Pourquoi le système scolaire québécois produit-il autant de décrocheurs ? Faut-il mieux former les enseignants ? Après avoir sillonné les régions tout l’automne, une nouvelle consultation publique pour « moderniser le système d’éducation » se termine à Québec le 1er décembre. De quelle école la société québécoise a-t-elle besoin ? Les réponses de huit observateurs et artisans dans cette série qui s’amorce avec le professeur Claude Lessard, ex-président du Conseil supérieur de l’éducation. Propos recueillis par Stéphane Baillargeon.
Si vous étiez ministre, quelle serait la priorité de votre mandat ?
Ainsi que le propose le Conseil supérieur de l’éducation, je prioriserais l’équité du système d’enseignement primaire et secondaire. Depuis le milieu des années 1980, celui-ci dérive lentement, mais sûrement : l’enseignement privé recrute de plus en plus au secondaire (dans plusieurs commissions scolaires, le pourcentage des élèves au privé dépasse les 30-40 %), les commissions scolaires multiplient les programmes enrichis et les projets particuliers (souvent sélectifs), les élèves de familles pauvres et immigrantes se concentrent dans les écoles publiques montréalaises, ainsi que les élèves en difficulté. Et l’on se surprend que la diplomation n’augmente qu’à pas de tortue ! […] Comme ministre, je ferais donc de la réduction des écarts de qualité entre les écoles ma priorité, et je chercherais des moyens efficaces pour augmenter la mixité sociale et scolaire. Ces moyens ne sont pas que scolaires : je mobiliserais mes homologues de la Famille, de l’Aménagement urbain, de la Lutte contre la pauvreté, de l’Emploi, du Salaire minimum, de l’Immigration, etc. J’articulerais aussi à cette priorité une stratégie d’alphabétisation des adultes, car ces adultes ont des enfants…
Que faut-il changer dans l’actuel système d’éducation ?
Notre fâcheuse habitude d’empiler les unes après les autres des politiques, des plans d’action, des stratégies, des réformes de ceci ou de cela. Notre système ressemble à un gros mille-feuille. Cela n’est pas que le fait des corporatismes. Il est causé par un fonctionnement politique à trop court terme. Car il y a une pression politique très forte pour qu’un gouvernement et un ministre — surtout si son espérance de vie en poste ne dépasse pas 18 mois —, montrent à la population qu’ils agissent promptement en réponse à des demandes souvent trop médiatisées. Alors, on décide de faire quelque chose sans se soucier des conséquences sur l’existant et sans non plus soigner sa mise en oeuvre. Par exemple, le souci légitime de contrer le harcèlement à l’école a amené le gouvernement à voter une loi qui, dans les faits, ajoute une couche de bureaucratisation à un système que par ailleurs nos politiciens dénoncent comme étant trop bureaucratisé ! […] Dans les années 1960, la commission Parent avait travaillé cinq ans pour produire son rapport ; au milieu des années 1990, la commission des états généraux a pris 18 mois. Voilà qu’en trois mois, on nous promet une politique de la réussite. Sera-t-elle vite faite, vite oubliée ?
Que faut-il conserver dans l’actuel système d’éducation ?
Les grands acquis de la Révolution tranquille : d’abord, une vision généreuse de l’éducation, la conviction qu’elle est un bien public autant que privé, profitable aux individus (quel que soit leur origine sociale, leur sexe, leur région d’appartenance ou même leur capacité) comme à la société. La croyance aussi que le Québec francophone ne tirera son épingle du jeu du XXIe siècle que par l’éducation. Ensuite, des réalisations significatives : les résultats PISA pour l’enseignement obligatoire, la contribution des cégeps à la culture générale, à la formation de techniciens spécialisés et à la démocratisation du postsecondaire, le formidable développement des universités et de leur capacité de recherche sur tout le territoire. […]
Les maux du système sont-ils liés à un manque de ressources ?
En partie, mais pas uniquement. On ne coupe pas impunément pendant plusieurs années sans que des services directs aux élèves soient touchés. On ne reconnaît pas de mieux en mieux les besoins des élèves sans que cela entraîne des services différenciés, donc plus dispendieux que des programmes identiques pour tous. Par ailleurs, rappelons que les maux du système ont un coût, sinon pour l’école, certainement pour la société. Si l’éducation demeure le meilleur investissement que peut faire une société dans son avenir, au-delà du niveau de ressources nécessaires, il y a aussi leur allocation aux bonnes priorités, ainsi que l’organisation du travail des professionnels de l’éducation qui sont importantes. Et là, inévitablement, des choix s’imposent, ainsi que des modes d’organisation du travail dans les écoles qui assurent la réussite du plus grand nombre. Au Québec, on n’a pas trouvé le bon équilibre entre l’autonomie des établissements et des encadrements systémiques uniformes.
Faut-il repenser la formation des maîtres ?
Je propose que l’on explore la possibilité de mettre sur pied au cégep un programme préuniversitaire de culture générale pour les futurs enseignants ; je n’en ferais pas la seule voie d’accès à la formation des maîtres universitaires, mais je l’offrirais à celles et ceux qui voudraient élargir leur culture générale avant de commencer une formation universitaire spécialisée. Cela serait utile, notamment mais pas exclusivement, pour les futurs enseignants du primaire. À l’université, j’offrirais des baccalauréats bidisciplinaires de trois ans, complétés par une maîtrise professionnelle de 45 crédits et pouvant être réussie en un an à temps plein, construite en étroite collaboration avec les commissions scolaires et essentiellement vécue sur le mode de l’alternance. […] Je m’assurerais à toutes les étapes de ce continuum — fin du cégep, fin du baccalauréat et fin de la maîtrise — que les futurs enseignants maîtrisent à l’oral comme à l’écrit la langue d’enseignement.
L’école à l’examen: «Notre système ressemble à un gros millefeuille»
Premier d’une série de huit textes
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