Un géant australien propriétaire de l'A-25

Québec refuse de dévoiler le chiffrier et les détails du montage financier du projet autoroutier

Autoroute A-25


C'est le géant australien Macquarie Group qui, par le truchement de ses filiales nord-américaines, sera pendant 35 ans le véritable propriétaire de l'autoroute et du pont de l'autoroute 25 (A-25) ainsi que des recettes du péage, a révélé hier à l'Assemblée nationale la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget.

La ministre Jérôme-Forget a été interrogée par le chef adjoint de l'ADQ, le député Gilles Taillon (Chauveau), qui a requis plusieurs précisions à propos des révélations du Devoir au cours des deux derniers jours en ce qui a trait aux bénéfices controversés de ce premier projet réalisé en mode PPP.
Le député Taillon voulait notamment savoir qui était le véritable propriétaire du projet -- le commanditaire, en jargon juridique --, dont le nom est biffé dans le contrat expurgé déposé à l'Assemblée nationale.
Si la ministre Jérôme-Forget a donné le nom du véritable propriétaire du projet, elle a par contre soigneusement évité de répondre à la deuxième demande du porte-parole de l'ADQ, qui voulait obtenir le chiffrier ayant servi à démontrer qu'il en coûterait plus cher aux contribuables québécois si ce projet autoroutier était réalisé par le ministère des Transports dans le cadre d'un appel d'offres auprès des entrepreneurs et gestionnaires québécois.
«Pourquoi donc cette culture du secret» dans un projet qui devait créer une nouvelle norme en matière de transparence?, s'est demandé le porte-parole de l'ADQ. M. Taillon a aussi demandé à voir le «montage financier» complet à la base de ce projet controversé, lequel pourrait d'ailleurs être paralysé si les tribunaux lui imposent une évaluation environnementale complète et publique.
D'entrée de jeu, la ministre Jérôme-Forget a affirmé que «Concession A25, c'est très clair, c'est le groupe Macquarie qui finance. Macquarie, M. le président, c'est la plus grosse compagnie financière australienne». Mais si la ministre a précisé l'identité du véritable bailleur de fonds en équité et, en somme, le propriétaire du projet, elle n'a pas dit si c'est effectivement le nom de cette société qui a été biffé du contrat officiel.
La ministre Jérôme-Forget s'est par ailleurs lancée dans la description des hauts faits de cette multinationale qui se spécialise dans l'acquisition et le développement d'infrastructures publiques, tout particulièrement au Canada et aux États-Unis. «Ils font le Chicago Skyway, l'Indiana Toll Road, le port de Vancouver, la King Road d'Edmonton, a-t-elle dit. Voilà, M. le président, des contrats que finance Macquarie. Ce sont eux qui mettent l'argent dans ce projet [de l'autoroute 25].»
Un montage complexe
Une recherche auprès du Registraire des entreprises éclaire quelque peu ce montage financier complexe dans lequel, selon le contrat, la Société générale de France agit par ses filiales canadiennes et new-yorkaises comme prêteur de premier et de deuxième rang.
La société en commandite Concession A25 a pignon sur rue au 1250, boulevard René-Lévesque, à Montréal. C'est officiellement le promoteur désigné au contrat de PPP, passé à la mi-septembre avec la ministre des Transports, Julie Boulet.
Mais c'est une autre société, Concession A25 Funding 2 Limited, une société à charte fédérale, qui agit comme «un de ses commandités», selon le contrat dévoilé hier par Le Devoir. Or on apprend au registre des sociétés que Concession A25 Funding 2 Limited n'est pas seulement le commandité mais aussi le «commanditaire», un double rôle plutôt inusité dans la même transaction. Cette société a pour adresse le 100 Wellington Street West, à Toronto, soit la même adresse que l'autre «commandité», soit MIP Québec Holding LP.
«MIP» est l'abréviation de Macquarie Infrastructure Partnership.
Le deuxième commandité, soit MIP Québec Holding, est lui-même une société en commandite commanditée par MIP Québec Holding Trust. Son commanditaire est Macquarie Infrastructure Partners Canada LP, une société en commandite. Macquarie Canada dépend du holding australien. La place d'affaires de toutes ces sociétés est la même, à Toronto.
Le groupe australien Macquarie possède des actifs évalués à près de 15 milliards de dollars, soit presque la taille d'une société comme Power Corporation. Elle gère par contre des actifs par l'entremise de diverses succursales, dont une aux Bermudes, d'une valeur de 89 milliards, selon le site Internet de Global Tower Partners.
Fuite de capitaux
Selon le porte-parole de l'ADQ dans ce dossier, les précisions de la ministre Jérôme-Forget sont plutôt «navrantes», car elles démontrent que cet immense projet d'une valeur de plusieurs centaines de millions va inévitablement provoquer une «fuite de capitaux et d'emplois de haut niveau» au profit du holding australien.
En lançant un appel d'offres de cette nature, a expliqué Gilles Taillon, Québec exclut du portrait plusieurs firmes d'ingénierie québécoise importantes, par exemple Pomerleau, ou d'autres sociétés locales, et ce, au profit de multinationales. Par contre, a-t-il dit, si Québec avait confié au ministère la gestion du projet pour faire appel à l'expertise d'ici, ces plus petites entreprises auraient pu se regrouper et se qualifier elles aussi, ce qui aurait accru leur expertise et permis de «garder plus d'argent ici».
Le porte-parole adéquiste s'est dit «surpris de constater que le PQ n'ait pas suivi ce dossier» hier à l'Assemblée nationale, car il aurait lui-même voulu aller en question supplémentaire après celles de ses collègues de l'opposition. Gilles Taillon entend d'ailleurs prendre contact avec le député péquiste François Legault afin d'examiner la possibilité de lancer un examen en profondeur, en commission parlementaire, de toutes les facettes obscures de ce dossier, y compris les bases de calcul qui permettent à l'agence gouvernementale d'affirmer qu'un projet réalisé en mode PPP est moins cher que s'il était géré par le ministère des Transports, lequel n'en est pas à ses premiers projets d'autoroute.
Par ailleurs, il a été impossible d'obtenir les commentaires du porte-parole du PQ dans ce dossier, le député Serge Deslières (Beauharnois).
Réaction de l'Agence des PPP
Par contre, le président de l'Agence des PPP, Pierre Lefebvre, a réagi par écrit pour défendre les bases de calcul de sa comparaison entre les modes public et privé de réalisation de l'A-25.
Le rapport qui sous-tend cette comparaison, dit-il d'entrée de jeu, «est appuyé par la firme PricewaterhouseCoopers».
Cependant, Pierre Lefebvre insiste tout particulièrement sur le taux d'actualisation de 6,5 % retenu par son agence pour calculer la valeur des économies permises par un projet en PPP, en dollars d'aujourd'hui.
«Un rapport récemment publié par le centre interuniversitaire de recherche CIRANO, reconnu sur la scène internationale, suggère fortement de fixer le taux d'actualisation public pour le Québec à 8 %. Ainsi, le gouvernement est en dessous de celui proposé par CIRANO et fait donc preuve de conservatisme», écrit M. Lefebvre.
À son avis, le chercheur et professeur à l'INRS-Urbanisation Pierre Hamel, qui a contre-expertisé l'évaluation de l'agence pour le compte du Devoir, «aura de la difficulté à rallier des chercheurs sérieux quant à sa conclusion que [sic] ce taux devrait se rapprocher de 5 %».
Enfin, conclut le président de l'agence gouvernementale, c'est le ministère des Transports qui a fixé la valeur du projet à 483 millions s'il devait le réaliser lui-même. Et «l'agence ne remet pas en question» ce chiffre, écrit-il. Pierre Lefebvre se dit par ailleurs satisfait de voir le professeur Hamel souligner la pertinence des clauses de partage des profits advenant qu'ils dépassent de 120 % les prévisions inscrites au contrat, des prévisions qui ont par contre été expurgées de la version déposée à l'Assemblée nationale.
En Angleterre, que le Québec se targue de dépasser en matière de transparence, toutes ces informations sont publiques.
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