Cachez ce soulier...

Le «scandale» du lancer du soulier vient occulter l'inhumanité de la guerre elle-même: «la forme mange le fond».

Amir Khadir sera-t-il blâmé par l'Assemblée nationale?




Les raids israéliens sur Gaza ont tué plus de 400 personnes la semaine dernière. Depuis le début de la guerre en Irak, en 2003, plus de 700 000 civils sont morts. Le journaliste qui a lancé des chaussures à George W. Bush pour dénoncer l'occupation américaine de son pays risque 15 ans de prison. Or, ces jours-ci, ni l'horreur de la guerre ni le sort de ce journaliste, pourtant brutalisé par les policiers après son arrestation, ne semblent préoccuper outre mesure les habitués des pages d'opinion du Québec.
Le plus urgent? Clouer au pilori le député de Mercier, Amir Khadir, parce qu'il a participé à une manifestation de soutien au journaliste emprisonné où les gens prenaient part à une action symbolique de «lancer du soulier». Depuis, on s'affaire chez les chroniqueurs- vedettes et dans les courriers des lecteurs à lancer des savates au Dr Khadir. Le geste ne serait pas «digne» du décorum attendu d'un député.

Un malaise compréhensible
M. Khadir n'est pas un député «comme les autres», et il fait des gestes inattendus. Même à gauche, certains sont décontenancés de voir un député descendre dans la rue et participer à des actions militantes. Il est compréhensible que cela crée la surprise, d'autant plus qu'il s'agit d'un des premiers gestes du député après sa prestation de serment.
Mais avant de jeter la première pierre, ou la première godasse, peut-être faut-il se demander si la poutre n'est pas dans l'oeil de celui qui regarde. D'où provient la définition du «décorum» attendu d'un député? Le régime parlementaire britannique nous a habitués à voir des parlementaires complètement assujettis à leur chef et à la ligne de parti. Ce sont ces institutions qui façonnent en profondeur les comportements attendus et qui génèrent ce qu'il convient d'appeler du conformisme.
Peut-être est-il temps d'opérer un retour critique sur la perception traditionnelle du rôle de député? Cela serait plus indiqué que de créer un précédent qui viendrait limiter la liberté d'expression des députés et qui découragerait leur engagement critique dans une époque où nous en avons bien besoin. L'anticonformisme d'Amir Khadir pourrait bien être un vent de fraîcheur pour la politique québécoise. Il faudra pour cela que l'on surmonte les appréhensions premières que suscite la moindre polémique et réapprendre cet «art perdu de la controverse», ce qui nous rend pour le moment frileux dès lors que se trouvent brassés «le confort et l'indifférence».
Violence symbolique ou réelle?
Certains commentateurs vont jusqu'à dire que le geste de M. Khadir était «violent», craignant que le député lance bientôt son siège à la tête de M. Charest, un prétexte suffisant pour le faire taire préventivement (et au plus vite)! Il est assez troublant qu'on en vienne à dénoncer à hauts cris cette prétendue «violence symbolique» tout en taisant la violence concrète, les injustices patentes et les conflits politiques meurtriers, preuve que la guerre, lointaine et virtuelle, a toujours «un mal fou à accéder au statut de réel». Le «scandale» du lancer du soulier vient occulter l'inhumanité de la guerre elle-même: «la forme mange le fond». (...)
On sait qu'une certaine classe de gens ne digère pas l'élection d'un député de gauche au Québec, et se trouve prête à faire flèche de tout bois pour le discréditer et le bâillonner. La liberté d'expression, celle du journaliste al-Zaïdi tout autant que celle du député militant Khadir, pourront bien être bafouées, et les horreurs de la guerre gommées au passage... qu'à cela ne tienne, pourvu que les choses reviennent à la normale: «business (and war) as usual».
Dans la société du spectacle, on préfère s'indigner de l'anecdotique pour mieux ignorer la violence muette qui suinte des pores du système. Cachez ce soulier (et cette guerre) qu'on ne saurait voir, c'est indécent!
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Éric Martin
L'auteur est candidat au doctorat en pensée politique à l'Université d'Ottawa et il a été membre du comité de coordination national de Québec solidaire en 2006.


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