LE CANADA SUR LA SCÈNE INTERNATIONALE

Tout de muscles et au chevet d’Israël

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Avec le résultat que l'image du Canada en a pris un sacré coup tant auprès des Canadiens qu'à l'étranger

Les électeurs sont conviés aux urnes le 19 octobre pour trancher sur une question somme toute assez simple : doivent-ils prolonger le mandat des conservateurs ou confier la tâche à un autre parti ? En une décennie de pouvoir, Stephen Harper a décomplexé la droite et convaincu nombre de Canadiens de s’en réclamer. Le Devoir propose un bilan des années Harper. La semaine dernière : relations Ottawa-Québec et finances publiques. Aujourd’hui : affaires étrangères et immigration. La semaine prochaine : justice et environnement.
Stephen Harper a hérité d’une guerre à son arrivée au pouvoir en 2006. Et il pourrait quitter le gouvernement, cet automne, en en laissant une autre derrière lui. De l’Afghanistan à l’Irak et la Syrie, en passant par la Libye et le Mali, le Canada de Stephen Harper s’est assuré de redevenir un joueur mondial sur le plan militaire. Il s’est aussi fait l’un des plus grands alliés d’Israël, et l’un des plus farouches ennemis de Vladimir Poutine.

L’engagement des libéraux en Afghanistan aura hanté le gouvernement Harper pendant presque tout son règne. À peine arrivé en selle en 2006, le premier ministre conservateur a prolongé la mission afghane, pour récidiver en 2009 et 2011, en chargeant alors les troupes canadiennes d’entraîner l’armée afghane.

Il faudra attendre 2014 avant que Stephen Harper puisse clore définitivement le « chapitre Afghanistan », qui aura duré douze ans et coûté des milliards de dollars, de même que laissé de mauvais souvenirs : 158 militaires, une journaliste, deux diplomates et quatre civils ont perdu la vie, des centaines de soldats sont revenus au pays blessés, et des milliers sont affligés de problèmes de santé mentale.

Et c’est sans compter la saga des détenus afghans, qui aura tourmenté le gouvernement pendant un an et demi après que le diplomate Richard Colvin eut révélé que presque tous les détenus transférés aux autorités locales étaient torturés. Le gouvernement savait, de 2006 à 2007, qu’il y avait un « risque systématique de torture et d’abus », a martelé M. Colvin chaque fois qu’il a pu parler. Faux, ont répliqué sans relâche les conservateurs en refusant d’ouvrir leurs dossiers pour faire la lumière sur cette affaire. Jusqu’à ce que le président des Communes les y oblige, en 2010, en les menaçant de les déclarer coupables d’outrage au Parlement. Le gouvernement a obtempéré et permis à l’opposition de consulter ses documents à huis clos. Conclusion du libéral Stéphane Dion : la probabilité que plusieurs des 200 détenus remis aux Afghans aient été torturés « est très élevée ».

Le virage militaire des conservateurs ne s’est pas terminé avec la fin de la guerre en Afghanistan. M. Harper a dépêché des avions de chasse et près de 400 militaires en Libye, pendant six mois, pour faire respecter l’interdiction de vol au-dessus du territoire. Deux ans plus tard, il a prêté un Globemaster C-17 et le personnel nécessaire aux Français pour les aider, pendant trois mois, à transporter matériel lourd et troupes militaires vers la capitale malienne Bamako, où ils combattaient des militants islamistes.

Si ces missions sous l’égide onusienne n’ont pas été très critiquées par l’opposition, celle en Irak contre État islamique a été rejetée de tous. Après avoir dépêché des conseillers spéciaux à Bagdad, M. Harper a envoyé des CF-18 et 600 militaires bombarder le groupe armé. Une mission prolongée d’un an, en avril, et étendue à la Syrie. Les conseillers, qui devaient opérer loin des lignes de front, ont entre-temps échangé des tirs avec EI. Et l’un d’eux a perdu la vie sous les tirs fratricides des peshmergas.

Mais Stephen Harper a défendu cette mission, essentielle pour défendre le Canada et le monde du terrorisme. Et il s’est assuré, au fil des ans, de remercier ses troupes — et de mousser le patriotisme militaire au pays — à coups de cérémonies commémoratives pour les missions afghane et libyenne. Hélicoptères, chars d’assaut, canons ont été rassemblés sur la colline parlementaire, au coût de plusieurs centaines de milliers de dollars.

Un fidèle allié d’Israël…

Dès le début de sa gouverne, Stephen Harper s’est fait un farouche défenseur de l’État hébreu. À l’été 2006, il a vivement soutenu le « droit de se défendre » d’Israël contre le Liban, alors que ses alliés appelaient l’État hébreu à la retenue.

Le ton n’a jamais changé. Le Canada de M. Harper s’est opposé à la reconnaissance de la Palestine comme État observateur aux Nations unies. Son ministre des Affaires étrangères, John Baird, a brisé un « tabou » diplomatique en allant à Jérusalem-Est. Les conservateurs ont aussi entraîné la mort de Droits et Démocratie, en noyautant l’organisme de nominations conservatrices en réponse à son appui à deux groupes jugés contre Israël.

Cet appui inconditionnel ne s’est toutefois pas fait sans heurts, MM. Baird et Harper ayant été critiqués dans les coulisses du monde arabe et carrément chahutés dans la région.

C’est aussi en partie par solidarité pour l’État hébreu que les conservateurs ont coupé les ponts avec l’Iran — qui promettait de « rayer Israël de la carte » —, fermant l’ambassade canadienne à Téhéran et expulsant les diplomates iraniens d’Ottawa.

Le député juif Mark Adler a semblé expliquer par inadvertance la position conservatrice l’an dernier, lorsqu’il a imploré l’entourage de M. Harper de le laisser participer à une prise d’images devant le mur des Lamentations. « C’est la réélection. C’est la photo à un million de dollars ! »

… et l’ennemi juré de Poutine

Stephen Harper s’est aussi fait un grand pourfendeur de Moscou. Tenant d’abord tête à la Russie en plaidant vouloir assurer la souveraineté canadienne dans l’Arctique, il a monté le ton après l’annexion de la Crimée à la Russie. Une « invasion de l’est de l’Ukraine » dénoncée par Ottawa, qui a envoyé un navire militaire, des chasseurs et des militaires patrouiller dans la région et former les forces ukrainiennes. Là encore, la position conservatrice s’explique peut-être en partie par le fait que le pays compte 1,2 million de Canadiens d’origine ukrainienne.

Le dos tourné à l’ONU

Les conservateurs ont en outre délaissé peu à peu les Nations unies, critiquant une institution bureaucratique empêtrée dans ses questions internes et incapable de s’entendre pour sévir contre l’Iran ou la Syrie.

Stephen Harper n’y a prononcé que deux discours en huit ans. Une moyenne équivalant à celle de ses prédécesseurs. Mais le chef conservateur a choqué en se déplaçant tout de même à New York les autres années, pour s’adresser à d’autres groupes plutôt qu’à l’ONU. Son gouvernement a aussi délaissé diverses ententes (désarmement, lutte contre la désertification) et dénoncé vertement des reproches onusiens (situation des autochtones au Canada, sécurité alimentaire, isolement dans les prisons).

Il faut dire que ce virage s’est accentué après que le Canada eut accusé une gifle diplomatique, lorsque sa candidature au Conseil de sécurité de l’ONU a été rejetée par la communauté internationale en 2010.

Le gouvernement Harper s’est fait en outre reprocher de ne pas écouter ses diplomates ou de les museler. Partisan de la moindre dépense, il a vendu plusieurs résidences diplomatiques en quête d’économies.

La saga des F-35

Les conservateurs ont enfin remis les compteurs à zéro, à la suite du rapport accablant du vérificateur général, qui a accusé l’armée d’avoir camouflé les risques et sous-estimé de 10 milliards les coûts associés au choix du F-35 pour remplacer la flotte d’avions de chasse. Après avoir résisté pendant des mois, le gouvernement a fini par confier le processus d’acquisition à un nouveau comité, qui a réévalué les options et remis le dossier entre les mains de sous-ministres. Tout cela après que le président des Communes eut accusé les conservateurs d’outrage au Parlement parce qu’ils refusaient obstinément de révéler la facture d’achat des F-35, à la veille de la dernière élection en 2011.


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