Si la légalisation de la marijuana récréative était dans l’air à Ottawa depuis plusieurs mois, le gouvernement Trudeau a finalement accouché jeudi d’un projet de loi flou qui soulève bien des questions et pellette plusieurs réponses dans la cour des provinces.
Incomplet, boiteux, vide: les réactions ont fusé de toutes parts. Le projet de loi tant attendu du gouvernement Trudeau a soulevé bien des critiques, tant chez les partis d’opposition à Ottawa qu’à Québec.
«Il y a encore plusieurs questions sans réponses malheureusement et on n'a rien», a déploré la ministre provinciale Lucie Charlebois.
En plus de laisser plusieurs questions en suspens, la future loi fédérale laisse une grande marge de manœuvre aux provinces. Elles pourront notamment hausser l’âge de la légalité, comme c’est le cas pour l’alcool. Elles pourront aussi, par exemple, restreindre la possession ou limiter les endroits où le pot pourra être cultivé et consommé.
Ainsi, le risque de disparité entre les provinces est grand. Par exemple, une personne pourrait traverser les dix provinces canadiennes et devoir se conformer à autant de lois et de prix différents quant au pot.
D’ici la légalisation prévue pour juillet 2018, les provinces devront chacune adopter une loi pour régir le cannabis ainsi qu’en organiser la distribution et la vente sur leur territoire. Les ministres fédéraux ont admis que beaucoup de travail reste à faire.
Fédéralisme coopératif
La ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a pour sa part servi l’argument du «fédéralisme coopératif» pour justifier le fait que la mouture du projet de loi laissait plusieurs questions en suspens.
«Nous allons avoir encore plus de discussions avec les provinces et territoires pour nous assurer que nous allons avoir en place un régime complet, de la semence jusqu’à la vente», a-t-elle déclaré.
« Irresponsable »
Le spécialiste de la politique canadienne à l’UQAM, André Lamoureux, estime pour sa part que le projet de loi est mal ficelé et que son entrée en vigueur en juillet 2018 est «totalement irréaliste».
«Le projet de loi est vide en termes de substance et en profondeur, tant dans la perspective de la santé, du financement et des questions réglementaires que de la consommation du cannabis en entreprise. Tout ça est lancé dans la cour des provinces d’une façon irresponsable», est-il d’avis.
De son côté, Ottawa fait le pari que ce projet de loi a assez de mordant pour s’attaquer comme il se doit au crime organisé. Le projet prévoit des mesures strictes et plus sévères.
Le projet de loi en bref
- La possession de 30 grammes maximum de cannabis légal en public serait permise.
- La vente de cannabis sera limitée aux personnes de 18 ans et plus, mais les provinces auront la possibilité d’augmenter cet âge minimum.
- Chaque ménage pourra cultiver 4 plants de cannabis, d’une hauteur maximale de 1 mètre, dans sa résidence.
- Le gouvernement garde le cap sur son objectif de légaliser la marijuana récréative à compter de juillet 2018.
Des points à éclaircir
- Tout ce qui a trait à la vente du cannabis: qui, comment, où, à quel prix?
- Y aura-t-il une taxe fédérale et, si oui, qui empochera les profits?
- Où les gens pourront-ils consommer? Entre autres, pourra-t-on fumer en public (dans la rue, par exemple)?
- Les produits dérivés, dont les produits comestibles à base de pot (chocolats, biscuits, bonbons, etc.) seront disponibles plus tard pour la vente, après un examen plus poussé. Comment et selon quels critères?
- Les emballages devront-ils être neutres ou pas?
- Comment ça va se passer aux douanes américaines?
- Pourra-t-on vendre dans un endroit où il y a déjà de l’alcool?
– Avec la collaboration de Christopher Nardi, Guillaume St-Pierre et de Patrick Bellerose
5 choses à savoir sur le projet de loi
Jusqu’à 14 ans de prison pour vendre à des mineurs
Le projet de loi crée de nouvelles infractions qui peuvent mener à 14 ans d’emprisonnement: donner ou vendre du cannabis à des jeunes ainsi qu’avoir recours à un jeune pour commettre une infraction liée au cannabis.
Grosses sanctions pour faire la promotion du pot
Le projet de loi du gouvernement prévoit plusieurs interdictions liées à la promotion. Les enfreindre peut mener à des peines jusqu’à 5 M$ ou 3 ans de prison.
- Produits attrayants pour les jeunes
- Emballage ou étiquetage qui rend le cannabis attrayant
- Vente du cannabis libre-service ou par machine distributrice
- Promotion du cannabis, sauf dans des circonstances très précises où la promotion ne peut être vue par un jeune
Conduite avec facultés affaiblies : des policiers outillés pour dépister
Le fédéral fournira aux policiers des appareils pour effectuer des tests de dépistage des drogues à partir de la salive et leur fournira une formation à cette fin. Les agents pourront ainsi s’en servir en bord de route afin de détecter les cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue.
«On s’est engagé à équiper les forces policières d’un océan à l’autre afin qu’elles aient les outils pour détecter la présence du cannabis et de l’entraînement pour utiliser ces outils-là», a indiqué le secrétaire parlementaire de la ministre de la Santé, Joël Lightbound.
Que se passera-t-il si les provinces n’arrivent pas à tout mettre en place à temps ?
Le gouvernement Trudeau tient mordicus à légaliser la marijuana récréative en juillet 2018. Mais pour ce faire, chacune des provinces doit adopter sa propre loi encadrant le pot et mettre en place le système de distribution et d’encadrement de la vente au détail. «Dans le cas de provinces ou de territoires qui n’auront pas de système de vente en détail établi et pleinement fonctionnel d’ici à ce que la loi entre en vigueur, les adultes ont la possibilité de faire un achat de cannabis directement auprès d’un producteur autorisé», écrit le gouvernement. Ils pourront le faire en ligne.
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