Une histoire de fous

1997

28 août 1997

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On s'est bien moqué du portrait «psychiatrique» de Lucien Bouchard. On pourrait même croire que seule la bêtise peut expliquer qu'un député du PLC l'ait commandé. Ou que Lawrence Martin le reprenne dans son ouvrage The Antagonist.- Lucien Bouchard and the Politics of Delusion. Ou que Jean Chrétien refuse de condamner le geste de son propre député. Et si la «bêtise» n'expliquait pas tout?
On le sait, faire passer M. Bouchard pour un émotif erratique ou M. Parizeau pour un raciste enragé, c'est une façon efficace d'attaquer la cause souverainiste. Ce qui n'a rien de nouveau. Cela fait des lunes que des fédéralistes se dépeignent eux-mêmes et leur option comme l'incarnation suprême de la «raison» et l'indépendance comme l'émanation d'une émotivité exacerbée par des élites prenant un malin plaisir à exciter le bon peuple.
Pratiques, les étiquettes de déraison. Elles vous dispensent de débattre de quoi que ce soit. Et, finalement, ce sont les idées mêmes qui deviennent «folles». C'est une vieille stratégie qui tue les débats en faisant taire tout ce qui dépasse des jupons de la rectitude du jour ou de l'opinion imposée par les puissants, quels qu'ils soient.
Le rapport psychiatrique sur M. Bouchard est à jeter dans cette gigantesque poubelle qu'est le Québec bashing. Depuis le Rapport Durham, combien de fois aura-t-on représenté les Québécois nationalistes comme une aberration antidémocratique? Depuis le 30 octobre 1995, on les dit carrément fraudeurs, voleurs de votes et manipulateurs de questions malhonnêtes. Qu'on les traite de «tribaux», de «racistes», d'«antisémites» ou de «bâtards», leur démonisation ou la déraison qu'on leur prête sont trop souvent au rendez-vous. Comme en attestent les quelques exemples suivants, le Québec bashing est un sport prisé dans les milieux les plus variés.
En 1991, le philosophe Charles Taylor décrit l'affichage français comme le «produit d'une névrose générale» et une mesure d'«hystérie». En 1994, un livre traçant le portrait d'un nationalisme québécois tribal - Blood and Belonging de l'auteur canadien-anglais Michael Ignatieff - reçoit un prix de 50 000 $ et la BBC de Grande-Bretagne en fait une minisérie. Mordecai Richler colporte de par le monde que le Québec est un nid d'antisémitisme, Esther Delisle, dans Le Traître et le juif, qualifie de «délire» ce qu'elle appelle le «nationalisme d'extrême droite» au Québec dans les années 30. Un «délire» qui, dit-elle, la dispense d'analyser le contexte historique de l'époque... Les livres de Richler et de Delisle, il va sans dire, furent tous deux des best-sellers.
Tout aussi délicat, le Parti égalité tenait récemment une réunion dont le sous-thème était «Comment dompter les séparatistes»... comme si ces derniers étaient des bêtes de cirque qu'on peut maîtriser avec le bâton de la partition. Ajoutons un certain Trudeau selon qui un Québec souverain déporterait les anglos et pour qui l'indépendance serait un «crime contre l'humanité». Soulignons aussi l'usage répété du mot «sécessionnisme», comme pour rappeler la guerre de «Sécession» américaine; les «bâtards» de Galganov; la négation de plus en plus ouverte de l'existence du peuple québécois et une loi 101 qu'on fait passer pour une menace aux libertés civiles. Et n'oublions surtout pas les William Johnson et Diane Francis, ni cette perle du juge Jules Deschênes qui, dans un des nombreux jugements contre la même loi 101, accusait le gouvernement québécois d'avoir une «conception totalitaire de la société». C'est qui, déjà, qui parlait de «délire»?
Et maintenant, on apprend que Howard Galganov sévira sous peu comme coanimateur à l'émission du matin de CIQC, une station de radio anglomontréalaise. Il faut croire que contrairement à ce qu'il avait promis, notre saint martyr canadien ne quittera pas le Québec, cette infâme terre d'intolérance. Hier, le sauveur des persécutés anglophones décrivait en ces termes sa future mission: «J'y ferai beaucoup de radio activiste, ce qui veut dire que nous ne ferons pas que parler, nous ferons des boycotts, des pétitions, des rallyes et nous amasserons de l'argent pour des poursuites devant les tribunaux.» Bonjour le programme! C'est son avocat Julius Grey qui sera content, celui avec qui Galganov, depuis un an, fait parvenir à l'OLF des lettres puériles et remplies de fautes de français dans l'espoir de retourner devant les tribunaux pour y affaiblir ce qui reste de la loi 101.
Pour ce qui est de Lawrence Martin, auteur du livre sur Lucien Bouchard, non seulement fait-il dans le plan B, mais il a aussi adopté le plan M: «M» pour marketing! Ce qui rappelle Richler qui, en 1992, faisait mousser son livre Oh Canada! Oh Québec! en publiant d'avance dans le New Yorker des extraits provocateurs. Des Québécois outrés lui ont répondu. Une «controverse» est née. Et les controverses, ça vend tellement bien...
Le problème, c'est que le livre de M. Martin risque de se vendre aussi aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. On s'amusera dans les coquetels d'ambassades à discourir sur ces «fous» au tempérament sanguin qui cherchent - quelle folie! - à sortir du -plus meilleur pays du monde». Entre deux martinis, on s'inquiétera de ces «malades qui nous gouvernent».
Pourtant, au Québec, Lawrence Martin passerait plutôt pour un formidable relationniste pour M. Bouchard. En le représentant comme l'unique raison de la quasi-victoire du OUI - d'où l'intérêt dit-il, de comprendre sa «psychologie» - , M. Martin l'élève au rang de demi-dieu incarnant à lui seul le mouvement souverainiste tout entier.
Ne comprenant rien au projet indépendantiste, bien des fédéralistes préfèrent une telle dénégation à l'effort de comprendre la complexité d'un phénomène qui, dans les faits, est le produit d'une longue histoire, d'une analyse sérieuse, du refus entêté du Canada d'accommoder le Québec et du travail acharné de militants, de citoyens, de regroupements populaires, de penseurs, d'artistes et d'élus.
Cette dénégation troublante de la réalité, ça doit sûrement être ce qu'on appelle un «blocage psychologique»... Une vraie histoire de fous!
«Une histoire de fous» (suite)
: la liste des psychanalystes politiques s'allonge follement! Ce samedi, le quotidien de Paul Desmarais, La Presse, faisait à son tour dans la psychiatro-sociologie. En éditorial, Alain Dubuc écrivait: «La façon dont certains médias anglophones, comme le Ottawa Citizen, se sont déchaînés à partir d'une pseudo-analyse de Lucien Bouchaid, ou le délire paranoïaque avec lequel Le Devoir y a répliqué, constituent deux manifestations symétriques de la même hystérie. On a ainsi quitté le domaine de l'information et le champ de la pensée pour entrer dans celui du tribalisme primaire.» Bref, selon le docteur Dubuc, une attaque vicieuse et une légitime défense honorable seraient deux phénomènes identiques. Une façon plutôt novatrice de voir le monde qui, malheureusement, semble en voie de faire école.
Sauf tout le respect qu'on lui doit, l'éminent journaliste devrait peut-être songer à mettre Freud de côté et à relire les écrits d'Albert Memmi. Un petit «virage» qui, peut-être, ne lui ferait pas trop de tort.


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