Climat: catastrophe à l’horizon

Déjà, les changements qui s’opèrent ont des impacts importants sur tous les continents

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La sombre réalité que personne ne veut regarder en face

Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) est venu préciser cette semaine l’ampleur des bouleversements qui attendent l’humanité si elle ne parvient pas à infléchir la trajectoire climatique actuelle. D’où l’appel à l’action renouvelé par plusieurs, alors que la communauté internationale s’est fixé l’objectif ambitieux de parvenir l’an prochain à un accord sur la lutte contre les changements climatiques.
La publication lundi du nouveau rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) est pratiquement passée inaperçue dans les sphères politique et médiatique, même si la conclusion est on ne peut plus claire : la science nous prédit une catastrophe sans précédent dans l’histoire si l’inaction demeure la norme dans le dossier des changements climatiques.

Déjà, les bouleversements du climat « ont des impacts sur les systèmes naturels et humains sur tous les continents et à travers les océans », constatent les scientifiques dans le rapport Changement climatique 2014: conséquences, adaptation et vulnérabilité. « Ce qui est frappant dans les incidences observées de ces changements, ajoutent-ils, c’est qu’ils se produisent depuis les tropiques jusqu’aux pôles, depuis les petites îles jusqu’aux grands continents, et depuis les pays les plus riches jusqu’aux plus pauvres. »

Pour la première fois, le GIEC prévient que la transformation provoquée par l’activité humaine pose une sérieuse menace pour l’approvisionnement alimentaire mondial. « Tous les aspects de la sécurité alimentaire sont potentiellement affectés », note le rapport. Plusieurs cultures alimentaires essentielles, comme le riz, le blé et le maïs, seront d’ailleurs de plus en plus malmenées au cours des prochaines années. La baisse pourrait être de l’ordre de 2 % par décennie, alors que la demande risque de bondir de 14 % d’ici à 2050. Des denrées de consommation courante comme le café et le vin devraient elles aussi pâtir. D’après le rapport, le prix des aliments devrait augmenter de 3 % à 84 % d’ici 2050.

Les pêcheries mondiales risquent aussi d’encaisser des reculs significatifs. Dans les zones les plus méridionales, notamment, plusieurs espèces devraient carrément disparaître. Déjà, le Programme des Nations unies pour l’environnement prévoit qu’il ne sera plus possible d’exploiter commercialement les poissons des océans d’ici 2050. Le GIEC craint en outre une réduction « significative » des eaux de surface et souterraines dans plusieurs régions, avec des impacts attendus sur la qualité de ces eaux. Le texte évoque notamment des risques de pénurie en Afrique et en Asie, les deux régions les plus peuplées au monde.

Les impacts économiques seront réels, peut-on également lire dans la plus importante synthèse de connaissances sur la science du climat depuis 2007. Le changement climatique va « ralentir la croissance […] et créer de nouvelles poches de pauvreté ». Une aggravation des événements climatiques extrêmes devrait par ailleurs engendrer des déplacements de population, soulignent les scientifiques. « Moins d’eau et de ressources alimentaires, des migrations accrues, tout cela va indirectement augmenter les risques de conflits violents », met en garde le GIEC.

Nous ne sommes pas prêts

Malgré l’ampleur des conséquences mises en lumière, « nous ne sommes pas préparés aux risques climatologiques auxquels nous faisons déjà face », a prévenu cette semaine Vicente Barros, coprésident du Groupe de travail II, qui a rédigé le rapport.

Sa publication a fait peu de bruit, au-delà des voeux pieux répétés depuis déjà quelques années. Le secrétaire d’État américain, John Kerry, a ainsi rappelé que seules des décisions « rapides et courageuses » permettraient d’éviter la catastrophe. « On ne peut se payer le luxe d’attendre. Le prix de l’inaction serait catastrophique. Nier la science est une erreur », a insisté le chef de la diplomatie des États-Unis.

Au Canada, le gouvernement Harper, questionné par l’opposition, a simplement répété qu’il faisait des efforts importants pour lutter contre les changements climatiques. Son bilan indique toutefois que les cibles fixées par les conservateurs — plus modestes que celles du Protocole de Kyoto — ne seront pas atteintes. En fait, les émissions devraient augmenter, portées par l’exploitation des sables bitumineux.

Au Québec, le rapport du GIEC n’a été commenté par aucun des trois principaux partis en campagne électorale. Et selon un bilan dressé par plusieurs groupes environnementaux, aucune des formations qui peuvent espérer former le prochain gouvernement n’a pris les engagements nécessaires pour atteindre les cibles fixées pour la province.

Quel accord pour 2015?

Confrontée à un échéancier de plus en plus serré, la communauté internationale n’en peine pas moins à se diriger vers un accord sur le climat contraignant et suffisamment ambitieux pour infléchir la trajectoire climatique actuelle. Celle-ci place la planète sur une augmentation des températures de 4 °C à 5 °C d’ici 2100, une hausse qui représente pas moins du double de l’objectif de 2 °C fixé pour éviter le pire.

Théoriquement, pas moins de 190 États doivent parvenir en 2015, à Paris, à une entente sur le climat. Mais après un autre sommet particulièrement ardu à Varsovie, en novembre dernier, plusieurs cherchent un leader qui serait en mesure d’insuffler un peu plus d’ambition dans le jeu très complexe de la négociation. Le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, estime que l’Union européenne pourrait jouer ce rôle. Les négociations en cours, quoiqu’ardues, pourraient conduire le bloc à s’engager dans une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 40 % par rapport à 1990. Cette cible représente le scénario optimal évoqué par le GIEC.

Même s’il ne reste qu’un peu plus d’une année avant le sommet de Paris, Hugo Séguin se dit convaincu qu’« il y aura un accord ». La question est de savoir s’il sera à la hauteur des changements climatiques, ajoute le spécialiste de la question et participant au cycle de négociations internationales sur le climat. « La réponse à cette question dépend de la pression qui sera exercée partout dans le monde pour augmenter le niveau d’ambition et les engagements de chacun des États pour réduire les émissions de GES. »

Pour le moment, la chose est loin d’être acquise, souligne-t-il. « Le niveau d’ambition est trop faible. Il n’y a pas assez d’engagements de la part des États. Si le niveau d’ambition ne change pas d’ici quelques mois, l’entente de Paris sera en deçà de ce que nous avons besoin pour faire face à l’enjeu des changements climatiques. »

Les 190 pays réunis en Pologne à la fin de 2013 ont en effet simplement convenu de préparer des « contributions » en matière de réduction des GES à présenter au début de 2015. Il s’agit d’un recul par rapport à l’objectif de départ de plusieurs pays développés, qui voulaient que tous prennent des « engagements » formels. Reste aussi à voir quelles seront ces « contributions ». Pour le moment, une majorité de pays ne tiennent même pas les engagements de réduction qu’ils avaient promis en 2009 à Copenhague. L’effort des pays industrialisés n’atteint pas 20 % de réduction des émissions d’ici 2020, soit la cible minimale à atteindre.

Affronter la division

Autre obstacle de taille : la division entre pays émergents et pays développés. À Varsovie, la Chine et l’Inde sont restées sur leur position en réclamant d’être considérées comme des « pays en développement » et, à ce titre, ne pas devoir en faire autant que les pays industrialisés contre le réchauffement. Elles font d’ailleurs valoir que les pays riches ont une « responsabilité historique » par rapport aux bouleversements climatiques.

Mais cette position, catégoriquement rejetée par les États-Unis — qui ne veulent pas de traitement de faveur pour leur principal concurrent économique qu’est la Chine —, commence à susciter de vives critiques. Le Canada, par exemple, refuse de s’engager davantage si Pékin ne fait pas de même. « C’est un prétexte utile à l’inaction, affirme Hugo Séguin. Le Canada n’est pas un pays qui a l’intention d’augmenter son niveau d’ambition, qui est parmi les plus faibles des pays industrialisés. C’est même gênant. Le gouvernement défend d’abord ses intérêts économiques, ce qui est une position très dure dans le cadre de négociations sur le climat. Ce n’était pas le cas avant l’élection des conservateurs. »

Pourtant, estime M. Séguin, les informations prédisant le pire sont pour ainsi dire incontestables. Dans ce contexte, le nouveau rapport du GIEC a permis de confirmer ce qu’on savait déjà. « Les gens comprennent de plus en plus le message. La question est maintenant de savoir si on passera à l’action. Mais il faut retenir une chose : on ne négocie pas avec le climat. »


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