Je vacille entre l’athéisme et l’agnosticisme depuis l’âge de 15 ans. Un grand nombre de voix associées à de tels mouvements se réjouissent des nouvelles restrictions en vigueur depuis l’adoption de la loi 21. L’aveuglement de certains individus et regroupements (comme l’Association humaniste du Québec, qui réunit des athées et des agnostiques) quant aux contradictions et déséquilibres introduits par cette loi m’incite à remettre en question les prétentions humanistes de plusieurs intervenants dans ce débat.
En tant qu’agnostique qui prône la laïcité et l’impartialité de l’État, j’ai l’impression que mes valeurs ont été détournées pour accommoder un vaste programme d’invisibilisation des minorités. Je me désole de constater que plusieurs amis et amies athées ou agnostiques ne sont pas en mesure de réaliser ou d’admettre que la loi 21 instrumentalise et dénature les valeurs que nous défendons.
En tant que catholique baptisé, je suis désormais associé — grâce à la loi 21 — à un groupe qui possède une sorte de « droit acquis » par rapport aux minorités (même celles, faut-il le noter, qui pratiquaient leur spiritualité sur ce territoire bien avant que mes ancêtres français s’y installent). En effet, comme le relate un article récent ( Les crucifix pourront rester dans les écoles et les hôpitaux de Mylène Crête, publié dans Le Devoir du 20 juin 2019), le gouvernement a décidé que cette loi n’intégrera aucune directive concernant le retrait des crucifix dans les institutions publiques et prétendument laïques où des individus seront forcés de retirer leur signe religieux. Les sondages révèlent que plusieurs tenants de la « laïcité » souhaitent maintenir en place les crucifix dans les institutions publiques. Tout ceci se déroule alors même que le Québec prend conscience du devoir collectif de poser des gestes radicaux de réconciliation envers les Premières Nations.
Si l’on veut restreindre l’influence du religieux sur le politique, comment justifier qu’une loi cible avant tout des minorités religieuses qui n’ont aucun pouvoir effectif sur l’État, alors que les traces visibles d’un concubinage historique se voient tolérées ou protégées ?
On ne semble pas mesurer collectivement le ridicule de la situation : on a choisi d’intituler cette chose « Loi sur la laïcité de l’État », mais seul l’individu doit s’y soumettre, et l’on trouve normal que l’une des religions demeure plus visible au nom du patrimoine ou alors « parce que, ici, c’est comme ça ». Or, ce n’est absolument pas normal, et ça n’a vraiment pas toujours été comme ça, ici. C’est, au mieux, de la laïcité à géométrie variable, au pire, de l’hypocrisie qui se drape dans le voile de la vertu. […]
Crucifix au mur
Si l’on tient mordicus à imposer la laïcité à certains citoyens et citoyennes, la moindre des choses serait de s’assurer qu’il n’y a pas un crucifix au mur quand on les menace de « simplement » changer d’emploi pour préserver le droit d’exprimer leur conviction religieuse. […]
Il aurait été tellement plus simple que l’on se contente de voir et d’accepter la diversité des croyances, d’éduquer les enfants à propos des différentes postures par rapport au fait religieux (incluant l’athéisme et l’agnosticisme) et de valoriser la discussion et la critique respectueuse. On a préféré feindre une crise nationale et légiférer « de manière modérée » en réponse à cette crise imaginaire. Si l’on admet qu’il n’y a pas de crise, cependant, cette loi est tout sauf modérée.
Le Québec a changé avec cette loi, et je crois que nous avons maintenant un devoir collectif de solidarité envers les minorités touchées.
L’institution catholique s’est prononcée contre la loi et prêche dans ses communications officielles des valeurs de respect et d’ouverture envers les minorités religieuses. Elle se montre ainsi, en théorie, beaucoup plus humaniste que l’association athée agnostique mentionnée plus haut, dont l’humanisme autoproclamé ne semble pas se traduire en compassion pour les individus concernés. Je crois que l’Église et ses fidèles solidaires devraient refuser de jouir d’une visibilité apparemment plus tolérable aux endroits mêmes où des individus pourraient perdre leur emploi, et donc indirectement cautionner l’esprit discriminatoire de la loi. Pour éviter cette gêne, dans le Québec de la loi 21, ne faudrait-il pas faire pression sur les établissements afin que soient retirés les crucifix facilement amovibles ? Il me semble que l’Église catholique, fondée sur des valeurs de compassion, devrait maintenant envisager cette possibilité.
Combien d’établissements possèdent des crucifix visibles et facilement amovibles ? Ce n’est pas clair. Sonia Lebel a imposé aux palais de justice de les retirer (on la salue, au moins, pour la cohérence) ; on en retrouvait dans 17 édifices gouvernementaux liés à son ministère. Ça ne doit pas être si rare dans les hôpitaux, les écoles et les postes de police à la grandeur du territoire. Lorsqu’on a tenté de retirer le crucifix à l’hôpital du Saint-Sacrement en 2017, la levée de boucliers fut tellement intense que l’objet a été remis en place rapidement. Une partie des gens qui se sont battus pour demeurer visibles à ce moment ont contribué à élire un gouvernement qui promettait de rendre les autres croyances moins visibles.
Invisibilisation
En tant qu’individus qui valorisent la laïcité de nos institutions, je crois qu’il est essentiel, à ce stade, de confronter ces adeptes de la laïcité à géométrie variable. Peut-être que lorsqu’ils et elles auront connu — à l’instar des minorités — la menace de se voir invisibiliser par l’État, ils et elles seront à même de mieux comprendre ce que peut vivre une partie de leurs concitoyens et concitoyennes dans le Québec d’aujourd’hui. Si les demandes de retrait venaient de l’Église elle-même, peut-être que ces individus accepteraient plus facilement une laïcité qui met tout le monde sur un même pied d’égalité.
Aux amis et amies athées ou agnostiques qui croient que la loi 21 représente un progrès, j’aimerais rappeler que l’un des aspects les plus communément dénoncés par nos regroupements concerne l’imposition des croyances de façons plus ou moins violentes au cours de l’histoire des religions. Bien plus que les catholiques adeptes de laïcité à géométrie variable, il me semble qu’une personne athée ou agnostique qui veut imposer sa vision de l’univers à des individus croyants (à grands coups de police de la laïcité) adopte une position contradictoire et intenable. Plusieurs mesures pour assurer la laïcité de nos institutions pourraient être défendues, mais assurément, l’invisibilisation d’individus issus de minorités n’en fait pas partie.