Une nation? Yes Sir!

L'ancien premier ministre du Québec, Bernard Landry, écrit à l'actuel premier ministre du Canada, Stephen Harper

La nation québécoise vue par les souverainistes québécois


Monsieur le premier ministre,
le 24 juin dernier, à Québec, vous avez refusé de reconnaître l'existence de la nation québécoise tout en nous souhaitant par ailleurs une bonne fête " nationale ". Vous avez manqué ainsi une belle occasion de faire preuve de cohérence mais, en tout respect, peut-être aussi de franchise. Vous ne pouvez pas ne pas savoir que le Québec forme une nation: le monde entier le sait ou presque. Lester Pearson, Robert Stanfield et David Lewis le savaient déjà. C'était évidemment avant le négationnisme obstiné d'un Québécois, Pierre-Elliott Trudeau, qui a fait reculer sérieusement la lucidité canadienne en cette matière. Au Québec évidemment, la chose est maintenant consensuelle: René Lévesque le disait il y a longtemps. Jean Charest vient de le redire aux Français avec éclat l'été dernier comme son ministre Benoît Pelletier l'a écrit récemment dans Le Devoir d'une manière assez judicieuse.
Le sens des mots
Il faut avouer par ailleurs, à votre décharge, que le même Benoît Pelletier, avec une complaisance sans pareille, a tenté l'été dernier de vous excuser en prétendant que le mot nation n'a pas le même sens en anglais qu'en français et que dans votre langue maternelle il ne s'appliquerait qu'à des États possédant la souveraineté complète. S'il avait raison, vous auriez quand même pu reconnaître que le Québec forme une nation en français, une des langues officielles du Canada mais de toute manière, Benoît Pelletier s'est montré mauvais linguiste. Il semble n'avoir jamais remarqué que la reine Élisabeth et Tony Blair, dans leur langue nationale, parlent de l'Écosse comme d'une nation en dépit du fait que les efforts du Scottisch National Party ne l'aient pas encore amenée à son indépendance. D'ailleurs le fameux hymne écossais qui soulève les foules dans les stades est précisément intitulé " Flower of nation ". Il est évident que les Espagnols n'ont pas de problèmes non plus dans leur langue quand ils reconnaissent la " nacion " catalane. N'ayez donc aucune crainte, M. le premier ministre, vous pouvez dans les deux langues appeler notre groupe humain par son vrai nom: une nation ou " a nation ", aucun dictionnaire ne fait la moindre nuance.
Et nous avons tout ce qu'il faut pour mériter cette appellation: bonheurs et malheurs communs, projets et rêves communs, langue officielle et commune de communication publique, culture spécifique plus un fort sentiment de solidarité. En nous désignant correctement, vous feriez preuve de respect aussi bien envers nous qu'envers vos compatriotes du reste du Canada qui ont le droit d'entendre leurs dirigeants parler vrai. Ils ont tout intérêt à être informés de la réalité nationale québécoise telle qu'elle est, surtout que d'après des sondages récents seul un quart d'entre eux considère le Québec comme une nation.
Plus que sociologique
Au-delà de la dérive déjà mentionnée de Benoît Pelletier, je voudrais vous mettre en garde contre une autre qu'il a également commise tout comme l'ont fait aussi Stéphane Dion et d'autres, en toute bonne foi dans certains cas. Plusieurs en effet tentent d'édulcorer la réalité de notre nation en disant qu'elle ne serait que " sociologique " car elle n'est pas dotée d'un État jouissant de la souveraineté pleine et entière.
Cette façon de voir constitue une autre erreur. La nation québécoise possède et contrôle déjà un puissant État-nation, celui-là même que Jean Lesage appelait précisément " l'État du Québec ". Notre État-nation même sans la souveraineté complète est même plus puissant à certains égards que bien des États-nations formellement souverains ne le sont en réalité. Notre État dispose déjà d'importants moyens juridiques et financiers qui supportent des actions cruciales pour notre société dans les domaines de la culture, de l'éducation, de la solidarité sociale, de l'économie, de l'environnement, de la justice, du rayonnement international et nombre d'autres.
Quand Benoît Pelletier se rend, tous les mercredis, au Conseil des ministres, il ne fait pas de la sociologie ou de la science politique, il gère un puissant appareil étatique national de taille plus que respectable. La Caisse de dépôt, Hydro-Québec, la SAQ, la SAAQ, la SGF, instruments que sont loin d'avoir la plupart des pays membres des Nations unies, ajoutent au caractère d'État-nation de notre gouvernement. À tel point qu'au moment de l'indépendance, le Québec, pour exercer les nouveaux pouvoirs et responsabilités qui lui seront alors dévolus,- toutes nos lois, tous nos impôts et taxes et tous les traités internationaux- n'aura en pratique qu'un seul nouveau ministère à créer, celui de la défense nationale qui devrait d'ailleurs s'appeler celui du maintien de la paix. Il a déjà tous les autres, y compris celui des relations internationales, prêts à gérer l'ensemble des pouvoirs d'un État indépendant.
Même les libéraux
Récemment, celui qui pourrait être votre adversaire libéral aux prochaines élections, M. Ignatieff, vous a d'ailleurs pavé la voie puisque non seulement il reconnaît notre nation mais il l'a qualifiée fort judicieusement de nation civique, ce qui est profondément vrai et qui, soit dit en passant, fait ressortir l'absurdité mesquine et délirante des propos de Mme Jan Wong que vous avez si bien dénoncés. Dès sa naissance, notre nation a pratiqué un métissage intense avec les aborigènes d'abord et par la suite avec des hommes et des femmes, venus du monde entier qui se sont joints à elle pour élargir sa diversité et consolider son pluralisme. Notre aventure collective qui fut largement, il est vrai, celle de ceux qu'on appelait autrefois des Canadiens français déborde maintenant et depuis longtemps le cadre de l'ethnicité; elle est véritablement nationale et civique. L'expression " pure laine " ne convient plus vraiment qu'à ce qu'il nous reste d'industrie du textile!
Il y a à peine quelques jours, la section du Québec du Parti Libéral du Canada a également tourné le dos aux fondements même du credo canadien de Pierre-Elliott Trudeau en reconnaissant également notre statut national. Pour eux, c'est un revirement plus spectaculaire encore que s'il venait de vous!
Le temps est venu
Vous voyez, M. le premier ministre, vous avez maintenant toutes les raisons de ne pas attendre, si vous voulez nous souhaiter bonne fête " nationale " l'an prochain de manière cohérente, pour reconnaître ce que nous sommes vraiment, en votre nom et au nom du pays que vous dirigez. Cela ajouterait au dossier de franchise et de droiture que vous avez le mérite de vouloir cultiver et rendrait un énorme service, aussi bien au Canada qu'au Québec et à la vérité. Dans aucune hypothèse, la négation de la réalité ne peut servir de façon durable les intérêts des individus comme des peuples.
Évidemment, dès que cette reconnaissance sera réalisée, il faut que vous sachiez, en toute honnêteté, que vous serez par la suite confronté à la question suivante: pourquoi la nation québécoise devrait-elle se satisfaire du statut de province d'une autre nation et renoncer à l'égalité avec votre nation et toutes les autres? Encore et toujours une question de vérité et de cohérence.


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