(Ottawa) Le gouvernement Trudeau n’a plus de véritable cible budgétaire lui permettant de contrôler le déficit et la dette, déplore Robert Asselin, ancien proche collaborateur de l’ancien ministre des Finances Bill Morneau.
Dans une analyse exhaustive publiée mercredi, M. Asselin estime qu’il faut redresser la barre afin d’éviter l’ornière des déficits structurels, comme ç’a été le cas dans les années 1970-1980. À l’époque, la crise des finances publiques était telle que le tiers des revenus du gouvernement fédéral servait uniquement à payer les frais d’intérêt sur la dette accumulée, forçant l’ancien gouvernement Chrétien à pratiquer des coupes dans les programmes sociaux, dans les années 1990, afin d’éviter un naufrage financier.
La situation n’est pas aussi critique qu’elle ne l’était il y a trois décennies, souligne M. Asselin, qui convient du même souffle qu’Ottawa n’avait d’autre option que d’enregistrer des déficits historiques afin de contrer les effets de la pandémie de COVID-19. Mais elle pourrait le devenir si le gouvernement Trudeau continue de voguer tel un bateau sans véritable gouvernail sur une mer agitée, a-t-il imagé.
« La pandémie continuera, dans un avenir rapproché, de freiner l’activité économique de manière considérable. Même si un vaccin efficace facilite le retour à un monde “normal” au cours des prochains mois, le Canada et plusieurs autres pays sortiront de la crise avec des cicatrices économiques et financières de taille », prévient M. Asselin, qui est aujourd’hui premier vice-président, politique publique, au Conseil canadien des affaires.
Cible budgétaire
M. Asselin, qui a également été proche collaborateur de Justin Trudeau avant qu’il ne devienne premier ministre, a rappelé que, dans le meilleur des scénarios, « le déficit du gouvernement fédéral pour l’exercice financier actuel s’élèvera à près de 450 milliards de dollars et la dette publique fédérale se trouvera bien au-delà de 1000 milliards de dollars ».
Ce déficit historique, qui représente environ la moitié de l’économie canadienne, illustre l’importance qu’Ottawa établisse une nouvelle cible budgétaire, selon M. Asselin.
En 2015, les libéraux de Justin Trudeau avaient promis de soutenir la croissance économique en présentant des déficits « modestes » d’environ 10 milliards de dollars par année pour investir dans des programmes comme les infrastructures et de rétablir l’équilibre budgétaire au plus tard dans la dernière année de leur premier mandat.
Or, le gouvernement Trudeau a présenté des déficits qui se sont avérés près du double de ce que les libéraux avaient évoqué en campagne électorale, et ils ont remis indéfiniment tout retour à l’équilibre.
Reporté au pouvoir lors des élections de l’automne dernier, le gouvernement Trudeau s’est accroché au ratio de la dette en proportion de la taille de l’économie, qui était alors d’environ 30 %, comme principale cible budgétaire. Mais le déficit du présent exercice financier fera passer ce ratio à environ 48 %.
Quelle est la cible budgétaire maintenant ? Le premier ministre Justin Trudeau est demeuré évasif mercredi lorsqu’il a été interrogé à ce sujet à Toronto, se bornant à dire que le gouvernement fédéral qu’il dirige prendrait les mesures qui s’imposent pour soutenir les travailleurs, les familles et les entreprises en cette période économique difficile.
À son bureau, on s’est montré tout aussi peu loquace, expliquant que les taux d’intérêt historiquement bas font en sorte que les frais de la dette sont aujourd’hui moins élevés que l’an passé, même si le gouvernement fédéral a ajouté plus de 340 milliards de dollars à la dette accumulée au cours des derniers mois.
Faibles taux d’intérêt
M. Asselin souligne à grands traits que les faibles taux d’intérêt n’ont rien de rassurant à la longue si on ajoute des centaines de milliards à la dette. Et il ajoute qu’il est crucial que le gouvernement se dote d’une cible budgétaire crédible pour quatre raisons.
D’abord, cela est essentiel pour préserver la confiance des prêteurs et des marchés financiers afin de maintenir un accès au crédit à des taux favorables. Ensuite, cela permet de créer un climat favorable aux investissements pour les entreprises. Tout aussi important, une cible force à établir une discipline budgétaire au sein du gouvernement fédéral. « Si la ministre des Finances n’a pas de cible budgétaire, il sera très difficile pour elle d’imposer des contraintes à ses collègues du cabinet et du caucus », rappelle-t-il. Enfin, cela permet de s’assurer que le gouvernement conserve une capacité de réagir à de futurs soubresauts économiques et à des crises inattendues.
« Les cibles financières représentent des plafonds relatifs aux dépenses publiques, aux déficits et à la dette que les gouvernements sont prêts à tolérer dans leur politique budgétaire », soutient-il, refusant toutefois de s’avancer sur ce que devrait être la cible idéale dans le contexte économique actuel.
Cette mise en garde de M. Asselin survient alors que le gouvernement Trudeau se montre disposé à présenter un plan de relance économique qui pourrait friser les 100 milliards de dollars cet automne, selon des informations rapportées par le quotidien National Post. Elle survient aussi après que le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a affirmé qu’un déficit dépassant les 300 milliards par année n’était pas tenable à très court terme.
Dans une entrevue qu’il a accordée en fin de semaine à l’émission The West Block de Global News, M. Giroux a soutenu que le gouvernement fédéral tomberait dans l’ornière des déficits structurels d’ici deux ans si le manque à gagner atteignait encore les 300 milliards l’an prochain.
« Cela ne fait aucun doute qu’on ne peut pas se permettre des déficits de plus de 300 milliards de dollars pour plus de quelques années. Et quand je dis quelques années, je veux vraiment dire un an ou deux. Au-delà de cela, ce serait tout simplement intenable », a lancé M. Giroux, qui joue le rôle de véritable chien de garde des contribuables à Ottawa.