La présente campagne électorale est-elle bien couverte par les médias? Vaste et délicate question à se poser, en cette veille du débat des chefs.
N'importe quel journal, réseau de télévision ou poste de radio vous affirmera qu'il met toutes ses ressources à expliquer les «vrais enjeux».
Mais la perception des citoyens dans les blogues et les forums de discussion sur Internet semble différente. On semble beaucoup reprocher aux médias d'entretenir la controverse, de fouiller sans arrêt le passé des différents candidats pour dénicher la petite faille, de s'intéresser plus à l'image des chefs qu'à leurs propos.
Influence Communication est une entreprise maintenant bien connue pour sa mesure du «poids médiatique» des nouvelles dans les médias. À la fin de la semaine dernière, son président, Jean-François Dumas, constatait que, dans la liste des dix sujets électoraux qui ont été le plus massivement couverts par les médias, un seul était un véritable engagement électoral, soit l'abolition des commissions scolaires (une promesse de l'ADQ). Tous les autres sujets n'étaient pas directement liés aux engagements électoraux. On retrouvait dans la liste, par exemple, les dérapages de certains candidats, l'homophobie ou encore le débat constitutionnel.
«Par rapport à la campagne de 2003, il y a 20 % de plus de contenu médiatique consacré aux élections, a-t-il calculé. Il faut dire qu'en 2003, l'actualité était également dominée par la guerre en Irak. Mais les sujets dont on a le plus discuté en 2003, c'était la santé, les impôts, les défusions...»
Alors que la campagne est entrée ce week-end dans sa deuxième moitié, Jean-François Dumas constate que, pour le moment, «nous avons plus eu un débat de clips qu'un débat d'idées».
Jean-François Dumas fait d'ailleurs un constat intéressant. «Si vous êtes candidat à Gaspé, dit-il, vous passez dans les médias locaux, vous participez aux débats à la radio et la télé locale, mais ce n'est pas le cas si vous êtes candidat dans Ahuntsic à Montréal. Il semble y avoir plus de débats de fond entre les candidats dans les médias régionaux.»
L'idée que la campagne soit axée sur le «clip» est également reprise par Christian Désilets, ancien directeur général de Cossette à Québec, maintenant professeur en communications à l'Université Laval. «La télévision est si puissante qu'elle donne le ton à toute la campagne, dit-il. Et la télévision se prête mal au débat. Les clips dominent et donnent ensuite le ton aux autres médias.»
Sur le site Internet de Radio-Canada vendredi dernier, le professeur en sciences politiques de l'Université de Montréal, Richard Nadeau, constatait que les citoyens reprochent aux médias d'être trop négatifs, d'accorder trop d'importance à la course, et de trop privilégier l'anecdote et les gaffes des candidats, au détriment de la substance et des enjeux de fond.
Les citoyens veulent un meilleur équilibre, soutient-il. Richard Nadeau avance d'ailleurs une proposition audacieuse: pour mieux équilibrer la couverture électorale, les téléjournaux pourraient consacrer une portion en début de bulletin de nouvelles aux propositions de chaque parti, de façon neutre, factuelle et impartiale. Cette portion serait suivie de la couverture journalistique habituelle (tournée des chefs, sondages, etc.). Est-ce naïf? On imagine déjà les patrons des nouvelles paniquer devant la fuite possible des téléspectateurs...
Christian Désilets, lui, est très réaliste. «Le média qui peut le mieux expliquer les grands enjeux, c'est le journal, dit-il. Mais est-ce que le citoyen lit vraiment un article de trois quarts de page consacré à la santé ou au déficit?»
«Peu de gens s'intéressent vraiment aux programmes des partis, renchérit Jean-François Dumas. Les gens votent beaucoup plus pour quelqu'un auquel ils s'identifient.»
La campagne 2007 est aussi la première à se conjuguer autant sur Internet. Les forums de discussion pullulent sur les sites des grands médias et les blogueurs individuels s'en donnent à coeur joie. Le passé de certains candidats a refait surface grâce à Internet, et les interventions du Directeur général des élections pour tenter de baliser les dépenses électorales sur le Net font sensation.
Mais Internet est-il vraiment un atout? Les journaux et les réseaux de télévision proposent tous des chroniques sur la façon dont les citoyens s'expriment sur Internet. Mais comment mesurer l'impact véritable de toutes ces discussions? Comment mesurer l'impact réel d'un blogue fréquenté par à peine 300 personnes?
Christian Désilets a une opinion très tranchée sur le sujet. «Internet est une grosse déception, lance-t-il. Les partis politiques l'utilisent de façon primitive. Et les gens qui s'expriment sur Internet ont souvent un langage primaire, réagissant dans l'émotivité et l'instantanéité.»
Le débat des chefs demain soir est donc l'occasion d'entendre les chefs de partis expliquer directement les grands enjeux de la société québécoise. Souhaitons que les commentateurs ne versent pas trop dans la métaphore sportive, en déclarant un vainqueur par K.-O. ou en recensant les mises en échec sévères dans le coin de la bande...
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pcauchon@ledevoir.com
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