Un acte manqué lors du Moulin à paroles

Tribune libre 2010


À Québec (et dans tout le Québec d’ailleurs), on ne voit jamais flotter de drapeau du Québec aux endroits appartenant au gouvernement fédéral, c’est-à-dire à peu près 40 % des terrains situés dans l’arrondissement historique du Vieux-Québec (citadelle, plaines d’Abraham, vieux port de Québec, etc.). Cette règle n’a souffert aucune exception, même pendant les 365 jours de célébrations du 400e de Québec. Par exemple, un immense drapeau du Canada flottait sans partage au beau milieu de la place George V, en face du manège militaire, lors du spectacle de clôture des festivités le 31 décembre 2008. En contrepartie, dans les municipalités (créations des provinces) et même au salon rouge de l’Assemblée nationale du Québec, le drapeau du fédéral flotte bel et bien, lui.
Hier, le 9 décembre 2010, au lancement du livre Sous haute surveillance, le Moulin à paroles par les éditions L’Instant même, je songeais à un geste éclatant qu’il aurait fallu poser pendant le Moulin à paroles, quelque part entre le 12 et le 13 septembre 2009, ces deux journées intenses consacrées à le lecture des textes fondateurs de la littérature et de l’identité québécoises au kiosque Edwin-Bélanger, sur les Plaines d’Abraham. On y célébrait 250 ans de fière résistance québécoise, le jour même où, en 1760, Québec tombait aux mains des Anglais. En page couverture de ce livre rempli de superbes photos, on voit le drapeau du Canada flotter sur le toit du kiosque. La règle est implacable : la Commission des champs de bataille nationaux du Canada n’aurait jamais permis qu’un autre drapeau que celui du pays de Stephen Harper flotte dans un parc fédéral… Même par courtoisie envers les Québécois, qui payent quand même de leurs impôts toutes les institutions, édifices et parcs fédéraux présents sur leur territoire.
Alors il aurait fallu que, calmement mais avec détermination, quelqu’un prenne une échelle, monte sur le toit du kiosque Edwin-Bélanger, décroche lentement mais sûrement le drapeau du Canada, le plie soigneusement et le remplace par un drapeau du Québec. Aux agents de sécurité qui aurait pu tenter d’arrêter les grimpeurs, on aurait pu répondre qu’aucun vandalisme n’était commis, puisque le drapeau du Canada n’aurait pas été abîmé, mais seulement momentanément retiré d’un lieu dont l’existence même est redevable aux impôts que les spectateurs rassemblés payent au gouvernement fédéral.
L’animateur, Pierre-Laval Pineault, aurait même pu demander à la foule lequel des deux drapeaux elle préférait voir pendant les deux jours de célébrations. Le tout aurait été filmé, et ces images auraient fait le tour de ce grand Canada ouvert et respectueux que nous aimons tous et qui nous aime tant, comme nous l’avons appris le love-in de Montréal le 27 octobre 1995…
Le pays aurait tremblé… au moins jusqu’aux Rocheuses. Et un refus des employés de la CCBN aurait révélé la vérité à la face des Québécois, c’est-à-dire que leur emblème national est purement et simplement interdit partout où flotte l’unifolié canadien. Dès ce jour, le mur d’indifférence du fédéral envers le drapeau du Québec aurait peut-être commencé à se fissurer. Et une certaine forme de respect envers les anciens vaincus aurait pu commencer à naître.
La prochaine fois, tentons donc de cesser de craindre d’afficher nos couleurs, et cessons de faire comme si nous en avions honte.
Jean-François Vallée
Saint-Philippe-de-Néri
Le 12 décembre 2010

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Jean-François Vallée91 articles

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Jean-François Vallée est professeur de littérature québécoise et française au niveau collégial depuis 1995. Son ambition de pédagogue consiste à rendre les étudiants non seulement informés mais objectivement fiers de la culture dans laquelle ils vivent. Il souhaite aussi contribuer à les libérer de la relation aliénante d'amour-haine envers leur propre culture dont ils ont hérité de leurs ancêtres Canadiens français. Il a écrit dans le journal Le Québécois, est porte-parole du Mouvement Quiébec français dans le Bas-Saint-Laurent et milite organise, avec la Société d'action nationale de Rivière-du-Loup, les activités de la Journée nationale des patriotes et du Jour du drapeau.





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3 commentaires

  • Rhéal Mathieu Répondre

    14 décembre 2010

    Oui, Jean-François. Tu as raison. Il y a des gestes comme ça dans la vie, qu'on ne pose pas et qu'on regrette, pour le reste de nos jours, de ne pas avoir posés.
    J'ai reconnu ton caractère dans la description précise que tu fais de la manière correcte de descendre le drapeau de l'ennemi.
    MAIS, il y a un geste que tu as posé, toi, dans ton beau coin de pays, Kamouraska-Témiscouata, que tu ne regretteras jamais.
    Tu as pris la décision d'intervenir dans cette élection provinciale et tu l'as fait avec calme, fermeté, détermination, courage et enthousiasme.
    Tu as joué un rôle dans la défaite de France Dionne. En dénonçant la corruption libérale et la Mafia jusque dans les coins les plus éloignés de ton comté, tu as contribué à le débarrasser des corrompus patentés du Parti Libéral du Québec. Le PQ te doit certainement les 196 votes de majorité qu’ils ont eus.
    Tu l'as fait pour ta nation, tes concitoyens, tes voisins, ta famille et tes beaux enfants. Et en particulier ta petite fille qui déteste les personnages comme John James Charest, parce que ce sont des individus "qui volent les gâteaux des petits enfants". Même elle a compris ça.
    Ce que tu as fait, pour la petite histoire de Kam-Témis, ça mérite d’être connu.
    Merci de t'être tenu debout en ces temps où le maniement du clavier est encore beaucoup plus populaire que la discipline olympique du collage d'affiches sous l'œil baveux des libéraux.
    Joyeux Noël et Bonne Année à toi et ta famille!

  • Archives de Vigile Répondre

    13 décembre 2010

    Oui, il nous arrive tous de faire des rêves comme celui-là, des scénarios où nous avons le contrôle de la réplique adverse...
    ...or la réplique adverse est bien prévisible: tolérance zéro, et sans ménagements. Ce pays achève de construire sa Nation unique qui ne reconnaît aucune dissidence, qui réprime même tout acte autonomiste. La simple manifestation de résistance pacifique préalablement autorisée pour contester la venue du Prince Charles au Régiment Black Watch de Montréal l'an dernier s'est soldée par le refoulement complet des centaines de Québécois, avec usage de la matraque lorsque nécessaire. Au fait, les journaux de Gesca n'ont pas rappelé l'événement cette semaine à l'occasion de la Surprise de Charles et Camilla dans leurs Rolls...
    Une autre action au monument Wolfe un Premier Juillet se déroula sous l'oeil torve des agents aux bandes jaunes, avec aussi l'escouade anti-émeute en réserve...
    On peut toujours rêver, mais en colonie britannique...

  • Nicole Hébert Répondre

    13 décembre 2010

    Bonsoir M. Vallée,
    Vous avez tellement raison, là-dessus! Mais je vous rappelle ce qu'une amie à moi vous signalait ce soir-là même - mardi dernier au lancement - qu'actuellement, au Bois de Coulonges, le mât destiné au drapeau du Québec est nu. Notre drapeau n'y flotte pas. Et comme c'est à l'endroit même où il pourrait étaler sa beauté à la vue de la circulation fluviale afin d'au-moins faire le pendant à cet IMMENSE drapeau CANADIAN dominant les Plaines... Alors, en attendant un geste d'éclat comme celui que vous imaginez, soyons quelques-uns à réclamer celui du bois de Coulonges? À la Commission de la Capitale nationale?
    Salutations.
    Ce fut un plaisir de vous serrer la main et celle de M. Julien ce soir-là!