«La mort de la culture française»

Le déclin de l'emprise française

Le Québec économique


«La mort de la culture française». Le titre, provocateur, à la une de l'édition européenne du magazine Time, a provoqué en début de semaine une onde de choc au pays de Nicolas Sarkozy. Les quotidiens parisiens ont publié de nombreuses répliques au long reportage du correspondant de Time à Paris, Don Morrison, qui fait l'autopsie d'une culture française jugée nombriliste et ne trouvant plus à s'exporter.


En somme, Morrison constate que la culture française n'a plus le rayonnement qu'elle avait à l'époque de la nouvelle vague, du nouveau roman, du surréalisme ou de l'existentialisme. Quels auteurs français contemporains ont la réputation internationale des Flaubert, Proust ou Camus? demande-t-il. Le dernier Prix Nobel français de littérature (en 2000), Gao Xingjian, écrit en chinois. Des quelque 700 romans de la dernière rentrée littéraire française, seulement une douzaine seront traduits en anglais.
Don Morrison n'est pas plus complaisant envers le cinéma hexagonal. «L'industrie du cinéma français, la plus importante au monde il y a 100 ans, n'a su retrouver la renommée qu'elle avait à l'époque où des réalisateurs tels François Truffaut et Jean-Luc Godard ont révolutionné les codes cinématographiques, rappelle-t-il. La France produit encore quelque 200 films par année, plus que tout autre pays européen, mais la plupart sont des divertissements légers, produits à peu de coûts pour le marché domestique. Le seul film vaguement français à avoir eu du succès au box-office américain cette année est Ratatouille - et il a été réalisé aux États-Unis, par Pixar.»
Maurice Druon, si prompt à mépriser la culture québécoise, a littéralement «pogné les nerfs» dans Le Figaro. Mais en dépit des hauts cris de l'intelligentsia française, on ne peut dire que Don Morrison a tort. La littérature française ne s'exporte plus comme à l'époque de Sartre et Gary, n'a pas produit d'artiste de la scène mondialement connu depuis Piaf et Aznavour et n'a pas de cinéaste actif à la réputation internationale d'un Almodóvar ou d'un Wong Kar-waï.
«Vite, écrit Morrison: nommez une pop star française qui n'est pas Johnny Hallyday.» Euh... Natasha St-Pier? Les groupes de la French Touch (Air, Daft Punk, St Germain) ont beau avoir un rayonnement international, leur musique est surtout instrumentale ou chantée en anglais. Elle est issue d'une culture générique et mondialisée, qui fait fi des frontières. Hors France, combien de gens savent que Justice a des origines françaises?
La France a donné au monde de grans artistes et de grands penseurs. Grâce à des géants comme Jean-Paul Sartre et Charles Aznavour (notre photo), notamment, la culture française a rayonné de Londres à New York au XXe siècle, mais depuis, c'est le déclin, avance le magazine Time. (Photo archives La Presse)
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La France a donné au monde de grans artistes et de grands penseurs. Grâce à des géants comme Jean-Paul Sartre et Charles Aznavour (notre photo), notamment, la culture française a rayonné de Londres à New York au XXe siècle, mais depuis, c'est le déclin, avance le magazine Time.
Photo archives La Presse

La culture française a aujourd'hui un public essentiellement local. Elle ne s'exporte bien que dans la francophonie. La France n'a certainement plus l'influence culturelle qu'elle avait il y a 40 ans à peine. C'est un fait. Et ce n'est pas un hasard. Le français n'est plus que la 12e langue la plus parlée au monde.
Si les conclusions de Don Morrison sont valables, son raisonnement, lui, est tendancieux. Le journaliste trahit un parti pris janséniste en offrant une vision de la culture française déformée par le prisme de l'hégémonie américaine. Par interlocuteurs interposés, il discrédite le système des subventions à la culture («qui encourageraient la médiocrité») et la théorie de «l'exception culturelle», promulguée par l'UNESCO (et dont le Québec a fait un cheval de bataille).
«Les subventions à la culture sont omniprésentes en France, écrit-il. Les producteurs de n'importe quel film autre que pornographique peuvent recevoir des prêts gouvernementaux, dont la plupart ne seront jamais pleinement remboursés.» Tiens, ça nous dit quelque chose...
Don Morrison, comme l'a remarqué avec raison Maurice Druon, confond culture et divertissement.
C'est d'ailleurs l'un des paradoxes de son reportage (disponible sur www.time.com), qui regrette à la fois la belle époque de la nouvelle vague et l'absence actuelle de la France au box-office américain. Sauf erreur, la nouvelle vague n'a pas provoqué de tsunami aux guichets dans les années 60. Pierrot le fou et Les 400 coups? Des oeuvres. Pas des produits culturels.
La logique du reportage de Time participe d'une conception comptable de la culture, tout à fait dans l'air du temps. D'une vision réductrice de l'art, devenu un palmarès ou un box-office dont on aime tenir les statistiques. D'une interprétation à courte vue de ce qu'est une culture nationale et d'un regard néolibéral sur le succès.
Un peu plus et Don Morrison, se servant d'interviewés choisis (l'auteur Marc Levy, notamment), encouragerait les artistes français à renier leur langue afin de rayonner davantage sur la scène internationale. Il cite à cet effet, en exemple de «l'imagination» du cinéma français récent, l'affligeante série «Taxi», du producteur Luc Besson, le plus américain des cinéastes français. En omettant d'ajouter qu'on en a fait un remake américain...
«Nous devons prendre le pari de la mondialisation», dit l'un des nombreux intervenants culturels français interrogés par Time. Il s'agit du sous-texte de ce reportage. Celui qu'on lit entre les lignes, et qui témoigne du fossé culturel entre l'empire américain dominant et l'ancienne puissance française, dont l'emprise est sur le déclin. Un pari risqué, si vous voulez mon avis.
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