La discussion téléphonique a été corsée au conseil des ministres fédéral dimanche soir. Faut-il également fermer la frontière aux voyageurs américains ?
Le gouvernement Trudeau y réfléchit et pourrait devoir l’annoncer plus tard cette semaine. Mais ce n’est pas simple.
La décision d’interdire l’entrée au Canada à tous les citoyens de la planète, sauf les Canadiens et les Américains, a été décrétée par Ottawa lundi midi. Pour l’instant, l’épicentre du coronavirus est en Europe et en Asie, ce qui facilitait la décision.
Il faut dire que l’idée qu’une horde de touristes européens qui viendraient nous tousser dans le visage en visitant tranquillement le Stade olympique est un mythe. Les Européens ne voyagent plus depuis longtemps, puisqu’ils sont confinés à la maison, au centre de la crise et qu’ils ne veulent pas tomber malade à l’étranger, loin de leurs proches. Les avions qui atterrissent au pays sont donc essentiellement remplis de… Canadiens qui rentrent à la maison en catastrophe. Et il faut les recevoir. Obligation constitutionnelle.
Mais les États-Unis, c’est un casse-tête pas mal plus complexe. Et Donald Trump, un président imprévisible et souvent irrationnel.
Dans la crise du coronavirus, les Américains ont manqué le virage de prévention, estiment mes sources au gouvernement fédéral. « Notre plus gros problème, c’est que nous sommes à côté des États-Unis. C’est une bombe à retardement », m’a dit une source dans l’entourage de Justin Trudeau qui suit étroitement les développements au pays et au sud de la frontière.
Les États-Unis, en raison du déni de la Maison-Blanche, ont toutes les chances de devenir le prochain épicentre de la crise mondiale de coronavirus.
À ce jour, 25 000 tests de COVID-19 ont été administrés au Canada, qui augmente d’ailleurs rapidement sa capacité en laboratoire, au Québec comme dans les autres provinces. Au moment d’écrire ces lignes, aux États-Unis, c’était à peine 25 162 tests administrés. Autant qu’ici, pour une population dix fois plus nombreuse.
Il y a 11 millions de sans-papiers aux États-Unis, soit des illégaux qui n’iront jamais se faire tester dans un hôpital ou qui n’oseront pas manquer leur travail, souvent précaire, parce qu’ils sont malades, ajoutant au risque de contagion.
Il y a 27,5 millions d’Américains sans couverture d’assurance maladie, et qui ne se rendront pas se faire tester en clinique parce qu’ils ne peuvent pas se le payer ou alors parce qu’ils ne pourront pas s’offrir les soins s’ils sont testés positifs.
Le filet social américain étant minimal, bien des travailleurs ne veulent pas rester à la maison s’ils sont malades, n’ayant pas les moyens de le faire. Les congés payés de plusieurs jours pour cause de maladie ne sont pas la norme, sauf dans les grandes entreprises. Pourtant, les économistes Stefan Pichler et Nicholas Ziebarth ont démontré dans une récente étude qu’aux États-Unis, les endroits où les travailleurs peuvent profiter de congés de maladie payés avaient vu la transmission de la grippe réduite de 5 % en temps normal, et de 40 % en cas de vague soudaine de contagion.
De quoi être heureux du système de santé universel et étatique du Canada, et de notre filet social étendu qui joue un rôle protecteur en cas de crise comme celle-ci.
La situation aux États-Unis risque donc d’être très difficile dans les prochaines semaines. Justin Trudeau a abordé avec Donald Trump la possibilité de fermer la frontière canado-américaine aux voyageurs, mais le président américain ne veut rien savoir de cette idée, qui démontrerait qu’il a mal géré la crise et que son pays est un problème.
Comment réagirait-il si le Canada allait tout de même de l’avant ? Fâché, invoquerait-il la « sécurité nationale » pour interdire à certains produits de franchir la frontière vers le Canada ? Par exemple, 50 % des équipements médicaux utilisés au Canada proviennent des États-Unis. Près de 80 % de nos fruits et légumes à ce temps-ci de l’année viennent des États-Unis ou y transitent. Ainsi de suite.
Le plus important est de garder la frontière ouverte pour le commerce afin que le pays ne manque de rien, les deux économies étant fortement intégrées. La chaîne de distribution et de fabrication est intimement liée entre les deux pays.
« On est pris avec un président impulsif et il faut y aller avec doigté », m’a dit une source fédérale. Les discussions se poursuivent donc avec l’administration Trump sur la gestion de la frontière.
Dans son point de presse, Justin Trudeau a dit que les Américains qui franchissent la frontière devront se mettre en quarantaine volontaire au Canada. C’est une première étape. Pourrait-on leur interdire l’entrée au pays ? « Pas pour l’instant », a répondu Justin Trudeau. Les mots « pour l’instant », pèsent lourd. Ottawa surveille de près la situation aux États-Unis.
De plus, il y a 400 000 personnes par jour qui franchissent de part et d’autre la frontière entre les deux pays. De ce nombre, plusieurs milliers de Canadiens vont travailler aux États-Unis chaque jour et rentrent dormir à la maison. C’est une situation moins courante au Québec en raison de la langue, mais plus courante dans les villes frontalières du Nouveau-Brunswick, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique. Si la frontière est fermée aux voyageurs, il faut penser à des mesures pour ces travailleurs. Pas simple.
Pendant qu’on parle de l’Europe et de l’interdiction d’entrée au pays de leurs ressortissants, à Ottawa, le casse-tête des prochaines heures, c’est de gérer la bombe à retardement que représentent les États-Unis. Et Donald Trump.
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