Politiquement parlant, le gouvernement Harper et son ministre des Finances, Jim Flaherty, sortent comme étant les grands gagnants dans cette controverse entourant l'agence unique en valeurs mobilières. Quelle que soit la décision de la Cour suprême à un projet de loi du fédéral que nombre de juristes taillent déjà en pièces, le ministre responsable de la grande région de Toronto et ancien ministre des Finances de l'Ontario aura fait le bon calcul électoraliste.
On ne peut présumer du jugement que rendra la Cour suprême au projet de loi fédéral visant la création de l'Autorité canadienne de réglementation des valeurs mobilières et du Tribunal canadien des valeurs mobilières. En fait, pour le ministre des Finances la voie est claire. Le plus haut tribunal du pays se prononcera dans un délai de 10 à 18 mois, puis la nouvelle commission canadienne lancera ses opérations en 2012-2013. Mais pour les juristes, l'issue est loin d'être gagnée pour Jim Flaherty.
Jeffrey MacIntosh, pour sa part, doute de la solidité de la cause du fédéral devant la Cour suprême. Dans une chronique-commentaires publiée dans l'édition du 31 mai du Financial Post, le professeur en droit des valeurs mobilières à la Faculté de droit de l'Université de Toronto, et détenteur de la Chaire en marché des capitaux de la Bourse de Toronto, croit que la Cour suprême va plutôt refroidir l'ardeur d'Ottawa. Le gouvernement fédéral fait appel aux articles constitutionnels lui accordant des pouvoirs en matière de réglementation générale du commerce et des échanges. Le spécialiste rappelle que, sur ce point, la jurisprudence indique que la Cour suprême s'appuie généralement sur cinq facteurs fondamentaux pour statuer sur la validité constitutionnelle de l'argumentaire. Sans être déterminants, ces facteurs sont influents.
Sur cette base, la Cour suprême pourrait retenir l'absence d'adhésion de l'ensemble des provinces. Déjà, le Québec, le Manitoba et l'Alberta ont clairement affiché leur opposition. Au départ favorable au projet fédéral d'une agence unique, la Saskatchewan se fait plutôt hésitante depuis. Même bémol en Colombie-Britannique, qui avait pourtant surmonté ses réticences de longue date pour se rallier à la démarche d'Ottawa et prendre depuis ses distances, voulant s'assurer que les intérêts distinctifs de la province seront pris en compte. Même réserve dans les provinces de l'Atlantique, qui défendent l'importance d'une représentation locale et du respect de leurs particularités. «Plus le gouvernement défend avec force les vertus de sa législation, plus elle devient suspecte constitutionnellement», a résumé le juriste.
Autre élément majeur: le gouvernement fédéral devra convaincre le tribunal de plus haute instance de l'incapacité des provinces à exercer leurs compétences et leur juridiction avec efficacité, ce que saurait faire une agence pancanadienne. Or l'OCDE, le FMI, la Banque mondiale et d'autres grandes instances internationales ont déjà placé le Canada parmi les meilleurs au monde en matière d'efficacité réglementaire et de réglementation favorable au développement du secteur financier. Depuis la crise financière, tous font l'éloge du Canada et de la solidité de son système financier.
Un chroniqueur du Post s'est déjà moqué des propos du ministre Flaherty déplorant que le Canada soit le seul pays de l'OCDE à ne pas être représenté par une agence unique: «Le Canada est le seul pays développé sans régulateur national et le seul à ne pas s'être fait brûler par la crise financière planétaire, alors créons un régulateur national.»
Jeffrey MacIntosh revient sur le système actuel, qui se déploie autour d'un régime de passeport coiffé d'un organisme canadien, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, pour soutenir que le projet fédéral ne fait que copier ce qui existe déjà. Par son mécanisme d'adhésion volontaire, Ottawa viendrait en fait dupliquer le système actuel. Difficile alors de convaincre la Cour d'une souplesse accrue et de coûts moindres s'exprimant sous une seule voix. Difficile également de faire endosser par la Cour l'argumentaire voulant qu'un système monopolistique soit plus innovant et plus concurrentiel qu'un système harmonisé mais décentralisé.
D'ailleurs, sur ce dernier point, l'approche législative québécoise, avec sa Loi sur la distribution des produits et services financiers et son durcissement des peines en matière de contravention à la Loi sur les valeurs mobilières en vertu du Code pénal, s'est attiré son lot d'éloges pour son aspect novateur.
Jeffrey MacIntosh souligne d'ailleurs que, si le fédéral veut vraiment apporter une contribution positive au cadre réglementaire au Canada et renforcer la protection des Canadiens, pourquoi ne s'attarde-t-il pas, plutôt, à améliorer la lutte contre les crimes économiques et à durcir les peines contre les criminels à col blanc. Donc, d'abord, à assumer avec efficacité ses propres compétences en matière de droit criminel.
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