La descente aux enfers de Maxime Bernier n'est que l'un des symptômes qui affligent un gouvernement à la santé fragile: des controverses à répétition, aucune ligne directrice, un bureau du premier ministre paranoïaque en matière de communication... Est-ce qu'un remaniement ministériel et l'arrivée du nouveau chef de cabinet de Stephen Harper relanceront le gouvernement?
Ottawa -- L'image est maintenant célèbre. Maxime Bernier, souriant, arrive à Rideau Hall pour le remaniement ministériel du 14 août dernier avec à son bras Julie Couillard, rayonnante dans sa robe d'été. Mais cette séquence ne témoigne pas du véritable état d'esprit de Maxime Bernier en cette journée qui marquera le début de la fin. En réalité, le député de la Beauce ne voulait pas devenir ministre des Affaires étrangères.
Des sources proches de M. Bernier ont confirmé au Devoir qu'il était heureux comme ministre de l'Industrie et qu'il a eu un choc en apprenant sa mutation. La tête à l'économie depuis toujours, il atterrissait dans un autre monde, celui nuancé et casse-gueule de la diplomatie.
Une fois la surprise passée, il s'en est remis au jugement de son chef. «Avant tout, Bernier est loyal au premier ministre, explique une source qui le connaît bien. Si Harper dit bleu, il dit bleu. Mais c'est vrai qu'il aimait beaucoup l'Industrie. Il était très impliqué dans ses dossiers. Il a finalement dit oui parce que devenir chef de la diplomatie est une belle marque de confiance.»
Maxime Bernier, désorienté par son nouveau poste, a eu besoin de trois ou quatre mois pour maîtriser ses nouveaux dossiers. Harper lui-même a fini par avoir des doutes sur les capacités de son ministre, jugeant qu'il ne fallait pas le surcharger de travail.
À preuve, le rôle de Maxime Bernier n'était pas majeur au sein de l'important comité du conseil des ministres chargé d'élaborer et de coordonner les politiques du gouvernement en matière d'affaires étrangères, de défense et de sécurité. Ce comité est présidé par Peter MacKay. Le ministre de la Justice, Rob Nicholson, en est le vice-président. Maxime Bernier, pourtant le chef de la diplomatie, n'était qu'un simple membre du comité, au même titre que six autres ministres. Le comité spécial du cabinet sur l'Afghanistan, qui a vu le jour en février pour remettre la mission sur les rails, est quant à lui dirigé par David Emerson, ministre du Commerce international. C'est d'ailleurs M. Emerson qui a pris les rênes des Affaires étrangères sur une base intérimaire.
Maxime Bernier a pris davantage confiance en ses moyens après le dépôt du rapport Manley sur l'Afghanistan, le 22 janvier. Il pouvait alors jouer un rôle d'envergue et tenter de convaincre un allié de l'OTAN de venir prêter main-forte aux soldats canadiens à Kandahar en 2009. «Ça l'a motivé», dit une source conservatrice.
Dès le 23 janvier, il recevait d'ailleurs un coup de téléphone de la secrétaire d'État américaine, Condolezza Rice, qui avait lu le rapport Manley. Elle l'informe que Washington est prêt à fournir les 1000 soldats demandés sans problème. «Si c'est juste ça dont vous avez besoin, on peut l'annoncer dès demain», aurait dit Mme Rice, selon une source témoin de la conversation. Maxime Bernier a poliment décliné l'offre. Il estimait, en accord avec le premier ministre, qu'il valait mieux tenter de convaincre la France de venir en renfort du Canada, et ce, pour une question d'image. M. Bernier a ensuite mis toute la pression possible sur le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, qu'il appelait «mon ami Bernard» en privé. Sans succès, puisque les Américains viendront finalement à Kandahar, alors que Paris enverra ses soldats dans l'est de l'Afghanistan.
Début avril, Maxime Bernier disait en privé vouloir assumer plus de responsabilités dans la gestion de ses communications et ne plus être sous la tutelle du bureau du premier ministre. Il jugeait que ses affaires allaient plutôt bien. Puis, ce fut la débâcle. Quelques jours plus tard, il prononçait ses déclarations malheureuses sur le départ souhaitable du gouverneur de Kandahar, ce qui a anéanti ses espoirs de voir le bureau de Harper lui faire confiance.
Il a ensuite promis à l'ONU, après la catastrophe en Birmanie, des avions C-17 qui n'étaient pas disponibles au Canada, ce qui a coûté un million de dollars au trésor public pour louer un Antonov russe. La chute du ministre, devenue une vrille incontrôlable avec l'affaire Julie Couillard, s'est poursuivie jusqu'à cette semaine.
Et maintenant?
Le départ de Maxime Bernier force le premier ministre à revoir la composition de son cabinet. Dans l'entourage de Stephen Harper, on soutient que le remaniement à venir, d'ici la mi-juin, ne sera pas majeur. «Il a confiance en ses ministres», dit une source gouvernementale. Mais quand on commence à bouger les pièces du conseil des ministres, il est difficile de prévoir l'ampleur du casse-tête.
Le plus simple serait de laisser David Emerson aux Affaires étrangères, avec ou sans la responsabilité du Commerce international. L'homme est compétent et le premier ministre a une grande confiance en lui. Mais plusieurs rumeurs persistantes veulent qu'il ne se représente pas aux prochaines élections. Donner autant de visibilité à un ministre sur son départ empêcherait le gouvernement d'en tirer profit aux prochaines élections. De plus, dans l'entourage du premier ministre, on se demande si le fait de cumuler les deux fonctions n'est pas trop exigeant.
Le ministre des Transports, Lawrence Cannon, qui devient le meilleur vendeur des conservateurs au Québec, pourrait aussi assumer les fonctions de ministre des Affaires étrangères. Les noms de Tony Clement (Santé) et Jim Prentice (Industrie) circulent aussi.
Le caucus des députés du Québec n'ayant aucune profondeur, il est difficile de voir quel élu pourrait accéder au cabinet pour augmenter le poids de la province, actuellement de 15 % autour de la table du conseil des ministres.
Après mûre réflexion, Stephen Harper pourrait également décider de chambarder en profondeur son cabinet pour secouer ses troupes. Son gouvernement, il le sait, a besoin d'un nouveau souffle, lui qui est plombé par les controverses depuis janvier: l'affaire Cadman, le projet de loi C-10 sur la censure, la réforme de l'immigration, la fuite diplomatique qui a nui au candidat démocrate Barack Obama, la perquisition d'Élections Canada...
«Après deux ans et demi au pouvoir, c'est inévitable d'avoir des bonnes et des moins bonnes journées. C'est vrai qu'on a eu plus de mauvaises journées récemment. Mais on a aussi fait des bons coups, notamment dans le domaine de la sécurité des aliments et des objets», explique une source gouvernementale haut placée, qui ajoute: «C'est plus difficile de contrôler l'agenda avec un gouvernement minoritaire.» Visiblement, le discours du Trône de l'automne dernier a fait long feu.
Mais comme à pareille date l'année dernière, la minceur du menu législatif et le peu d'ambition affiché par le gouvernement laissent toute la place aux critiques de l'opposition. La moindre controverse prend de l'ampleur et s'étire pendant des jours, voire des semaines. Et, ce qui n'arrange rien, la stratégie de communication du gouvernement, qui consiste le plus souvent à se barricader sans répondre aux questions, alimente la confusion.
Dans l'entourage de Stephen Harper, on cite les chiffres des sondages pour démontrer que la situation ne va pas si mal. «Si c'était la grosse crise, les libéraux seraient confiants de gagner et nous renverseraient. Mais au contraire, les sondages tiennent bon. On est au coude à coude avec le Bloc au Québec et avec les libéraux en Ontario», dit un proche du premier ministre.
Aucun coup de sonde n'a toutefois été réalisé depuis la chute de Maxime Bernier, alors que les sondages du mois de mai montrent tout de même une hausse de l'insatisfaction envers le gouvernement.
Un nouveau chef de cabinet
Certains conservateurs espèrent que l'arrivée de Guy Giorno, qui remplacera Ian Brodie en tant que chef de cabinet du premier ministre en juillet, apportera un vent de fraîcheur. «Tout nouveau chef de cabinet a l'occasion de renouveler l'approche, dit une source bien placée. Ian Brodie demeurera proche du premier ministre, mais Guy Giorno aura sa manière de faire.»
Issu de l'équipe de Mike Harris -- il a été le chef de cabinet du premier ministre ontarien entre 2000 et 2002 --, Guy Giorno est décrit comme un brillant stratège qui a l'habitude de gérer des crises. Il n'est pas inconnu des conservateurs fédéraux, ayant donné un coup de main dans le «bunker électoral» lors de la dernière campagne. Il était dans l'équipe de planification qui décide de l'ordre des thèmes à aborder et des endroits où le premier ministre doit livrer ses discours. On dit de lui qu'il est efficace pour imposer le message dans la sphère médiatique.
Fervent catholique -- il fait sa prière avant tous les repas, y compris au restaurant --, il applique une stricte séparation entre sa foi et l'État, dit-on. Guy Giorno, 43 ans, pense d'ailleurs que le gouvernement ne doit pas être trop présent dans la vie des gens et croit à la responsabilité personnelle. Il est actuellement avocat à Toronto pour la firme Fasken Martineau, où il est spécialiste des lois sur le lobbying.
Joueur important de l'équipe du controversé premier ministre Mike Harris entre 1995 et 2002, il connaît très bien l'Ontario, où les troupes de Stephen Harper veulent augmenter leurs appuis aux prochaines élections. Un atout de taille, selon plusieurs sources.
L'affaire Bernier, symptôme d'un gouvernement grippé?
Les conservateurs procéderont à un remaniement ministériel et changent de chef de cabinet
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé