À l’époque où elle était elle-même députée de Jean-Talon, Margaret Delisle ne se gênait pas pour « dire les vraies affaires ». Durant la campagne électorale de 1998, ses collègues libéraux de la région de Québec avaient été abasourdis de l’entendre dire que l’élection d’un gouvernement dirigé par Jean Charest allait déclencher « une grande bataille avec les syndicats » représentant les employés du secteur public.
M. Charest s’était empressé de la désavouer et d’assurer qu’il ne demandait pas mieux que de collaborer avec le monde syndical, mais le mal était fait. Dans la région de Québec, les résultats de l’élection avaient été désastreux pour le Parti libéral (PLQ). Pourtant, Mme Delisle avait simplement tiré la conclusion logique des déclarations de son chef, qui disait ouvertement souhaiter réduire la taille de l’État de 30 %. Sans le nom, la « réingénierie » de 2003 se profilait déjà.
Mme Delisle avait ajouté : « On ne peut pas avoir un double langage : dire qu’on va payer moins cher de taxe et d’impôt et que tout va rester comme c’est là. » Encore une fois, c’était précisément ce que prétendait M. Charest. Souligner aussi clairement cette incongruité n’était peut-être pas très indiqué de la part d’une de ses députées, mais cela avait assurément le mérite de la franchise.
Au cours des dernières semaines, Mme Delisle a participé à la campagne dans son ancien comté et la conclusion qu’elle a tirée de la cuisante défaite encaissée à l’élection partielle de lundi était nettement plus éclairante que les vagues considérations du chef intérimaire du PLQ, Pierre Arcand, sur l’écoute insuffisante dont a fait preuve son parti. « Il y a des gens qui m’ont dit : “vous ne nous avez pas défendus”. […] Ils avaient l’impression qu’on était davantage Canadiens que Québécois. Et ça, tu ne peux pas changer ça dans la tête d’une personne au bout d’un téléphone pour la convaincre de voter pour vous », a-t-elle déclaré dans une entrevue à QUB radio. Autrement dit, il ne suffit pas de prétendre qu’« être Québécois est notre façon d’être Canadiens », comme Brian Pallister pourrait dire qu’être Manitobain est sa façon d’être Canadien.
Mme Delisle n’est évidemment pas la première à dire que le PLQ doit reconnecter avec la majorité francophone, mais c’est beaucoup plus difficile à faire, comme la saga de la loi 21 sur la laïcité ne cesse de le démontrer. Si la Cour d’appel ordonne la suspension des dispositions sur le port de signes religieux, comme le gouvernement l’appréhende, le premier ministre Legault s’est dit prêt à « prendre les moyens nécessaires pour que la loi soit appliquée ». Autrement dit, on ferait appel de la suspension, mais cela n’empêcherait sans doute pas certaines commissions scolaires d’en profiter pour embaucher des enseignantes portant le voile.
On peut déjà prévoir qu’une majorité de francophones réagiraient très mal. Compte tenu de l’hostilité de sa clientèle anglophone et allophone envers la loi 21, l’indignation n’est pas une option pour le PLQ. Le plus loin que Dominique Anglade a cru pouvoir aller a été de s’engager à ne pas renouveler la clause dérogatoire lors de son échéance, en 2024, abandonnant ainsi la loi à la merci des tribunaux.
Certes, le gouvernement Legault a parfois agi de façon précipitée ou avec une insensibilité choquante. Aux yeux de la grande majorité des Québécois, il est cependant moins grave de commettre quelques bévues que de se comporter comme une cinquième colonne.
Le député libéral de Jacques-Cartier, Gregory Kelley, a présenté jeudi à l’Assemblée nationale un projet de loi visant à offrir gratuitement des cours de français à toute personne résidant au Québec qui le désire. Le ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, lui a réservé un bon accueil, assurant M. Kelley que « son idée va percoler ».
L’apprentissage du français langue seconde est déjà obligatoire à l’école anglaise, mais il est très possible que cela soit insuffisant. Sans parler de tous ceux qui ont été scolarisés à une époque où il n’était pas enseigné. Il est difficile d’évaluer combien souhaiteraient apprendre ou perfectionner leur français, mais ils seraient assurément plus nombreux s’il leur était impossible de vivre et de travailler uniquement en anglais au Québec. Dans l’état actuel des choses, cela est tout à fait possible et le PLQ n’a jamais donné la moindre impression d’être disposé à prendre les moyens pour que cela change, bien au contraire.
Avant de « reconquérir le coeur des francophones », comme le dit Mme Delisle, les libéraux ont beaucoup de pain sur la planche.