BERNARD LANDRY
L'auteur a été premier ministre du Québec de 2001
à 2003. Il répond ici à un texte du ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, Benoît
Pelletier, [«Merci, M. Landry»->2630], que nous avons publié le 31 octobre dernier et qui était lui-même une réponse à [un texte de l'ancien premier ministre, publié le 27 octobre. ->2569]
Monsieur le ministre,
Vous n'aviez à me remercier de rien du tout. Je ne peux pas croire en effet que c'est ma lettre à Stephen Harper qui vous a appris que notre État national, malgré son statut toujours provincial, était plus puissant que bien des États qui jouissent de la Souveraineté complète. Se peut-il que vous ne saviez pas, par exemple, que les gouvernements des États baltes qui ont choisi l'indépendance depuis quelques années n'ont pas, à eux trois, et de loin, la puissance économique et financière du nôtre?
Vous ne pouvez non plus ignorer que des dizaines d'États membres des Nations unies sont loin d'avoir les capacités d'agir du gouvernement du Québec. Où se trouve dans mon analyse factuelle quelque révélation (!) qui me vaudrait votre gratitude? J'ai simplement repris d'une autre manière les propos de notre premier ministre qui a dit clairement aux Français, l'été dernier, que nous avons les moyens d'être indépendants.
Votre réaction à des faits simples et archi-connus, que j'ai rappelés en toute sincérité, me surprend au plus haut point. Les conclusions que vous en tirez m'étonnent encore davantage.
En effet, comment pouvez vous conclure que, parce que le Québec dispose déjà de moyens non négligeables, il devrait se priver de les accroître très considérablement par l'indépendance? Selon quelle logique faudrait-il se satisfaire de moins quand on peut avoir beaucoup plus sous prétexte que nous ne sommes pas totalement dépourvus? Avec l'indépendance, le budget du Québec doublerait pratiquement. Nous aurions évidemment amplement de quoi faire face à toutes nos obligations anciennes et nouvelles, même que nous pourrions enfin penser à dégager des surplus. De quoi avez-vous peur au juste?
Vous parlez de risque. Quel risque y a-t-il à assumer son destin de façon responsable quand nous convenons tous maintenant que nous en sommes capables? Vous me paraissez tout simplement manquer de confiance envers la nation québécoise et c'est à vous d'expliquer pourquoi. Votre argument en est un de peur au fond, ce qui n'est ni à votre honneur, et venant d'un ministre de notre gouvernement, ni à celui du Québec. Vous pouvez avoir vos raisons d'être fédéraliste et je les
respecte mais vous n'aidez pas votre Cause en la défendant avec
des arguments de crainte, d'incapacité et d'impuissance aussi
injustes que dépassés.
Santé et maintien de la paix
Concernant la force de maintien de la paix d'un Québec souverain à laquelle j'ai fait allusion, votre texte contient des propos tout aussi difficiles à comprendre. Vous dites qu'il est mieux que Jean Charest ait l'ambition de former davantage de professeurs, de travailleurs sociaux plutôt que de faire des dépenses militaires. Mais précisément tout le monde sait que déjà en payant nos impôts à Ottawa nous contribuons aux dépenses militaires canadiennes. La grande différence avec l'indépendance c'est qu'en plus d'avoir davantage d'argent pour la santé
et l'éducation, c'est nous et nous seuls qui déciderons de l'usage de tous ces moyens. Comme je nous connais nous serons plus portés sur les médecins, les professeurs et les travailleurs sociaux que sur
l'achat de chars d'assaut, auquel le Canada nous force à contribuer
aujourd'hui.
L'Europe: ni fédérale, ni confédérale
Vous affirmez aussi qu'en Europe les « fédéralistes incarnent le progrès ». L'Europe, après cinquante ans d'intégration et de coopération exemplaire, n'est ni une fédération ni une confédération et il est maintenant évident qu'elle ne sera jamais ni l'une ni l'autre. Cela fut dit et redit à satiété, à gauche comme à droite, durant la dernière campagne présidentielle française et à l'occasion du récent référendum perdu sur le traité constitutionnel. L'Uriion européenne a créé il est vrai des institutions de «type confédéral» en particulier pour gérer la monnaie commune, les quatre libertés, la double citoyenneté, etc. mais en conservant scrupuleusement la souveraineté des États-nations qui la composent et, comme vient de l'écrire Lionel Jospin, «sans se substituer à eux ». Tous sont toujours membres à part entière des Nations unies, de l'OMC, du FMI, de la Banque Mondiale et de l'UNESCO.
Dans cette dernière organisation notamment, aucun d'entre eux ne se contenterait d'un misérable strapontin. En plus, les Européens payent leurs impôts et taxes essentiellement à leurs gouvernements nationaux. C'est pourquoi, en passant, vous n'entendrez pas parler de déséquilibre fiscal dans l'Union et pour cause. La France consacre 7 % de ses ressources fiscales à l'Europe, comparativement à la moitié des nôtres envoyés à Ottawa. En plus, elle en reçoit quasiment autant en retour à travers la seule politique agricole commune. On est loin du rapport Séguin !
( ... )
Et la dignité
Enfin j'aimerais vous entendre parler un jour d'un élément central de la question nationale sur lequel vous gardez un silence inquiétant et auquel j'espère vous n'êtes pas insensible; il s'agit de la dignité. La première raison de faire l'indépendance, même si nous avons aussi toutes les raisons économiques et matérialistes de choisir la liberté, c'est d'assumer notre destin et notre identité nationale la tête haute d'une façon respectable à nos yeux et à ceux des autres.
Une nation qui peut être libre doit l'être et la plupart de celles qui le peuvent, le sont déjà. De nombreuses autres, il est vrai, n'en n'ont pas les moyens et partant ne peuvent effectivement le vouloir. Ce n'est évidemment pas le cas du Québec, nous sommes tous bien d'accord sur ce point fondamental: nous sommes capables.
Donc, si nous avons les moyens d'être indépendants, pouvez-vous m'expliquer pourquoi - autrement qu'en raison de craintes futiles - nous renoncerions à l'idéal, reformulé quelques mois avant sa mort, par le grand René Lévesque, d'être un pays «complet et reconnu».
Une question de dignité
La première raison de faire l'indépendance, c'est d'assumer notre destin et notre identité nationale la tête haute
La nation québécoise vue par les souverainistes québécois
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
19 novembre 2006(Correction pour les lecteurs : je ne vous ai pas fait parvenir, antérieurement, le bon copier coller) Merci de votre compréhension.
Monsieur Landry,
Je viens de lire votre texte du 16 novembre. Je dois vous dire qu'il m'étonne. Depuis que vous avez quitté la vie politique active, vous ne parlez plus de souveraineté, mais d'indépendance. Cette métamorphose me réjouit.
En 2003, la plate-forme électorale du PQ que vous dirigiez, indiquait les 25 façons de rester forts.... Le parti, dont vous étiez le chef, avait placé la souveraineté au 25e rang de ses priorités. La dernière sur la liste. Retournez vérifier. Comment expliquez-vous que le chef du PQ ait endossé une telle aberration ? Je ne vous comprenais pas à l'époque et je ne vous comprends pas encore.
Faisant une tournée européenne en 2001, particulièrement à Bruxelles, vous évoquiez, dans une entrevue avec des journalistes, une visite de l'un de vos éminents prédécesseurs, l'ancien premier ministre Robert Bourassa. Le chef libéral avait, en 1992, au grand dam de son entourage, évoqué la possibilité d'un référendum portant sur une souveraineté assortie d'une union économique avec le reste du Canada. Il avait dit alors que la question soumise pourrait avoir le libellé suivant : "Voulez-vous remplacer l'ordre constitutionnel existant par deux États souverains associés dans une union économique, responsable devant un parlement commun ?". A l'époque, le Parti québécois s'était royalement moqué de cette formule bourassienne. En 2001, vous aviez dit au journaliste qu'à la question de Bourassa, vous diriez OUI...A ce que je sache, Bourassa n'était pas indépendantiste.
Et j'en ai une autre prise dans LE DEVOIR du 9 mars 2003 où vous teniez à Katheleen Lévesque les propos suivants : « Je vois le Québec dans les Amériques comme la Belgique dans l'Europe. Si demain matin, Jean Chrétien (commentaire : il ne lui appartenait pas de nous donner cela), dans un geste spectaculaire, avant de quitter le gouvernement, disait :« J'offre au Québec, DANS LE CANADA, DANS l'Union CANADIENNE, le statut de la France dans l'Union européenne, », la question québécois serait réglée rapidement. Nous, on signerait et on le ferait ratifier par référendum, et on le gagnerait dans des proportions effarantes. »
Vos propos des dernières années, ne sont pas des propos indépendantistes. Ce sont des propos confédéralistes. Je les respecte. Mais ce n'est pas ce que je veux. Les Québécois, en votant OUI en 1995, ont voté pour rester dans le CANADA. Vous le dites expressément dans votre entrevue au Devoir du 9 mars 2003.
La prochaine fois, - si jamais il y a une prochaine fois- si la question ressemble à celle de 1995, je votera NON. Car je veux sortir du CANADA et non rester dedans comme vous le suggérez à la journaliste de Bruxelles, en 2001.
Nestor Turcotte (indépendantiste)
Archives de Vigile Répondre
19 novembre 2006Un seul mot, d'ordre «technique».
Il concerne les manières éditoriales de Gesca.
Quand il s'agit d'un texte pro-Canada, a fortiori lorsque rédigé (ou enfin, proposé) par une personne connue du grand public, Gesca y accorde toujours beaucoup d'espace. Elle en parle et en reparle, d'abord, et ledit texte est la plupart du temps largement accessible «gratuitement» (i.e. en complément à la version papier) sur le site du conglomérat (Cyberpresse). Et ce, plusieurs jours durant.
Or le texte de M. Bernard Landry, publié il y a 72 heures, aura été beaucoup moins accessible ou visible.
Typique, tout à fait typique, des manières Gesca.
Comme me le disait un ami personnel : «Une fois de plus c'est du « André Pratte » tout craché.»
«Ces gens-là» sont toujours à se draper dans la vertu de l'ouverture et du débat honnête et équilibré. Tant que ce sont leurs préférences politiques qui occupent l'essentiel de l'espace public...
C'est tellement dégoûtant, et si peu honorable, que j'en arrive à éprouver un haut-le-coeur (c'est rude, je sais, mais c'est tout de même mon sentiment, qu'il me faut bien assumer) juste à l'idée de me voir éventuellement «obligée» ou tenue de serrer la main de cet individu (ou de quelque autre Lysiane Gagnon ou Alain Dubuc du même groupe, tout entier et en tout temps axé sur la propagande : «Canada is the Best for Ever !»).
C'est vraiment risible une presse (et une Presse) aussi peu honnête dans cette Canadian Democracy dont on (ils) se targue(nt) tant.
Quant à la prise de parole de M. Bernard Landry, je la salue. Car l'essentiel se loge effectivement dans cette idée, propre à toute humanité qui n'usurpe pas cette dénomination même: la Dignité.
D'ailleurs, M. Landry, plus d'un parmi vos compatriotes ont déjà insisté, avec raison, sur ce noyau dur de la Liberté et de la Responsabilité (de soi). Par exemple, et parmi moult interventions au fil des ans, voire des décennies, de Pierre Bourgault à Michel Chartrand: [«Qui sort, digne !»->www.vigile.net/00-4/jlg-miroir.html].
MF
PS : Dans un tout autre ordre d'idées, mais puisque l'occasion m'est ici donnée d'exprimer mon «heureusité», je désire lever mon chapeau à madame Ségolène Royal. À qui je souhaite un Mai 2007 qui pourrait s'apparenter à certains égards - et sous ma plume l'allusion est on ne peut plus positive - à celui qui aura 39 ans simultanément. Aussi, ne désespérez pas madame Pauline...