Il est assez inhabituel qu’un premier ministre commence à évoquer sa retraite tout juste un an après avoir été élu, mais il est vrai que François Legault ne fait pas les choses comme tout le monde. Et il dit parfois des choses qu’il ne devrait pas dire même s’il les pense.
Imaginons que le chef de la CAQ se soit présenté à l’élection du 1er octobre 2018 en avertissant qu’il ne serait là que pour deux ans, après quoi il prendrait sa retraite. Pas sûr qu’il aurait obtenu les mêmes résultats. C’est pourtant ce qui pourrait se produire en 2022, si on en croit ce que M. Legault a confié à une collègue de La Presse canadienne la semaine dernière. S’il obtient un deuxième mandat, il partira dans la deuxième moitié.
M. Legault n’est pas le premier qui refuse de se considérer comme un politicien de carrière. Il se perçoit d’abord et avant tout comme un homme d’affaires de la même façon que Jacques Parizeau s’est toujours présenté comme un professeur. Lucien Bouchard était un avocat dans l’âme et il s’est empressé de retourner à sa pratique après sa démission.
L’actuel premier ministre assure ne pas être obsédé par le « plaisir du pouvoir », mais il est presque touchant de constater à quel point il semble heureux dans son poste, et c’est tant mieux. Cela démontre simplement qu’on peut avoir des passions successives.
M. Legault est le père fondateur de la CAQ et sa popularité est telle que personne n’oserait actuellement montrer un quelconque intérêt pour sa succession, même si tout le monde voit déjà Simon Jolin-Barrette et Geneviève Guilbault comme de futurs prétendants au trône. La politique étant ce qu’elle est, cela va changer radicalement dès qu’il enverra le moindre signe qu’il songe à partir.
Ce jour-là, la course va officieusement commencer, ce qui aura immanquablement un effet sur la cohésion du gouvernement. Au sein du caucus des députés, chacun tentera d’évaluer les chances de l’un ou de l’autre pour s’assurer de se retrouver dans le bon camp. Chaque déclaration d’un aspirant potentiel sera interprétée dans la perspective d’une candidature.
Quand les problèmes de santé de Robert Bourassa ont semblé exclure qu’il sollicite un troisième mandat, ceux qui lorgnaient sa succession n’ont pas attendu qu’il annonce officiellement son départ pour s’activer. À tel point que tout était pratiquement réglé quand il est finalement parti. Jean-François Lisée avait voulu profiter de l’occasion en publiant un livre intitulé Les prétendants, mais il n’y avait plus personne pour s’opposer à Daniel Johnson quand le livre s’est retrouvé en librairie.
Moins d’un an après sa réélection, en 1999, le premier ministre ontarien, Mike Harris, avait voulu mettre un terme aux conjectures sur son avenir en déclarant qu’il solliciterait un autre mandat. Invité à donner la même assurance, Lucien Bouchard s’était exécuté avec une mauvaise humeur évidente. Finalement, il n’a pas terminé son mandat, mais personne n’avait vu venir sa démission.
Certes, il ne faut jurer de rien en politique, mais il y a de bonnes chances que les Québécois réélisent la CAQ dans trois ans. Si c’est le cas, ce sera en grande partie parce qu’ils font confiance à son chef. Feront-ils le même choix sachant qu’il ne terminera pas son mandat ? En 2026, M. Legault aura 69 ans. Il a certainement le droit d’aspirer à une retraite plus hâtive, mais de nombreux dirigeants politiques sont demeurés en poste à un âge bien plus avancé.
Qui sait quelle sera la situation dans quatre ou cinq ans ? Pour le moment, l’économie tient le coup, mais une récession viendra tôt ou tard. On imagine mal un premier ministre dont l’économie est précisément la marque de commerce quitter le navire en pleine tempête. Au contraire, on a vu dans un passé récent que la nécessité de s’assurer qu’un homme d’expérience ait « les deux mains sur le volant » peut devenir un puissant argument électoral.
Sans parler de la question nationale. Il est très probable que la Cour suprême sera un jour appelée à se prononcer sur la constitutionnalité de la Loi sur la laïcité. Quelles seraient les conséquences de son invalidation sur l’opinion publique ? Si cela avait pour effet de relancer le débat sur l’avenir politique du Québec, comment M. Legault pourrait-il s’en laver les mains ? Bref, on verra.
P.-S. Cette chronique sera de retour le 14 janvier. Joyeux Noël et bonne année à tous.