Mordecai sans Montréal

Richler-Amherst : les indésirables


L'écrivain a légué une oeuvre colossale. Le polémiste a soulevé l'ire des uns et des autres. Près de 10 ans après sa mort, la possibilité qu'une rue ou un lieu public montréalais soit nommé à sa mémoire reste matière à controverse.
Mordecai Richler s'en amuserait sans doute. Lui qui, des anglos aux francos en passant par ses coreligionnaires, semblait prendre un malin plaisir à se faire détester.
Agent provocateur, poil à gratter iconoclaste, l'écrivain de la rue Saint-Urbain a tiré à boulets rouges sur tout le monde: les Canadiens anglais, qui lui reprochaient son manque de patriotisme, les Juifs, qui l'ont taxé d'antisémitisme, les indépendantistes québécois, qui en ont fait une sorte d'épouvantail.
Richler savait être monstrueux, comme du reste nombre d'artistes de son rang. L'humour caustique, sardonique du satiriste se traduisait mal dans l'essai politique. À coups de mauvaise foi, il a fait du tort, sans doute davantage que quiconque, à la réputation du Québec sur la scène internationale.
Comme bien des intellectuels, il se méfiait de toute forme de nationalisme. De là à comparer le mouvement indépendantiste québécois au national-socialisme allemand des années 30, il n'y avait qu'un pas...
On se souvient du pamphlétaire. On se souviendra de l'écrivain. Mais je ne suis pas convaincu que les films inspirés de ses romans marqueront, sur la durée, le cinéma. Cela vaut même pour L'apprentissage de Duddy Kravitz, de Ted Kotcheff, lauréat de l'Ours d'or à la Berlinale de 1974, qui valut à Richler d'être finaliste (avec Lionel Chetwynd) à l'Oscar de la meilleure adaptation.
Les meilleurs écrivains ne font généralement pas les meilleurs scénaristes. Question d'écriture et d'harmonisation à l'oeuvre filmée. L'écriture cinématographique n'a rien à voir avec la littérature. Pour le dire de façon simpliste: un roman s'écrit avec des phrases; un film, avec une succession d'images.
La principale lacune de Joshua Then and Now, autre collaboration de Ted Kotcheff avec son ami écrivain, est justement le scénario bancal que Mordecai Richler a tiré de son propre roman. L'écrivain, contrairement à ce qu'il est tenté de croire, n'est pas toujours le mieux placé pour adapter son récit au grand écran.
J'ai vu hier Barney's Version, réalisé par Richard J. Lewis d'après le dernier roman de Mordecai Richler. Le film doit prendre l'affiche la veille de Noël. D'autres en feront la critique en temps et lieu. Je me contenterai de dire que cette comédie à tendance romantique, si elle est à la fois sympathique et amusante, s'ajoute à la liste de longs métrages et de téléséries ne rendant pas justice à l'oeuvre de Richler.
On reconnaît bien sûr, dans leur évocation, le chic appartement où l'auteur a vécu, rue Sherbrooke, et son chalet du lac Memphrémagog. On reconnaît aussi son humour spirituel typique. Ce qu'on ne reconnaît pas, en revanche, c'est la ville où Mordecai Richler a grandi, rue Saint-Urbain, presque à l'angle de l'avenue Fairmount (que certains voudraient aujourd'hui rebaptiser l'avenue Mordecai-Richler).
Entre la musique mélodramatique et les «caméos» de David Cronenberg, Denys Arcand et Ted Kotcheff, Barney's Version présente Montréal comme un cliché de carte postale. Un lieu générique où se trouve une célèbre équipe de hockey. Mais de la ville qu'a décrite avec tant d'amour et d'affection Mordecai Richler, de la ville où il a décidé de s'établir après 20 ans d'exil en Europe, et où il est demeuré malgré l'hostilité qu'il y a engendrée et à laquelle il a dû faire face, il ne reste presque rien. Heureusement qu'il y a les romans.
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