Les PPP ont des désavantages... et ils coûtent 50% de plus!

Le Québec économique



Le gouvernement Charest a engagé le Québec sur la voie des partenariats public-privé (PPP) pour la construction, la rénovation et la gestion d'une panoplie d'infrastructures d'utilité publique, dont plusieurs hôpitaux majeurs. Comme M. Charest, Mme Jérôme-Forget et le pdg de l'Agence des PPP ont à maintes reprises fait l'éloge de la formule, il y a lieu d'en présenter aussi les désavantages. C'est d'autant plus opportun que cette formule risque d'être appliquée aux investissements massifs que le gouvernement s'apprête à effectuer pour relancer l'économie.
Disons d'entrée de jeu que, au vu des années de retard et du triplement des coûts du CHUM, il est clair que la vitesse de réalisation et le respect des budgets de départ ne peuvent être sérieusement présentés comme des avantages de la formule PPP. Ces problèmes sont loin d'être des incidents de rodage. L'expérience montre plutôt qu'ils sont caractéristiques de la formule.
Pour que le profit des entreprises privées puisse se traduire en bénéfice pour la société, il faut absolument un environnement concurrentiel et une réglementation ajustable aux circonstances. La formule PPP s'annonce donc comme une mauvaise pratique économique puisqu'elle viole doublement ce principe. En effet, pour des périodes allant jusqu'à 35 ans, elle suspend l'exercice de la concurrence et gèle le cadre réglementaire dans un contrat.
Or, toute personne sensée, ayant constaté l'impact sur les pratiques hospitalières des développements techniques, des pathologies nosocomiales et des menaces pandémiques, n'acceptera pas que la structure et la gestion des établissements de santé soient gelées par contrat. Cette personne n'acceptera pas non plus que ceux qui n'ont rien vu venir de la crise économique actuelle puissent être considérés comme des experts capables de prédire l'évolution des coûts de santé et des finances publiques sur une période de 35 ans. La prudence exige aujourd'hui d'opter pour un maximum de flexibilité, ce que ne permet évidemment pas un contrat.
Importance d'une bonne évaluation au départ
Chacun croira également que l'État doit maintenir, à l'intérieur de la fonction publique, une équipe d'experts capables d'évaluer en détail le coût de tous ses projets d'investissement ainsi que la qualité des soumissions et celle des avis externes. En effet, une mauvaise évaluation pourrait par exemple conduire à l'acceptation d'une soumission trop basse, qui ferait en sorte que le projet ne serait pas complété et que les citoyens du Québec hériteraient d'un second Îlot Voyageur. De même, les experts du gouvernement doivent posséder la compétence requise pour rejeter une soumission où les profits excessifs du partenaire privé feraient en sorte que les citoyens n'en auraient pas pour leur argent.
Grâce à ses experts, le gouvernement doit donc logiquement être en mesure de connaître les coûts détaillés d'un projet de PPP, y compris les marges de profit et de risque des soumissionnaires. Cela veut dire que le gouvernement doit savoir ce qu'il en coûterait véritablement pour exécuter le projet sans la participation d'un partenaire privé.
À combien peut-on estimer le coût supplémentaire du mode PPP? Une valeur de 50% apparaît raisonnable, si l'on tient compte des profits, des provisions de risque ainsi que des dépenses supplémentaires liées aux PPP, comme les frais de préparation des contrats extrêmement complexes que la formule requiert et les coûts de fonctionnement de l'Agence.
Des entreprises moins solvables que l'État
À cela s'ajoute le fait que les entreprises privées sont moins solvables que les gouvernements et empruntent donc à des taux supérieurs, spécialement pendant une période de contraction du crédit comme celle que nous vivons. Notons également qu'advenant le choix de partenaires étrangers - ce que semble privilégier le gouvernement Charest - il y aurait moins de chance que les profits privés se transforment en revenus fiscaux et en réinvestissements locaux en faveur des Québécois.
Un supplément de coût de 50% peut sembler exagéré au premier coup d'oeil. Mais si l'on se fie aux expériences avec la formule PPP dans un contexte authentiquement comparable au nôtre, le chiffre apparaît même sous-estimé. En effet, l'Ontario a tout récemment procédé à la construction de trois hôpitaux offrant des services semblables, dont deux en mode PPP. Les chiffres sont accablants : chaque lit coûte de deux à quatre fois plus en formule PPP qu'en projet public (voir le tableau). À la vue de tels résultats, rendus publics il y a six mois, peut-on comprendre que le recours aux PPP ne soit pas devenu un enjeu majeur de la présente campagne électorale, où chacun se dit préoccupé d'économie?
Un problème de transparence
Les désavantages théoriques et pratiques de la formule PPP étant si évidents, l'aveuglement idéologique peut-il à lui seul expliquer que des politiciens en fassent la promotion? Il est en ce sens inquiétant de constater que, sous la direction de madame Jérôme-Forget, les parrains de la loi 61 - celle qui a mis au monde l'Agence des PPP en 2004 - ont tout fait pour empêcher le Vérificateur général d'y faire son travail. De plus, ils ont écarté la demande de la Commission d'accès à l'information voulant que les contrats de PPP et les plans d'affaires aient un caractère public et que les entreprises privées engagées dans les PPP aient des obligations importantes en matière de transparence.
S'ajoutant au fait que les contrats unifiés de la formule PPP mettent en jeu des montants beaucoup plus élevés que ceux de la formule publique et qu'ils seront en majorité signés avec des multinationales étrangères, tout cela crée un espace propice à la circulation des enveloppes de billets et aux dépôts dans les paradis bancaires. Mon intention ici n'est pas d'accuser les libéraux d'avoir profité malhonnêtement de la situation mais de montrer qu'ils ont agrandi l'espace d'exercice de la corruption aux dépens de celui de la démocratie.
Les politiciens qui font la promotion des PPP auraient-ils un sens de l'éthique «particulier»? La question est légitime lorsque l'on considère que les chefs des deux partis les plus engagés envers les PPP au Québec ne se contentent pas d'un salaire de source publique, qui dépasse pourtant celui de 99% des Québécois : ils apparaissent insensibles à l'apparence de conflit d'intérêt entretenue par l'acceptation d'un revenu de source privée.
Les jeunes Québécois en seront les grands perdants
Quoi qu'il en soit, ce sont évidemment les jeunes Québécois qui seront les plus grands perdants dans la formule PPP. Tout en leur refilant une facture gonflée d'au moins 50%, on leur retirera, pour 25, 30 ou 35 ans, le pouvoir d'ajuster la structure et le fonctionnement de leurs hôpitaux aux besoins changeants de la santé publique. Le message de M. Charest est dans les faits très clair : les Québécois sont incapables de construire et de gérer leurs hôpitaux, leurs routes, leurs salles de concert et bientôt le reste de leurs infrastructures. Ce message sous-entend qu'il est urgent de confier le tout à des multinationales étrangères, même si cela coûte beaucoup plus cher et même si cela ouvre la porte à la corruption.
La situation rappelle l'époque de Duplessis, tristement célèbre par sa gestion des contrats gouvernementaux et surtout par son manque de confiance dans la capacité des Québécois d'assumer leur propre développement. Un recul décourageant!
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Jacques Larochelle, professeur d'université, Québec


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