Va-t-on trop loin? Le projet de loi déposé hier par le ministre Bachand visant à réformer la Loi sur les compagnies accorde beaucoup de moyens à l'actionnaire minoritaire dans la défense de ses intérêts. Ce qui est appelé à devenir la Loi sur les sociétés par actions veut établir un nouveau rapport de force entre les catégories d'actionnaires, ce qui pourrait effrayer nombre de PME.
Visiblement, cette réforme de la Loi sur les compagnies a été écrite par des avocats pour des avocats. Le ministre des Finances, Raymond Bachand, souligne à larges traits qu'elle vise 300 000 entreprises québécoises, des PME dans leur quasi-totalité. Et que l'objectif est de proposer à ces entreprises un cadre législatif «le plus attrayant et le plus concurrentiel» au Canada. Avec, pour principale cible, une «réduction substantielle» du fardeau administratif des entreprises. Derrière ces objectifs nobles et souhaitables se glisse un large volet sur la gouvernance qu'il faut accueillir très favorablement. Mais ce pan complet dédié à la protection des intérêts des actionnaires minoritaires pourrait en faire sourciller plus d'un. Au fil des décennies, les gouvernements ont déployé de grands efforts afin d'inciter les PME à mieux se capitaliser et à moins dépendre de l'endettement. Il ne faudrait pas que cette réforme, une fois devenue loi, provoque un retour en arrière.
Avec la réforme d'hier, le Québec s'harmonise avec la loi fédérale en matière de droit touchant les entreprises. Tous conviendront de la pertinence de cette modernisation de la loi québécoise. Tous conviendront également de la pertinence de retenir le thème de l'heure, celui de la gouvernance. Ainsi, la réforme annoncée hier ramène l'administrateur à ses devoirs et responsabilités. À titre d'exemple, sur l'autre question à la mode, celle de la rémunération des hauts dirigeants, l'administrateur ne pourra plus se cacher derrière l'indépendance d'un comité externe de rémunération, la nouvelle loi empêchant le conseil d'administration de déléguer cette tâche de fixation de la rémunération à un comité. Il devra oeuvrer en sachant que «les actionnaires pourront s'adresser au tribunal pour obtenir une demande de redressement en cas d'abus de pouvoir ou d'iniquité». Mais en retour, l'administrateur pourra présenter, le cas échéant, une défense de diligence raisonnable à l'égard des gestes posés de bonne foi dans l'exercice de ses fonctions au sein du conseil d'administration.
Dit autrement, les recours éventuels des actionnaires, facilités par l'actuelle réforme, sont encadrés ou limités par cette notion de jugement raisonnable que peut évoquer l'administrateur en défense, explique Martine Guimond, associée au cabinet Gowlings. Cette spécialiste en droits des affaires se réjouit, à juste titre, de cette avancée du droit des entreprises au Québec. Une loi plus facile d'accès, plus moderne, répondant aux enjeux contemporains. «Il fallait que l'on soit clair, que l'on emboîte le pas à la transparence», dit-elle.
La spécialiste reconnaît, cependant, que, sur certains aspects, l'effet de balancier a pu être poussé plus loin dans la direction opposée. Et que l'on accorde un large pouvoir d'interprétation et d'application aux tribunaux. Mais, insiste-t-elle, il faut avoir confiance. Au-delà des généralités de la loi, les tribunaux vont être capables d'apporter les nuances et de tenir compte des circonstances particulières. Et l'expérience pratique existe avec la loi fédérale. Présence d'un actionnaire majoritaire, entreprise à contrôle diffus, actionnaire minoritaire institutionnel ou particulier, action à votes multiples, compagnie publique ou privée, présence d'actionnaires minoritaires opportunistes... «Une jurisprudence a été établie et les tribunaux ne peuvent l'ignorer», a souligné Martine Guimond.
Sauf que le portrait des entreprises au Québec n'est pas meublé que d'entreprises moyennes ou grandes, inscrites en Bourse. Il abrite un grand nombre de PME, pour la plupart exploitées de manière privée. Des PME que les gouvernements québécois successifs ont fortement incitées à mieux se capitaliser en privilégiant l'apport de capitaux permanents par opposition à l'endettement.
Or cet entrepreneur ou propriétaire de PME se fait dire par ce projet de loi que, s'il accueille un ou des actionnaires minoritaires, il s'expose à un risque de judiciarisation accru. Il devra accepter:
- que les actionnaires puissent s'adresser au tribunal afin d'obtenir une «ordonnance d'enquête» et autres ordonnances appropriées. Ils pourront aussi s'adresser au tribunal afin d'obtenir une autorisation d'agir au nom de la société;
- que les actionnaires puissent s'adresser au tribunal pour obtenir une demande de redressement en cas d'abus de pouvoir ou d'iniquité. Le tribunal jouira de vastes pouvoirs curatifs en cas d'agissement abusif ou injuste de la part de la société ou de ses administrateurs.
Quant à l'esprit capitaliste derrière le principe d'«une action, un vote»...
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