Michel Girard LA PRESSE - La Caisse de dépôt et placement du Québec va devoir attendre encore bien des années avant de pouvoir «récupérer» la valeur de son investissement de 3,2 milliards de dollars dans Quebecor Media. Après 11 années, ce lourd placement traîne la patte, la Caisse l'évaluant aujourd'hui à 2,3 milliards, en recul de 100 millions par rapport à l'évaluation de 2010.
En tant que telle, Quebecor Media est une entreprise gérée avec efficacité par Pierre Karl Péladeau, et elle est en soi fort rentable.
Le problème de ce placement de la Caisse remonte à son origine, le 8 août 2000, alors que la Caisse, de concert avec son partenaire Quebecor, allait offrir à la famille Chagnon un prix de fou pour mettre le grappin sur Vidéotron et ses filiales, dont le joyau, Groupe TVA.
Dans le cadre de cette offre publique d'achat (OPA), imaginez-vous qu'ils ont offert une généreuse prime de 35,5% pour les actions de Vidéotron. C'est d'autant plus énorme qu'en août 2000, la bulle des télécoms était gonflée à bloc.
Or, une simple règle de trois nous permet de constater aujourd'hui que n'eut été cette prime de 35,5%, la Caisse récupérerait aujourd'hui son investissement. Au lieu de débourser 3,2 milliards pour sa quote-part dans Quebecor Media, la Caisse aurait investi quelque 2,4 milliards, soit sensiblement la même valeur que l'évaluation actuelle de son placement dans la mégaentreprise, contrôlée par la famille Péladeau. Comme on sait, Quebecor détient 54,7% de Quebecor Media et la Caisse 45,3%.
Évidemment, il n'est pas dit que la famille Chagnon aurait facilement cédé le contrôle de Vidéotron pour une prime nettement inférieure. À l'époque, il faut se rappeler que les Chagnon avaient conclu une entente avec Rogers Communications. L'entente, conclue au début de février 2000, prévoyait un simple échange d'actions, à raison d'une action de Vidéotron contre 0,925 action de Rogers. Il s'agissait d'une offre nettement moins intéressante que l'achat au comptant proposé quelques mois plus tard par le tandem Quebecor-Caisse de dépôt.
Craignant la mainmise de Toronto sur le fleuron Vidéotron-TVA, et forte de l'appui moral du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, la haute direction de la Caisse voulait bloquer la transaction entre Rogers et les Chagnon. C'est pourquoi le président de la Caisse de l'époque, Jean-Claude Scraire, et son bras droit, Michel Nadeau, ont courtisé la famille Péladeau pour que Quebecor s'allie à la Caisse dans une gigantesque et coûteuse OPA sur Vidéotron. Et ç'a fonctionné, mais à un prix exorbitant.
Nadeau et PKP
Dans un article paru à l'été 2009 dans le magazine Forces, l'ancien numéro 2 de la Caisse et maître d'oeuvre du mégaplacement de la Caisse, Michel Nadeau, rédigeait le compte-rendu d'une entrevue qu'il avait réalisée avec Pierre Karl Péladeau et où il retraçait «Le plan de match de PKP».
Et voici ce que Michel Nadeau écrit au sujet des démarches politiques effectuées à l'époque dans le dessein de contrer la fusion Rogers-Vidéotron: «Le ministre des Finances, Bernard Landry, reçoit la visite d'André Chagnon, qui cherche un appui pour son alliance avec Rogers. Suit une rencontre à la résidence de Bernard Landry, lors de laquelle le représentant de la Caisse explique la stratégie de convergence qui sous-tend la proposition de Quebecor. Vidéotron apporterait un canal de distribution, mais aussi des actifs intéressants comme les magazines de TVA, Vidéotron Telecom, le service de communications d'affaires... Bernard Landry dit comprendre la logique de la position du tandem Caisse-Quebecor, mais se garde de toute intervention ou directive.»
Michel Nadeau, ajoute: «En quête d'expertise en matière de convergence, la Caisse et Quebecor cherchent un troisième partenaire aux États-Unis pour partager une note qui risque de dépasser cinq milliards de dollars si l'offre est au comptant. Les groupes américains semblent intéressés, mais exigent un délai trop long.»
«Finalement, écrit Nadeau, le duo (Caisse-Quebecor) décide de faire cavalier seul. Pierre Karl Péladeau emprunte près de 1 milliard de dollars et met sur la table presque tous les actifs qu'il possède en dehors d'Imprimeries Quebecor. Il recevra en retour 54,7% de Quebecor Media. La Caisse et sa filiale, Capital Communications CDP, déboursent un montant de 2,7 milliards de dollars pour 45,3% des actions de Quebecor Media.»
En raison de l'éclatement de la bulle des TMT (technologies, médias, télécommunications) qui a suivi la création de Quebecor Media, la Caisse a été obligée d'allonger par la suite 500 millions de dollars additionnels. Voilà pourquoi, on parle aujourd'hui d'un investissement total de 3,2 milliards.
Un PAPE?
Dans la convention des actionnaires de Quebecor Media, datée du 11 décembre 2000, il est prévu que la Caisse peut réduire sa position dans Quebecor Media.
«Attendu que les sociétés Quebecor et Cap Com (Capital Communications CDPQ, filiale de la Caisse) déploieront leurs meilleurs efforts commerciaux raisonnables en vue de donner à Cap Com l'opportunité de réduire sa participation dans la Compagnie (Quebecor Media) dans les meilleurs délais en procédant, si les conditions de marché le permettent, à un PAPE (un premier appel public à l'épargne, y compris un placement secondaire des actions de participation de Cap Com) ou, à défaut , en s'adjoignant d'autres partenaires stratégiques faisant l'acquisition d'actions de participation détenues par Cap Com.»
Pourquoi la Caisse n'a-t-elle pas réduit jusqu'à maintenant sa position dans Quebecor Media? Parce que la valeur de son placement a fondu comme neige au soleil. Le 31 décembre 2002, sous la nouvelle direction d'Henri-Paul Rousseau, la Caisse avait dévalué son investissement dans Quebecor Media à seulement 435 millions de dollars. Il aurait été suicidaire de liquider ce placement à si bas prix.
À la suite d'une série de mesures mises en place par Pierre Karl Péladeau dans le but de redonner de la valeur à Quebecor Media, l'entreprise a rebondi de façon spectaculaire. Chapeau à M. Péladeau. Mais il reste beaucoup de chemin à parcourir avant que la Caisse puisse retrouver la valeur de son investissement de 3,2 milliards.
Un meilleur placement?
En passant, au lieu d'investir ses 3,2 milliards dans le bloc d'actions de Quebecor Media, la Caisse aurait fait un meilleur placement si elle s'était contentée d'investir la même somme d'argent dans l'achat d'un bloc d'actions de Quebecor, laquelle est inscrite à la Bourse de Toronto.
Lors de la signature de l'entente Quebecor-Caisse de dépôt, le 23 octobre 2010, l'action de Quebecor se négociait à 31,95$. À la fin de décembre dernier, l'action de Quebecor se négociait à 34,89$. Ce qui représente une plus-value de 9,2%.
Si tel avait été le cas, cela signifie que le placement de la Caisse de 3,2 milliards vaudrait aujourd'hui 3,5 milliards, soit 1,2 milliard de plus que la valeur actuelle de son bloc d'actions dans Quebecor Media.
L'avantage de détenir des actions d'une entreprise inscrite en Bourse, comme c'est le cas avec Quebecor, c'est la possibilité de réduire ou d'augmenter ses positions, au gré des années.
Cela dit, bien des grandes sociétés ont pris passablement de valeur depuis 2000, et ce, malgré les deux graves crises boursières. Power Corp, propriétaire de La Presse, fait partie du lot.
Par exemple, si Jean-Claude Scraire, ex-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec, et son bras droit Michel Nadeau avaient en 2000 investi la même somme d'argent (3,2 milliards) dans l'achat d'actions de Power Corporation, ce placement aurait valu à la fin de 2011 la rondelette somme de 5 milliards de dollars, pour une appréciation de 56%. Si on tient compte des dividendes versés depuis 11 ans par Power Corp, le même placement vaudrait le double, soit 6,4 milliards.
CHIFFRES
3,2 milliards - Investissement de la Caisse de dépôt dans Quebecor MEdia à partir de 2000
2,3 milliards - Valeur du placement de la Caisse aujourd'hui
54,7% - Quebecor détient 54,7% de Quebecor MEdia
45,3% - La Caisse de dépôt détient 45,3% de Quebecor MEdia
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