Ce soir, il est probable que la Chambre des communes du Canada adopte une motion du premier ministre Stephen Harper reconnaissant que les Québécoises et les Québécois forment une nation dans un Canada uni.
Cette motion n'aura pas plus de conséquences juridiques que celle qu'adopteraient les députés pour féliciter le Rouge et Or de l'Université Laval d'avoir remporté la coupe Vanier au championnat de football universitaire canadien.
Le gouvernement l'a lui-même reconnu.
En 1995, la Chambre avait adopté une motion reconnaissant le Québec comme une société distincte et cela n'a strictement rien changé.
Dans les autres pays du monde, traite-t-on les questions relatives au statut d'un peuple avec autant de désinvolture?
Des députés, dont la majorité n'y croient pas et qui ne le font que pour des raisons tactiques, vont adopter ce soir une motion qui n'a aucune signification réelle. Ils le font dans l'espoir que l'on pourra ainsi, à peu de frais, mettre fin à ce que le ministre Lawrence Cannon appelle des «chamailleries» qui dureraient depuis déjà trop longtemps.
Et ça ne vous fait rien?
Le cynisme en politique, c'est ça.
Une autre fumisterie.
La motion n'a donc aucune portée juridique.
Elle n'entraîne non plus aucun engagement de nature politique puisque les députés qui l'adopteront diront qu'ils ne font que reconnaître une réalité «sociologique».
Il s'agit de plus d'un geste unilatéral d'Ottawa. Ce sont les députés fédéraux qui ont formulé la proposition, qui pourrait d'ailleurs ne pas avoir le même sens en anglais et en français.
Dans un processus de reconnaissance, la première étape est normalement celle du dévoilement de la partie voulant être reconnue. Celle-ci doit formuler une revendication.
Or il n'y a pas eu, récemment, de démarche politique permettant de cerner la nature d'une telle revendication québécoise.
Un débat latent se poursuit au Québec autant sur la nature de la nation que nous formons que sur le statut politique que celle-ci devrait avoir. Mais je ne crois pas que l'on puisse dire qu'une conclusion fut tirée récemment qui s'apparenterait à un consensus clair sur la nature des demandes du Québec au reste du Canada.
Le gouvernement libéral se refuse à toute autre démarche que celles de portée administrative ou budgétaire. L'ADQ prône une réforme constitutionnelle. Le Parti québécois et Québec solidaire proposent la souveraineté.
Pour avoir une idée de ce que pourrait recouvrir la revendication nationale québécoise aujourd'hui, il faut remonter à une quinzaine d'années.
La dernière fois qu'un processus politique de cette nature a eu lieu au Québec, c'était après l'échec de l'Accord du lac Meech. Robert Bourassa avait créé, en 1990, la Commission Bélanger-Campeau. Tous les partis politiques provinciaux et fédéraux ainsi que la société civile y étaient représentés, fédéralistes comme souverainistes.
Cette commission a conclu que «c'est en fonction des exigences d'une société globale, d'une collectivité qui forme un peuple distinct que, pour bon nombre de Québécoises et de Québécois qui ont comparu devant la commission, se pose la question de leur avenir politique, de leur statut par rapport à la communauté canadienne et à la communauté internationale. [...] Les attentes de la population sont élevées: elle veut voir le Québec récupérer des compétences dans tous les secteurs, qu'ils soient du domaine économique, social ou culturel.»
Or, si l'on en croit les spécialistes qui se sont penchés sur la motion Harper, non seulement, comme on le sait, celle-ci n'aura aucun effet sur le partage des pouvoirs au sein du Canada. Mais sa formulation anglaise (l'utilisation du mot Québécois en français dans le texte anglais) confirmerait que la reconnaissance nationale consentie de mauvaise grâce par Ottawa serait restreinte aux seuls Québécois d'ascendance canadienne-française.
Or la Commission Bélanger-Campeau ne parlait pas pour rien d'une «société globale». La nation québécoise qui existe bel et bien ne se définit plus, comme au temps de l'Accord du lac Meech, uniquement par la langue, la culture et le Code civil.
Aux yeux d'un nombre croissant de Québécois, bien qu'il n'y ait pas unanimité à ce sujet, la nation québécoise inclut une pluralité d'identités et regroupe l'ensemble des personnes vivant sur le territoire du Québec.
Si cette interprétation de la motion Harper est exacte, cette motion constituerait une régression pour le Québec qui refuse de plus en plus clairement d'être réduit à un foyer culturel.
La Commission Larose sur la langue française recommandait même il y a quelques années de créer une «citoyenneté» québécoise.
Bien sûr, la motion reste imprécise sur le sens à donner au mot nation. Cette imprécision permettra peut-être un jour, de l'utiliser pour justifier auprès des autres Canadiens quelque avancée pour le Québec, qu'il s'agisse d'accroître ses pouvoirs au sein du Canada ou de requérir la reconnaissance de sa souveraineté après un référendum clair sur cette question.
Quoi qu'il en soit, il n'adviendra rien de cette motion si les Québécois n'en font rien. La balle est donc dans notre camp. À nous de nous définir et de déterminer les voies de notre avenir. Et puis de tirer les conséquences des gains obtenus et des refus encaissés.
D'aucuns ont déjà tiré leurs conclusions.
L'épisode d'aujourd'hui ne fait strictement rien pour ébranler celles-ci.
michel.venne@inm.qc.ca
La balle est au Québec
La nation québécoise vue par les souverainistes québécois
Michel Venne35 articles
Directeur général Institut du Nouveau Monde
Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences...
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Directeur général Institut du Nouveau Monde
Michel Venne est le fondateur et le directeur général de l’Institut du Nouveau Monde. Il est le directeur de L’annuaire du Québec, publié chaque année aux Éditions Fides. Il prononce de nombreuses conférences et est l’auteur de nombreux articles scientifiques. Il est membre du Chantier sur la démocratie à la Ville de Montréal, membre du comité scientifique sur l’appréciation de la performance du système de santé créé par le Commissaire à la santé et au bien-être du Québec, membre du conseil d’orientation du Centre de collaboration nationale sur les politiques publiques favorables à la santé, membre du conseil d’orientation du projet de recherche conjoint Queen’s-UQAM sur l’ethnicité et la gouvernance démocratique.
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