Dans un geste sans précédent, le Barreau du Québec et le Barreau de Montréal viennent de s’unir pour demander aux tribunaux d'invalider les lois ou les règlements adoptés par le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale au motif qu'ils sont inconstitutionnels !
Admis au Barreau en 1974, j’en ai démissionné en 2008 car la cotisation annuelle était devenue trop élevée pour quelqu’un qui, comme moi, ne pratiquait plus la profession d’avocat depuis plusieurs années et n’en vivait plus. Je n’ai donc plus le droit de donner des opinions juridiques à titre d’avocat, ni de représenter des personnes physiques ou morales devant les tribunaux.
Je demeure cependant un avocat par ma formation, ma connaissance générale du droit et du fonctionnement du système judiciaire, ma façon d’aborder une question, d’analyser les faits, de les présenter et les représenter, et de rechercher des conclusions. Je continue aussi de porter un intérêt soutenu aux enjeux de la profession, et, tout non-cotisant au Barreau que je sois, je me sens vivement interpellé par cette décision que les deux Barreaux viennent de prendre.
Mon premier réflexe a été de me demander à quelle obligation elle répondait. Quelques recherches rapides m’ont permis de retracer la mission du Barreau telle qu’il la définit lui-même à partir de sa loi constitutive. Dans le cadre de sa participation récente à la consultation du sénat canadien sur les délais dans le système de justice pénale au Canada il la présentait de la façon suivante :
Afin d’assurer la protection du public, le Barreau du Québec surveille l’exercice de la profession, fait la promotion de la primauté du droit, valorise la profession et soutient ses membres dans l’exercice du droit. »
Rien dans ce texte, sinon de façon très indirecte, n’explique le geste du Barreau. Il faut en effet se rattacher à la « promotion de la primauté du droit » pour le comprendre, et encore faut-il accepter que les tribunaux puissent constituer un forum approprié pour ce faire, ce qui n’est pas acquis en partant.
Devant les tribunaux, les avocats font des représentations et non de la promotion. Les procédures que viennent d’intenter les deux barreaux et sur lesquelles ils vont faire des représentations en droit pour faire déclarer les lois du Québec inconstitutionnelles, constituent-elles une « promotion de la primauté du droit ? » Rien n’est moins certain. Le « droit » et « la primauté du droit » sont des notions distinctes.
Les deux Barreaux sont donc en terrain très glissant lorsqu’ils tentent de justifier leurs procédures en s’appuyant sur leur mission de « promotion de la primauté du droit ». Et ils s’écrasent dans la boue lorsqu’on apprend que
Le Barreau de Montréal a reçu « une subvention de 125 000 dollars » d'un programme fédéral afin de « couvrir les frais liés » au recours juridique déposé avec le Barreau du Québec pour faire invalider les lois et les règlements adoptés par l'Assemblée nationale au motif qu'ils sont inconstitutionnels. »
En fait, lorsque les deux Barreaux entreprennent cette procédure, ils prennent fait et cause pour la thèse selon laquelle les lois du Québec seraient inconstitutionnelles et ils présument que les tribunaux vont leur donner raison. Sachant qu’une action de ce genre devra nécessairement être débattue à tous les paliers, Cour supérieure, Cour d’Appel et Cour suprême, il est loin d’être garanti qu’ils auront gain de cause à chaque niveau.
Dans notre système juridique, il appartient aux tribunaux de dire le droit, et non au Barreau qui se retrouvera en fort mauvaise position vis-à-vis sa propre mission si sa demande est rejetée à un palier ou un autre. Vous avez dit « promotion de la primauté du droit ? »
Même La Presse, toute acquise soit-elle au fédéralisme canadien et à sa volonté d’éradiquer toute trace de velléité nationale au Québec n’en revient pas et trouve que le Barreau non seulement en fait trop mais fout carrément le bordel. En éditorial, Paul Journet va même jusqu’à le taxer de recourir à « l’arme nucléaire » !
Dans sa requête déposée vendredi, le Barreau demande que l'entièreté des lois, règlements et décrets du Québec soient déclarés « nuls, inopérants et sans effet ». Gros après-midi au bureau...
La traduction en anglais des lois québécoises comporte parfois des imprécisions. On se trouve avec deux versions contradictoires. C'est un réel problème. Mais pour le régler, le Barreau n'a rien trouvé de plus précis que l'arme nucléaire.
Pour défendre le français, le Barreau ne manifeste pourtant pas ce zèle. On ne l'a pas entendu dénoncer l'apparente violation de la loi 104, qui prévoit que Québec doit communiquer « uniquement » en français avec les personnes morales. Son bureau du syndic avait par contre sanctionné un avocat pour avoir déploré qu'une juge rédige un jugement unilingue en anglais même si tout le procès s'était déroulé en français.
Le Barreau répète que les délais étranglent le système de justice. Mais au lieu d'y consacrer toutes ses énergies, il menace d'engorger les travaux de l'Assemblée nationale, en exigeant que les projets de loi soient écrits en même temps en français et en anglais, du dépôt jusqu'à l'adoption. »
[Mes caractères gras]
Plus on l’examine, moins la démarche du Barreau est acceptable. Toutes les démarches juridiques entreprises pour contester la Loi 101 n’ont jamais soulevé cette question. Toutes ont été entreprises par des simples citoyens, parfois avec l’appui de groupes de pression. Mais le Barreau n’est pas un groupe de pression attaché à une communauté linguistique ou l’autre.
Quelle urgence existait-il à régler cette question ? Personne ne se battait dans les rues ou le métro. Aucune manifestation. Ni morts, ni blessés. Même pas le moindre article dans les journaux.
Alors il faut poser la question qui tue. Pour qui roule le Barreau dans cette affaire ?
C’est un ordre professionnel au service de la collectivité québécoise dans son ensemble, et il n’a pas vocation à la diviser en prenant fait et cause pour une communauté ou une autre. Lorsqu’il le fait, il trahit ! Sa propre mission, et la collectivité québécoise qu’il a mandat de servir.
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5 commentaires
Jean-Claude Pomerleau Répondre
24 avril 2018Pour clairifier la situation :
Le Québec s'est reconnu comme un État de jure par la Loi 99, confirmé par la récente décision du tribunal.
Il faut faire du francais la langue de l'État du Québec. Simplement en modifiant l'article 8 de la Loi 99.
JCPomerleau
Marc Lapierre Répondre
22 avril 2018Je serais bien curieux de connaître le pourcentage de causes ou litiges qui sont débattus en anglais devant les cours du Québec. Quoi qu'il en soit avec cette subvention de 125 000$, on se retrouve encore une fois dans un cas de figure où les Québécois payent de leur poche les barreaux de la cellule de prison qui les enferment toujours plus. Tel est le sort des colonies.
Sans être juriste je constate que, dans la section "langues officielles" de la Charte à Trudeau, il est question de bilinguisme seulement dans "les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada". Pour ce qui est des provinces, il n'y a que le N-B qui est spécifiquement évoqué et soumis aux même obligations probablement parce que la province est légalement "bilingue". Nulle part il est précisé que cela doive s'appliquer à l'Assemblée Nationale du Québec. C'est à suivre...
Reste aux avocats qui ont une fierté nationale et un sens de l'état (heureusement il y en a) à monter aux barricades et remettre les larbins du Barreau et autres parvenus sans honneurs à leur place, c'est-à-dire à leurs magouilles habituelles.
Catherine Doucet Répondre
22 avril 2018Et si ce débat autour de la traduction française ou anglaise des textes de loi apportait la preuve que chaque nation possède un esprit propre auquel correspond une façon de concevoir la loi et que celle-ci est intraduisible?
Ainsi, pour que puisse cohabiter dans cette province de Québec deux univers mentaux différents, celui des Français et celui des Anglais, il faudrait que chacun d'eux puisse disposer de son propre appareil judiciaire.
Dans ce cas je remercie le Barreau pour sa contribution inattendue (et sans doute involontaire) à la cause de la reconnaissance de la différenciation nationale.
Éric F. Bouchard Répondre
21 avril 2018Il faut déplorer, en cette affaire comme dans bien d’autres, le manque de rigueur de nos journalistes et de nos chroniqueurs patentés ou autoproclamés. À les lire, on remarque bien davantage l’éclat de leur indignation qu’un exposé fiable des tenants et des aboutissants du problème. Seul Antoine Robitaille semble faire exception.
Quels sont ces tenants? Les Barreaux de Montréal et de Québec se plaignent de mauvaises traductions anglaises de nos lois qui trahiraient la volonté du législateur. Le fait pour un Québécois de demander un procès en anglais ou en français pourrait ainsi entraîner un verdict différent.
C’est tout de même gênant. Cela signifie que la justice pourrait ne pas être la même pour tous selon qu’on en suive la version anglaise ou la version française. Est-ce que cela justifierait néanmoins l’invalidation de toutes les lois québécoises? Est-ce que cela entraînerait un processus lourd d’élaboration bilingue peu praticable. Ce serait étonnant, et on peut dire avec raison que les Barreaux poussent un peu loin le bouchon (sans doute par stratégie), mais s’il faut en débattre, que les spécialistes le fasse.
Plutôt que de convenir posément de cela, nos dignes chroniqueurs préfèrent déchirer leur chemise et frapper à bras raccourcis sur les Barreaux québécois, au prétexte que la demande de ces derniers témoignerait d’une honteuse attitude de colonisé. On se demande bien où ces chroniqueur vont chercher cela. L’article 7 du chapitre III de la loi 101 stipule pourtant bien que :
Le français est la langue de la législation et de la justice au Québec sous réserve de ce qui suit:
Si les Barreaux du Québec considèrent que les traductions fautives de nos textes de lois sont si nombreuses qu’elles compromettent l’administration de la justice telle que prévue par l’article 7 de la loi 101, on ne voit pas en quoi ils se rendraient coupable d’une charge envers cette dernière. Bien au contraire, ils agissent là dans l’esprit de la réelle québécitude, celle de la loi 101 ou de la loi 99 qui définissent le peuple québécois comme comprenant des francophones et des anglophones, ces derniers ayant l’assurance pour l’avenir (quel qu’il soit) du respect de leurs droits consacrés. Et puis surtout, cette traduction ne concerne pas que les anglophones, puisque tout Québécois peut choisir à sa guise (dixit la loi 101) le français ou l’anglais pour être jugé.
Encore une fois, nos chroniqueurs soi-disant nationalistes semblent incapables d’admettre la réalité. Ils préfèrent entretenir une conception fausse de la québécitude, un Québec français qui n’a plus aucune légitimité depuis plus de 40 ans et qui interdit d’emblée toute action politique conséquente, mais qui a l’avantage de leur donner bonne contenance.
Sur cette question, il y a pourtant matière à débattre. Pour un nationaliste canadien-français le problème soulevé par les Barreaux québécois est de premier ordre. C’est celui de la traduction des textes législatifs. Ce que nous démontrent les Barreaux, bien malgré eux sans doute, ce sont les graves dérives inhérentes à une justice bilingue à la québécoise. Graves en termes de justice, mais aussi en termes de perte d’identité civilisationnelle.
L’esprit de la langue française n’est pas le même que celui de l’anglais et l’esprit de la Common Law n’est pas celui du Code civil. Il en ressort que, minoritaire en Amérique, notre conception du droit sera toujours difficile à adapter, à traduire pour l’Anglo-Saxon. Il s’ensuit que du moment où il nous faut partager une justice bilingue, c’est le français et notre conception française du droit qui devra toujours s’adapter au droit britannique (et quiconque connaît un peu notre histoire constitutionnelle sait ce que ce genre de compromis forcés nous aura coûté depuis 1867).
Pour combattre cette acculturation structurelle, il n’y avait qu’une solution : obtenir une justice et une administration de la justice qui ne concernent que les Canadiens-Français (Vous vous souvenez de la devise des Anciens : notre langue, nos institutions et nos lois). En somme, un système judiciaire pleinement français. Objectif que l’État national canadien-français de Daniel Johnson aurait certainement visé.
Mais la québécitude est advenue, balayant 200 ans de reconquête. Elle nous renfonça plus que jamais dans le piège de la traduction obligée par le partage d’une nouvelle identité avec les anglophones. Et pour finir, la loi 99 est venue parfaire le tout en garantissant qu’il en serait ainsi à jamais, advenant même une éventuelle souveraineté. Pourquoi croyez-vous donc qu’Ottawa et Québec se satisfassent du dernier jugement de la juge Dallaire?
S’il eut été préférable pour eux que la loi 99 soit invalidée, le fait qu’elle ne le soit pas n’est pas catastrophique. Pour l’essentiel, cette loi s’accorde à l’ordre canadien en niant l’existence et le droit à l’autodétermination de la nation canadienne-française au profit d’un peuple québécois bilingue dont la communauté d’expression anglaise reprend toujours plus ouvertement un rôle dominant.
Jean Lespérance Répondre
21 avril 2018C'est quand même bizarre que le Barreau s'insurge contre tout notre système de lois, les déclarant inconstitutionnelles. Quand Jacques Antoine Normandin déclarait que toutes nos lois étaient inconstitutionnelles, je n'ai jamais vu le Barreau l'appuyer. Il est même en prison pour ne pas avoir voulu payer de l'impôt. De toute façon, inconstitutionnelles ou pas, jamais le Canada ne va respecter quoique ce soit. Le Canada va faire exactement la même chose que l'Espagne fait avec la Catalogne, on va accuser les individus d'enfreindre toutes sortes de lois inexistantes, porter contre eux de fausses accusations et même les mettre en prison illégalement. Et il va obtenir le support de nombreux pays. Nous vivons dans un état totalitaire, un totalitarisme mou me direz-vous, mais ça pourrait changer très vite et devenir un fascisme hitlérien. Vous pensez que j'exagère, que c'est impossible, pas du tout, Jean Chrétien lors du scandale des commandites avait déclaré que c'était l'équivalent d'une guerre et qu'en temps de guerre, tout est permis. Il n'aurait pas hésité une seconde à envoyer l'armée et à faire exactement la même chose que Trudeau (père) , emprisonner n'importe qui sans aucune accusation. De quoi se mêle le Barreau? Veut-il une nouvelle constitution? Un nouveau Lac Meech? Il veut tout simplement foutre la pagaille. Dans quel but? Il faudrait le demander au Parti libéral du Québec car c'est à coup sûr une commande de ce parti. En temps d'élections, il y a toutes sortes de manoeuvres hypocrites pour nous fourvoyer, nous aveugler. Et quand c'est le fédéral qui paye, pourquoi s'en priverait-il?