Le prolongement de l'autoroute 25, qui relie le pont Louis-H.-La Fontaine au boulevard Métropolitain, et la construction d'un pont suspendu reliant Laval à l'est de la métropole constituent un projet arrêté, ficelé au sein du gouvernement Charest, qui l'annoncera officiellement à la mi-février.
Le mandat consistant à faire passer le projet en audiences publiques sera donné par le ministre de l'Environnement, Thomas Mulcair, autour du 28 février, à moins que l'intensité du débat public n'exige de le faire plus tôt.
Afin de minimiser l'opposition anticipée à ce projet, qui provoquera le plus important flot d'étalement urbain autour de la métropole depuis 25 ans et une augmentation des émissions de gaz à effet de serre (GES) presque équivalente au défunt projet du Suroît, le ministère des Transports utilisera un scénario dit de fast track devant le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement. Le projet référé en audiences publiques servira à déterminer les modalités du premier appel d'offres pour le premier projet majeur de PPP au Québec, d'une valeur d'au moins 350 millions de dollars. Le vrai projet, celui que réalisera un éventuel propriétaire privé ou copropriétaire, n'ira pas en audiences à son tour, ce qui pourrait laisser les citoyens sur leur appétit pendant les audiences en ce qui concerne plusieurs facettes dont on veut éviter qu'elles deviennent des enjeux sociaux, environnementaux ou politiques.
C'est ce qu'ont affirmé au Devoir au cours des derniers jours plusieurs sources dignes de foi, affirmations en partie confirmées hier dans une entrevue accordée à la radio de Radio-Canada par le député libéral de Mille-Îles, Maurice Clermont. Celui-ci n'hésite pas à mettre son siège en jeu sur cette question: «Pas de pont, pas de Clermont» aux prochaines élections, a-t-il déclaré hier.
Selon le député lavallois, les cinq députés de ce territoire, y compris le ministre de l'Environnement, lui-même responsable de l'intégrité et de l'indépendance du processus d'audiences en vertu de son serment d'office, «en ont fait leur priorité numéro un».
«Moi, j'ai dit à tout le monde qu'en fin 2006, le pont doit être commencé parce que les élections vont avoir lieu en 2007, et il n'est pas question qu'on fasse une promesse d'élections encore pour dire qu'on va le bâtir.»
Selon le député Clermont, le projet chemine entre ses promoteurs et le Bureau d'audiences publiques sur l'Environnement (BAPE), un organisme obligé en vertu de la loi de demeurer totalement neutre afin d'assumer son mandat.
L'«affaire d'environnement»
«L'affaire d'environnement, a dit le député Clermont, ça va être en février. On parle d'un mois et demi, à peu près. On travaille avec le BAPE pour l'affaire d'environnement.» Vérification faite hier auprès de la porte-parole du BAPE, Line Lévesque, aucun contact, aucune réunion, aucune discussion n'ont eu lieu avec le BAPE, le ministère des Transports ou les députés partisans du projet. Du moins au niveau des fonctionnaires. Plusieurs ministres seraient déjà acquis au projet, y compris celui à qui la loi confie la responsabilité d'évaluer la pertinence du projet: «Je peux vous dire que les cinq députés de Laval [appuient ce projet], dont le ministre de l'Environnement: il reste à Laval et c'est un monsieur qui est député ici depuis 15 ans [dix en réalité]. C'est la priorité de M. Mulcair autant que [celle de] Mme [Michelle] Courchesne, la ministre régionale, et des autres députés. C'est notre priorité numéro un. On est tous d'accord que le pont sera construit le plus tôt possible.»
Au cabinet de Thomas Mulcair, ces fuites et déclarations ont semé une certaine inquiétude hier. On y précisait officieusement que «si le ministre est effectivement pour la construction d'un lien entre Montréal et Laval dans l'est, il n'est pas nécessairement en faveur de ce projet de pont qui est présenté par le ministère des Transports. C'est la même chose pour l'amélioration de la route 175 dans la réserve des Laurentides. Des ministres se disent en faveur du projet, mais le ministre garde ses distances».
Le pont en question sera du type suspendu, selon nos informations. Jeudi, l'ingénieur Michel Virlogeux, qui a conçu l'impressionnant viaduc de Millau, en France, déclarait à l'émission de Marie-France Bazzo, sur les ondes de Radio-Canada, qu'il travaillait à ce projet de pont payant avec ses «amis» de la firme d'ingénieurs CIMA.
Le pont devrait avoir une jetée de 1,2 kilomètre alors que l'autoroute payante, qui aura trois voies dans chaque sens, aura une longueur totale de 7,2 kilomètres. Le projet fait saliver les entrepreneurs lavallois et de la région d'Anjou, très proches des milieux libéraux. Plusieurs familles libérales, dont certaines grandes figures bien connues de la communauté italienne, ont acheté depuis des années d'immenses terrains à Laval dans l'espoir de voir exploser leur valeur avec la construction d'un pont. En plus de ces spéculateurs, quelques grandes firmes d'ingénierie rêvent de mettre la main sur ce premier PPP d'importance, ce qui exerce au total une énorme pression sur le gouvernement Charest, bien décidé à ne pas contrecarrer ces alliés électoraux qui lui ont permis de mettre en selle cinq députés à Laval notamment.
Plusieurs enjeux de premier plan se greffent sur ce projet qui pourrait menacer entre autres le ruisseau et la coulée de Montigny, un des derniers milieux aquatiques naturels de l'île de Montréal. La construction de ce pont va provoquer un énorme développement résidentiel du côté lavallois, ce qui va imposer au Trésor une imposante facture en services publics de toute sorte et vider davantage la métropole. Cette intensification de l'étalement urbain, qui suscitera une hausse sensible du bilan énergétique de la région métropolitaine, est d'ailleurs confirmée sur le site Internet du ministère des Transports, où on peut lire qu'«en l'absence de mesures restrictives d'aménagement du territoire, [ce projet pourra] provoquer un développement urbain accéléré du secteur est de l'île de Laval».
Une source au ministère des Transports a indiqué qu'en faisant un PPP de ce projet, il est évident que le pont n'accueillera pas une voie pour un éventuel train léger et rapide, voire pour une piste cyclable. «Les partenaires privés vont vouloir une rentabilité immédiate et une voie non payante n'a aucun sens ici», a en substance expliqué cette source. La construction d'un éventuel pont pour desservir cette région avec un train léger et rapide coûtera donc deux fois plus cher, ce qui met fin à ce débat pour une ou deux générations!
Du côté du Conseil régional de l'environnement de Montréal, le président Robert Perreault a promis hier de mener une «bataille rangée» contre ce projet de prolongement de l'autoroute 25 et la construction d'un pont vers Laval. À ses dires, de telles infrastructures amèneraient environ 140 000 voitures supplémentaires par jour au centre-ville. «Il faudrait alors oublier les objectifs de la lutte contre les gaz à effet de serre et les efforts de développement des transports en commun dans la région», a ajouté M. Perreault.
Selon lui, le prolongement de l'autoroute 25 vers le nord aura aussi pour effet de forcer la construction d'une autoroute en tranchée sur la rue Notre-Dame plutôt qu'un boulevard urbain, ce que l'administration Tremblay a, à ce jour, toujours rejeté.
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