Quand l’Alberta éclipse le Québec au chapitre autonomiste

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Un allié objectif que les plus progressistes que souverainistes ignorent


Chaque mercredi, notre correspondante parlementaire à Ottawa Marie Vastel analyse un enjeu de la politique fédérale pour vous aider à mieux le comprendre.


Avec la réélection attendue de François Legault lundi prochain et l’obtention d’un deuxième mandat pour la Coalition avenir Québec à la tête d’un gouvernement autonomiste, le débat sur l’indépendance du Québec ne risque pas d’empêcher grand monde de dormir à Ottawa. C’est plutôt à 3000 kilomètres à l’ouest que résonnent des revendications souverainistes, où la course à la chefferie des conservateurs de l’Alberta alimente les visées sécessionnistes de citoyens mécontents du sort que leur réserve le gouvernement canadien. La menace constitutionnelle n’est plus québécoise, mais albertaine.


Tout indique que Danielle Smith, ancienne cheffe du parti de droite Wildrose, sera élue à la tête du Parti conservateur uni (PCU) le 6 octobre prochain et deviendra de facto première ministre de l’Alberta. Au coeur de sa campagne : la promesse de déposer à la première occasion une « loi sur la souveraineté de l’Alberta », qui soustrairait la province à toute loi ou à toute politique fédérales considérées comme contraires aux intérêts de l’Alberta ou comme empiétant dans ses champs de compétence. Les députés s’en prévaudraient à coups de « motions spéciales », adoptées au cas par cas. Il reviendrait ensuite à Ottawa de contester ce recours albertain.


Le sentiment d’aliénation de l’Ouest des dernières décennies s’est radicalisé au sein d’une frange du mouvement conservateur albertain. Les rivaux de Mme Smith y vont d’ailleurs de leurs propres propositions autonomistes — bien que moins draconiennes.


« La dynamique avec Ottawa est plus compliquée, parce que l’affrontement est plus fort qu’auparavant », observe le politologue Frédéric Boily, de l’Université de l’Alberta.


En ce sens, l’Alberta est « en train de prendre le rôle de meneur » au chapitre des provinces revendicatrices face au fédéral. Ce n’est plus du Québec que proviennent le plus grand nombre de demandes de rapatriement de pouvoirs ou de compétences. « J’ai entendu bien plus souvent le nom de Justin Trudeau évoqué dans les débats de la course à la chefferie du PCU, en Alberta, que dans les débats de la campagne québécoise », indique le professeur Boily.


Danielle Smith cite d’ailleurs le Québec en exemple et soutient vouloir faire aussi de l’Alberta « une nation au sein d’une nation ». Sauf que le mouvement souverainiste québécois était transparent, explicite et usait d’outils démocratiques, par l’intermédiaire de référendums populaires, rappelle le professeur de droit constitutionnel Eric Adams. Les politiciens québécois n’ont jamais prétendu pouvoir s’affranchir de la Constitution canadienne, et le gouvernement conteste encore aujourd’hui devant les tribunaux fédéraux les lois qui outrepassent à ses yeux les champs de compétence d’Ottawa.


Le mouvement albertain essaie, avec une seule frange d’un parti politique, « de faire son entrée par la porte de côté », ajoute en comparaison le professeur Adams, de l’Université de l’Alberta. Le PCU compte 124 000 membres inscrits. En 2017, la moitié des membres s’étaient prononcés dans la course à la chefferie. L’Alberta compte 2,8 millions d’électeurs ayant le droit de vote.


Marginal, mais risqué


Plusieurs observateurs et commentateurs politiques albertains parlent d’une crise constitutionnelle à l’horizon. Le premier ministre sortant, Jason Kenney, a qualifié la proposition de Danielle Smith de « cinglée », digne d’une « république de bananes ».


Le gouvernement fédéral surveille de près et quotidiennement l’issue de la course à la chefferie. Le moment venu, il répondra aux prétentions de celle qu’il s’attend à voir devenir première ministre la semaine prochaine.


Le professeur Adams affirme que la menace n’est pas exagérée. Car l’aspirante première ministre ne propose rien de moins que de déclarer — même si elle ne le présente pas ainsi — unilatéralement la souveraineté de sa province en violant la Constitution. « L’Alberta et le reste du Canada doivent prendre très au sérieux le fait que certains dirigeants politiques sont prêts à enfreindre les traditions constitutionnelles et les institutions qui sont la base même de notre démocratie. »


Le projet de loi éventuel de Danielle Smith pourrait être édulcoré pour avoir une chance d’être adopté. Des élus conservateurs (certains appuyant d’autres candidats à la chefferie) ont critiqué l’idée. La lieutenante-gouverneure de l’Alberta a rappelé qu’elle avait le pouvoir d’évaluer la constitutionnalité d’une loi avant d’y apposer la sanction royale. La future première ministre pourrait aussi attendre les élections générales du mois de mai avant d’essayer de légiférer.


Si tel est le cas, ses chances de succès sont minces, note la sondeuse Janet Brown, car bien que la majorité des Albertains se sentent lésés par Ottawa, une mince minorité d’entre eux vont jusqu’à faire d’une guerre avec Ottawa un enjeu prioritaire. « Si l’Alberta s’apprête à être l’enfant à problème de la fédération canadienne, c’est strictement en raison de la course à la chefferie et de la base conservatrice qui veut que ce soit ainsi », fait-elle savoir depuis Calgary.


Le Québec n’a plus le monopole


Or, cette frange conservatrice a beau être isolée, la fièvre autonomiste qu’elle alimente déborde des frontières de l’Alberta.


L’Ontario, la Saskatchewan et le Manitoba joignaient leurs voix à celle de l’Alberta, cet été, pour réclamer, comme le Québec, un plus grand pouvoir en immigration afin de mieux pallier la pénurie de main-d’oeuvre sur leur territoire. Leur requête s’est toutefois faite par les canaux officiels, par la voie d’une lettre adressée au ministère fédéral de l’Immigration.


Quoi qu’en dise Danielle Smith, le politologue Jared Wesley prédit que sa proposition n’a aucune chance de passer le test des tribunaux. Mais les militants qu’elle aura galvanisés, désenchantés, risquent en revanche de se radicaliser encore davantage, s’inquiète-t-il.


Et entre-temps, la rhétorique et la menace albertaines annoncent des mois compliqués pour Ottawa. Le gouvernement de Justin Trudeau devra gérer non seulement les demandes de François Legault, mais aussi — et probablement au premier chef — celles de la prochaine première ministre de l’Alberta, qui causera de plus gros maux de tête à Ottawa que ses plus récents prédécesseurs.

 





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