûteuses dans l'état actuel du droit canadien. Et ils ont maintenant beau jeu de clamer, ce qu'ils font plus souvent qu'on ne le croit dans le Québec méridional, que cet immense domaine leur appartient exclusivement et irrévocablement. En réalité, ce domaine n'est historique que depuis 1975. Le Québec, dénué d'une vision aussi efficace que celle des Inuit, concourt ainsi à sa propre déperdition.
    L'État québécois cherche à faire contrepoids en utilisant Hydro-Québec, en créant des parcs et des aires protégées dans le Grand Nord, et en fournissant des services publics. Ne nous méprenons pas. Il s'agit bien de stratégies concurrentes d'occupation du territoire, en attendant le jour où le droit international et surtout l'implacable logique géopolitique les départageront. Hydro-Québec est effectivement un puissant agent d'occupation du territoire. Outre le fait qu'il n'y a pas d'infrastructures hydroélectriques d'une taille comparable au réseau de la Baie James dans le Grand Nord, en définitive la majorité démocratique inuite a plus de poids aux urnes que les réalisations matérielles d'ingénieurs ou de travailleurs de la construction en transit. Les Québécois n'occupent pas le Grand Nord en permanence car ils n'aiment pas y vivre.
    Éric Canobbio offre une lecture captivante, écrite dans une langue exemplaire, des événements constitutionnels des trente dernières années dans la perspective inuite. Les lecteurs qui croyaient tout connaître de ces événements y apprendront beaucoup, et s'étonneront de la multidimensionnalité de notre histoire récente. L'origine française de l'auteur lui fait souligner des parallèles peu connus chez nous, notamment avec la Nouvelle-Calédonie. Quelques erreurs mineures feront sourire, lorsque, par exemple, le projet de souveraineté de 1995 est qualifié de beau risque. Il ne faut toutefois pas, nous l'avons dit, laisser considérer le Nunavik en vase clos, comme le font de nombreux universitaires, fonctionnaires et députés, sans que l'on tienne compte, sauf par des allusions insuffisantes, du contexte arctique global, ni des revendications légitimes des voisins amérindiens non-signataires de la Convention de la Baie James et du Nord québécois ou de la Convention complémentaire du Nord-est québécois. Ces voisins sont des victimes de l'ambition inuite. Les Inuits cherchent désormais à protéger une intégrité territoriale qui est, comme partout et toujours, le pur produit d'un rapport de force géopolitique.
    Éric Canobbio appelle régiogenèse la prise de conscience des habitants du Nunavik et leur lente évolution vers un gouvernement régional à partir de l'apparition dans la baie d'Hudson du mouvement coopératif, inspiré du Mouvement Desjardins, à la veille de la Révolution tranquille. Le succès de cette entreprise, qui met en marché les sculptures où l'on retrouve le puissant imaginaire de ce peuple et l'approvisionne en aliments et en carburant, a ouvert la voie à l'ambition politique. Le parcours sinueux du projet de gouvernement régional a souvent épousé celui du projet de souveraineté du Québec, et s'est intensifié en réaction à ce dernier.
    Si l'on compare les ambitions souverainistes inuites et québécoises, on constate que les premières, malgré un immense désavantage démographique, jouissent d'une longueur d'avance sur le plan de la sympathie internationale. L'indépendance du Groenland sera vraisemblablement bien accueillie par la planète entière. Il est concevable que celle du Québec, plus hypothétique, reçoive au mieux un accueil mitigé. La personnalité internationale du peuple inuit, qui a su habilement tirer parti des préoccupations écologistes et anticoloniales, est déjà à certains égards en meilleur état que celle du Québec. Celle-ci repose en grande partie sur une relation amochée avec la France et une Francophonie qui n'a jamais pris son envol. L'importance stratégique de l'Arctique fera en sorte que le Québec devra se souvenir qu'il est la seule province arctique de la fédération canadienne (hormis une mince bande de terre au nord du Labrador), et qu'il devra assumer cette part de son identité sous peine d'y renoncer, en demandant par exemple à être admis au Conseil de l'Arctique aux côtés du Groenland et de l'ICC, deux entités jusqu'ici non souveraines, mais dont le statut évolue à un rythme que le Québec, aujourd'hui figé sur le plan constitutionnel, ne peut qu'envier. La stratégie francophile du mouvement souverainiste québécois aura fait long feu pendant que les Inuits devenaient des participants prestigieux dans de multiples dossiers majeurs dans l'enceinte de l'Organisation des Nations Unies. Jean Charest, l'ICC et la société Makivik étaient à Rio en 1992 pour discuter de la biosphère, pendant que les ténors souverainistes québécois cultivaient les mondanités à Paris, Bruxelles et Barcelone. N'y aurait-il pas là quelques leçons à tirer?
    Le nouveau siècle peut offrir des formes inédites de coexistence politique et la superposition de multiples identités sociopolitiques. Il n'en reste pas moins qu'il faut connaître les interlocuteurs avec qui l'on entend partager son territoire. Les Inuits nous connaissent bien davantage que nous ne les connaissons. Ils distinguent depuis longtemps les Kabloonat anglophones (les gros sourcils, expression qui décrivait à l'origine les représentants écossais de la Compagnie de la Baie d'Hudson et qui s'est étendue à l'ensemble des Canadiens) des Oui-oui, comme ils appellent les Québécois francophones. Ils ont adapté habilement leurs stratégies à la situation politique du moment et aux tensions entre le Canada et le Québec. Ils ont conduit l'un et l'autre à la possibilité du démembrement territorial. Ne sont-ils pas les véritables gagnants de nos guerres constitutionnelles?