Finis, les libéraux fédéraux?

Élection fédérale du 2 mai 2011 - au Québec : une « insurrection électorale »


Michael Ignatieff se présente devant ses partisans après l’annonce des résultats de la dernière élection fédérale. Le 2 mai dernier, le Parti libéral est devenu pour la première fois de son histoire un tiers parti à la Chambre des communes avec seulement 34 députés.

: Mike Cassese

Le 2 mai dernier, le Parti libéral fédéral est devenu pour la première fois de son histoire un tiers parti à la Chambre des communes avec seulement 34 députés, loin derrière le NPD qui lui en a fait élire 103. Le «Natural Governing Party» est-il voué à végéter dans cette position pendant longtemps, voire à disparaître?

On pourrait le penser à la lumière du destin des libéraux britanniques, qui après avoir connu cette infortune durant les années 20, sont demeurés sans interruption un tiers parti. L'an dernier, ils ont été réduits à conclure un accord de coalition qui a fait d'eux de seconds violons, pour ne pas dire des paratonnerres, des tories de David Cameron.

On songe aussi, plus près de nous, à l'Union nationale, dont le glissement au troisième rang en 1970, masqué temporairement par la carte électorale, a préludé à la disparition. Ou encore au Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney qui, après avoir été écrabouillé en 1993, n'a pu renaître de ses cendres qu'au prix d'une fusion avec l'Alliance canadienne pour former un parti qui ressemble plus au Reform Party qu'aux tories d'antan.

Retrouver sa splendeur

L'histoire électorale canadienne suggère cependant une réponse assez différente. Un grand parti peut glisser au troisième rang, ou même tomber encore plus bas, et retrouver, parfois assez rapidement, son ancienne splendeur. Même que le plus souvent, c'est cela qui se produit.

Ce fut le cas des conservateurs fédéraux en 1921, relégués temporairement au troisième rang par la percée des progressistes. Ces derniers furent assez sots pour refuser le statut d'opposition officielle au motif qu'ils détestaient la notion même de parti, et furent rapidement réduits à peu de chose. Les conservateurs revinrent au pouvoir brièvement, à l'été de 1926, et à nouveau en 1930.

Tous se rappellent que le Parti québécois a été relégué en 2007 au troisième rang, au chapitre des voix comme à celui des sièges, par la montée subite de l'ADQ. Emporté par l'enthousiasme, un de mes estimés collègues avait cru pouvoir s'exclamer: «Notre XXIe siècle politique débute ce matin.» Disons que le siècle est passé plutôt vite...

Ontario et Nouveau-Brunswick

L'Ontario connaît le tripartisme depuis la fin de la Première Guerre mondiale, et libéraux comme conservateurs ont paru un moment en voie de disparition. La tornade progressiste de 1919 relégua ces derniers au troisième rang, mais ils revinrent au pouvoir dès 1923 avec Howard Ferguson. Tombés à leur tour au troisième rang en 1943, les libéraux ont eu plus de mal à s'en remettre. Redevenus deuxièmes en 1945, ils retombent au statut de tiers parti en 1948, mais retrouvent le deuxième rang en 1951. Ils retombent au troisième rang en 1975, retrouvent le statut d'opposition officielle deux ans plus tard et reviennent au pouvoir en 1985 avec David Peterson, et en 2003 avec Dalton McGuinty.

La CCF (ancêtre du NPD) créa une commotion au pays en 1943 en obtenant le statut d'opposition officielle dans la plus grosse province, le perdit en 1945, le retrouva en 1948, le perdit en 1951, le récupéra en 1975, le perdit à nouveau en 1977, et se retrouva finalement au pouvoir en 1990 avec Bob Rae! Après avoir fait figure eux aussi de «Natural Governing Party», ayant gouverné la province pendant 42 ans, les progressistes-conservateurs tombèrent au troisième rang en 1990, mais reprirent le pouvoir en 1995 avec Mike Harris. Les conservateurs du Nouveau-Brunswick disparurent de la Chambre en 1987 et furent relégués au troisième rang par la COR en 1991, mais sont revenus au pouvoir en 1999.

Rares fusions

On pourrait multiplier les exemples. Dans l'histoire électorale des provinces depuis les années 20, il est arrivé une bonne douzaine de fois qu'un parti majeur glisse au troisième rang. Dans la grande majorité des cas, ce parti a réussi par la suite à retrouver le statut d'opposition officielle, ou même à revenir au pouvoir. Les fusions, comme celle qui a donné naissance au Saskatchewan Party en 1997, ont été très rares. Ne sont demeurés tiers partis de façon (jusqu'ici) définitive que les conservateurs de Colombie-Britannique (après 1952) et les libéraux du Manitoba (depuis 1969); et là encore, ces derniers retrouvèrent brièvement la deuxième place en 1988.

Les partis naissent plus facilement qu'ils ne meurent. Les grands partis ont normalement en leur sein un réservoir de talent et d'expérience qui leur permet de surmonter à long terme des infortunes traumatisantes comme celle qui vient de frapper les libéraux fédéraux. La volatilité électorale dont ils ont été victimes constitue encore leur meilleur espoir pour l'avenir. Les néodémocrates ont bien raison de se réjouir de leur succès historique, mais ils sont les premiers conscients de la fragilité de leur nouveau statut. Plus de la moitié de leurs députés doivent leur succès à une brusque vague survenue dans une province importante mais atypique, prompte aussi bien aux enthousiasmes instantanés qu'aux déconvenues profondes.

L'arrimage de la cinquantaine de députés inexpérimentés — et souvent très nationalistes — élus au Québec avec leurs collègues des autres provinces sera fort probablement laborieux. Personne n'a vu venir Jack Layton cette fois-ci, mais les projecteurs seront braqués sur lui la prochaine fois. D'ici quelque temps, les libéraux fédéraux pourraient bien pouvoir reprendre à leur compte le mot fameux de Mark Twain: les rumeurs de mon décès sont grandement exagérées.

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Louis Massicotte - Professeur de science politique à l'Université Laval


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