Tout nouveau projet de barrage hydroélectrique au Québec risque de conduire à un bras de fer fédéral-provincial. Un tel ouvrage serait en effet soumis à une évaluation environnementale fédérale, et ce, malgré le processus québécois d’analyse des impacts. Or, la Coalition avenir Québec affirme au Devoir qu’elle s’oppose à la réalisation d’une étude par les autorités canadiennes pour les projets qu’elle compte mettre en oeuvre dans un second mandat.
S’il est réélu le 3 octobre, François Legault promet de lancer « le plus grand chantier écologique de l’histoire du Québec » en donnant le mandat à Hydro-Québec de lui fournir rapidement des suggestions de rivières à cibler pour leur potentiel hydroélectrique. Le premier ministre sortant, qui estime que l’ajout de cette énergie est essentiel pour lutter contre la crise climatique, veut même « raccourcir » les délais de construction de tout nouvel ouvrage de béton sur une des grandes rivières du Québec.
N’en déplaise aux caquistes, le gouvernement provincial ne sera toutefois pas le seul à décider du sort d’un tel projet. Tout projet de nouveau gros barrage au Québec sera en effet soumis aux dispositions de la Loi sur l’évaluation d’impact (LEI) adoptée par le gouvernement Trudeau en 2019, selon ce qui se dégage des informations fournies au Devoir par l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC).
Concrètement, la LEI comprend un « Règlement sur les activités concrètes » qui stipule quels projets sont automatiquement assujettis à une évaluation environnementale fédérale. C’est le cas pour tout « nouveau barrage » qui entraîne la création d’un « réservoir » qui dépasse de 15 km2 « la superficie moyenne annuelle du plan d’eau naturel ». À titre de comparaison, trois des quatre réservoirs du complexe hydroélectrique de la rivière Romaine dépassent largement ce seuil.
« Double évaluation »
La Coalition avenir Québec (CAQ) s’oppose toutefois à toute intervention du fédéral pour ce genre de projet. « Un gouvernement de la CAQ défendra toujours les compétences et prérogatives du Québec et nous continuerons à faire valoir auprès du gouvernement fédéral que le processus environnemental québécois devrait être le seul à s’appliquer pour les projets sur notre territoire », a fait valoir l’équipe de relations avec les médias dans une réponse écrite.
« Nous jugeons que la double évaluation environnementale imposée par Ottawa est redondante au processus québécois. Le processus québécois est rigoureux et éprouvé », a-t-on ajouté. Dans le cadre d’un projet de barrage, ce processus comprendrait un examen de la part du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.
Avocate au Centre québécois du droit de l’environnement, Anne-Sophie Doré confirme cependant que les dispositions de la LEI sont sans équivoque. « Il n’y a pas de façon d’y échapper si le projet possède les critères fixés pour déclencher automatiquement une évaluation environnementale fédérale », souligne-t-elle.
Cela signifie qu’un projet majeur, à l’image de ce qu’a promis la CAQ, impliquerait le dépôt d’une étude d’impact à l’AEIC. Celle-ci piloterait par la suite un processus comprenant des consultations publiques et la rédaction d’un rapport faisant état des impacts du projet. Les droits des Autochtones seraient pris en compte dans ce rapport. Par la suite, le ministre fédéral de l’Environnement devrait publier une « déclaration de décision » afin d’autoriser, ou non, la construction de l’ouvrage de béton.
Le cabinet du ministre de l’environnement Steven Guilbeault n’a pas voulu commenter le dossier, puisqu’il s’agit toujours d’un « projet hypothétique ». Il a toutefois rappelé les dispositions de la LEI, qui prévoit clairement qu’un nouveau barrage y serait soumis.
Ce ne serait pas le premier dossier environnemental où le gouvernement Trudeau et le gouvernement Legault s’affronteraient. Dans le cadre du projet de troisième lien dans la région de Québec, Ottawa a clairement fait savoir qu’une évaluation fédérale serait réalisée par l’AEIC, notamment parce que les tunnels traverseraient le fleuve Saint-Laurent. « Cette évaluation permettra de mettre en lumière la nature écologique, ou non, de ce projet », avait alors fait valoir M. Guilbeault. Mais la CAQ, qui fait la promotion du mégaprojet routier, y voit seulement un « dédoublement inutile » d’évaluations.
La volonté du ministre Guilbeault de protéger le caribou forestier a aussi fait réagir François Legault. Ce dernier estime que l’espèce, qui est protégée en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP) du Canada, relève plutôt de la « compétence du Québec ».
Non aux barrages
La construction d’un barrage sur le cours d’une rivière doit par ailleurs être autorisée par Pêches et Océans Canada (MPO), puisque la Loi sur les pêches interdit « les ouvrages, les entreprises ou les activités entraînant la mort du poisson ou la détérioration, la perturbation ou la destruction de son habitat ».
« Avant d’émettre une autorisation en vertu de la Loi sur les pêches, le MPO doit considérer des variantes de moindre impact, la mise en place de mesures d’atténuation et, en dernier recours, des mesures de compensation afin de contrebalancer les impacts sur l’habitat du poisson », précise le ministère fédéral.
Avant de lancer tout le processus fédéral d’évaluation de futurs projets de barrage au Québec, il faudrait toutefois préciser les rivières qui seraient ciblées. Pour le moment, Hydro-Québec n’a pas nommé de cours d’eau. « Il est beaucoup trop tôt pour spécifier des rivières ou régions à ce stade », a indiqué la société d’État, au moment de la sortie de François Legault. début septembre. Chose certaine, des Innus et des élus de la Côte-Nord ont déjà signifié leur opposition à tout nouveau projet sur la rivière Magpie.
Le président de la Fondation Rivières, Alain Saladzius, presse d’ailleurs le prochain gouvernement d’abandonner l’idée de construire un nouveau barrage. « Les dernières grandes rivières sont importantes, notamment pour les Premières Nations. Les barrages ont aussi des enjeux écologiques, notamment en raison des impacts négatifs importants des réservoirs, qui inondent des territoires. »
Selon lui, le potentiel « énorme » d’énergie éolienne peut permettre au Québec de répondre à une demande croissante, dans un contexte d’électrification de nombreux secteurs, dont celui des transports. M. Saladzius souligne qu’Hydro-Québec a lancé à la fin de 2021 des appels d’offres pour l’achat de deux blocs d’électricité distincts de 300 mégawatts (MW) d’électricité éolienne et de 480 MW d’électricité « de sources renouvelables ». Elle a reçu des soumissions totalisant 4205 MW, essentiellement en projets éoliens. Le complexe de la Romaine, avec ses quatre barrages, a une puissance installée de 1550 MW.