Comme je l’écrivais le 20 septembre dernier, la véritable opposition va désormais se manifester dans les médias :

« Les députés du PLQ et de la CAQ se trouvant réduits à regarder passer le train à l’Assemblée nationale, il faut comprendre que tout le débat va se faire dans les médias. Attendez-vous à voir [les porte-parole des prédateurs] pousser des cris d’orfraie ou de porc qu’on égorge à chaque fois qu’ils verront leurs positions ou leurs soutiens tomber. » http://www.vigile.net/La-chasse-aux-predateurs-est

Et ça n’a pas manqué. Même Lucien Bouchard s’est joint au choeur des lamentations en volant à la rescousse de ses petits et grands amis de l’industrie des gaz de schiste!
Il y a eu également le maire de Trois-Rivières qui s’est insurgé contre la fermeture de Gentilly 2, et je ne vous parle pas du débat sur la taxe rétroactive du ministre Marceau.
Mais au cours des derniers jours, nous avons été témoins d’un développement intéressant. Un nouveau joueur est arrivé sur la patinoire. Pardon Mesdames, une nouvelle joueuse, Françoise Bertrand, la présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec, et elle n’y va pas de mainmorte, comme nous l’apprend Le Devoir ce matin http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/360440/quebec-ne-comprend-pas-l-impact-economique-de-ses-decisions
À l’en croire, le nouveau gouvernement « ne comprend pas l’impact économique de ses décisions ». Rien de moins!
Voyons ça de plus près. D’abord, il est important de comprendre qui est Françoise Bertrand, ce que nous pouvons faire facilement en prenant connaissance du petit encadré au bas du texte du Devoir :
« Françoise Bertrand en cinq dates
1968-1975 : Diplôme en sociologie (Université de Montréal) et maîtrise en études environnementales (Université de York, Toronto).
1980-1988 : Gestionnaire à l’Université du Québec à Montréal, entre autres à titre de doyenne à la gestion des ressources.
1988-1995 : Présidente-directrice générale de Télé-Québec.
1996-2001 : Première femme à diriger le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
2003 : Accède à la présidence de la Fédération des chambres de commerce du Québec après un passage de trois ans dans la firme de consultants SECOR. »
Beau CV, la madame! Sauf que… Elle doit l’essentiel de sa carrière aux Libéraux du Québec ou du Canada. En effet, elle a été nommée à la présidence de Télé-Québec par le dernier gouvernement Bourassa. Elle s’est fait montrer la porte par le PQ en 1995. Elle a ensuite été nommée à la présidence du CRTC par le gouvernement Chrétien en 1996, et elle a occupé ce poste jusqu’en 2001.
Au terme de son mandat, elle a passé trois ans chez SECOR, une firme de consultants libéraux bien connus. Raymond Bachand est lui aussi issu de ce sérail.
C’est par la suite que Françoise Bertrand a été nommée à la tête de la Fédération des chambres de commerce du Québec, un organisme censé représenter les milieux d’affaires comme tous les autres de ce genre sur lequel les réseaux libéraux ont la haute main depuis mon passage à l’Association des manufacturiers au début des années 1990. Ils se sont en effet jurés que jamais plus ils ne permettraient à une personne non affiliée à leur réseau d’occuper ce genre de poste. Trop dangereux.
Bien sûr, Le Devoir ne nous dit rien de tout cela, et c’est pourtant le plus important.
Alors, sous le chapeau officiellement apolitique de la Fédération des Chambres de commerce du Québec, Françoise Bertrand va pouvoir prendre sa revanche sur le PQ qui l’a évincée de Télé-Québec en 1995, et faire la « job de bras » médiatique pour ses amis libéraux et caquistes, étant entendu qu’ils sont cousins de la fesse gauche.
Alors, maintenant que nous savons à qui nous avons affaire, apprécions la stratégie de nos adversaires. Pour affronter Pauline Marois, ils lui opposent une femme qui, du fait des fonctions qu’elle occupe, est censée avoir toute la légitimité et la crédibilité requise sur le plan économique, le sous-texte étant que le gouvernement n’en a aucune en cette matière.
Cette stratégie pourrait être habile si les milieux d’affaires jouissaient encore du même prestige qu’avant le début de la crise économique. En effet, ils semblent être les seuls à n’avoir pas compris que le veau d’or a du plomb dans l’aile. C’est une erreur d’appréciation qui risque de leur coûter cher, peu importe que le PQ parvienne à se maintenir au pouvoir ou non.
Avec le PQ, ils vont devoir accepter de se faire « tasser » un peu, c’est vrai. Mais ils devraient comprendre que le PQ est préférable à « la rue » dont ils ont pourtant eu un léger avant-goût au printemps. Pensent-ils un seul instant qu’un Québec dirigé par le PLQ ou la CAQ serait en mesure d’échapper à la tempête mondiale qui s’annonce?
Le PQ lui-même n’est pas à l’abri. Mais il dispose au moins de réseaux de contacts avec les mouvements citoyens, et c’est plus que peuvent en dire les deux partis proches des intérêts des réseaux de prédateurs qui ne se cachent même pas pour les mépriser.
Regardez bien aller Françoise Bertrand. Vous ne l’entendrez pas dire un mot sur le scandale de la corruption dans la construction. Tous les entrepreneurs en construction, toutes les firmes de génie-conseil, sont des membres des Chambres de commerce qui paient scrupuleusement leur cotisation. Certaines des personnes qui seront mises en cause risquent même d’être de ses connaissances personnelles. Ils ont donc droit à sa bienveillance sinon à sa défense, car il serait en effet bien imprudent pour elle de se mettre à défendre l’indéfendable.
Vous ne la verrez pas non plus mettre de l’avant des propositions qui serviraient le bien commun et l’intérêt collectif, ne serait-ce que pour se ménager une certaine crédibilité comme interlocuteur social. Non, à force de se gaver dans l’auge publique, certaines personnes ne voient même plus tout ce que leur comportement peut avoir de glouton.
Pensez à Micheline Charest, de Cinar, reçue en grande pompe et applaudie à tout rompre à la Chambre de commerce de Montréal quelques semaines avant que son univers ne s’écroule avec la révélation de certaines malversations.
Mais c’est tout de même pour et au nom de ce monde-là qu’elle vient nous dire aujourd’hui que le nouveau gouvernement « ne comprend pas l’impact économique de ses décisions ». J’espère que vous mesurez bien toute l’indécence de son propos. Et j’espère que Pauline Marois saura lui dire en termes bien sentis qu’elle n’a pas de leçons d’économie à recevoir de ce monde-là.