Les élections seront historiques. Le 26 au soir, le Québec sera morcelé à un point tel qu'il deviendra difficile, à court terme, de le penser à partir de points communs et d'idées partagées. Les pourcentages d'appui que reçoivent les cinq partis en lice annoncent un morcellement sans précédent. Trois partis (Parti libéral du Québec, Parti québécois et Action démocratique du Québec) obtiennent chacun environ 30 % des futurs votes, les deux autres (Québec solidaire et Parti vert) se divisant le reste.
Derrière ce morcellement, des fissures de tout genre ressortiront, témoins autant de l'absence d'une vision émanant du peuple québécois que de l'omniprésence d'une vue du Québec à l'intérieur des paramètres définis par le Canada. Oui, ces élections seront historiques. Elles annoncent la fin d'une approche, celle de la génération de la Révolution tranquille. Pour l'après, elle fera voir un grand vide, ce qui permet de penser que ce vide pourrait être l'amorce de quelque chose d'autre. Voyons d'abord les fissures.
Des générations disloquées
Quiconque écoute les chefs des partis politiques ne peut que constater que le PLQ annonce une canalisation d'argent en direction des personnes âgées, le PQ, en direction des étudiants de niveau postsecondaire, l'ADQ, en direction des enfants en bas âge, alors que QS entend aider les trois groupes en ciblant les plus démunis. Tout ça, au fond, conduit à réorienter les revenus de l'État du Québec vers des clientèles précises sans véritable plan d'ensemble.
En fait, tout ce qu'on a comme plan, ce sont des frais à la hausse pour les mieux nantis chez QS, des baisses pour ces derniers au PLQ et des hausses pour les étudiants en plus de compressions dans des programmes sociaux chez l'ADQ. Quant au PQ, il entend surtout tirer ses revenus de la correction du déséquilibre fiscal.
En termes clairs, cela veut dire que ce qui ira dans certaines poches sera pris dans d'autres. Et comme on annonce qu'on fera ainsi, les électeurs voteront en fonction de ce qu'ils recevront ou perdront. L'intérêt collectif deviendra la somme des intérêts de groupes cibles définis en termes de génération. Il y aura donc des conflits révélateurs d'un refus de se penser comme collectivité et de viser, par le débat, un accord intergénérationnel.
Des zones déconnectées
La deuxième fissure proviendra des couleurs politiques du territoire du Québec. Celles de QS et du PV demeureront cachées même si elles sont davantage présentes à Montréal et dans les villes ayant une base industrielle ou de services, la base industrielle étant plus QS, l'autre PV.
Les trois autres partis révéleront la fissure. Le PLQ se fera voir à l'ouest du boulevard Saint-Laurent, dans les régions où se sont concentrés les Québécois ayant un penchant canadien et désireux d'ériger des murs de protection pour faire valoir des cultures différentes et la langue anglaise au Québec. À l'est de ce boulevard, le PQ sera présent mais, dans les périphéries du nord et du sud, on verra des mélanges, car l'ADQ s'y manifestera plus que d'habitude. Les couleurs de l'ADQ seront par contre très visibles dans les régions de Québec, de Chaudière-Appalaches et du Bas-Saint-Laurent.
Devant ces colorations, les nuances s'affadiront de telle sorte que plusieurs distingueront un clivage montréalais sur une base linguistique et un clivage hors Montréal sur une base culturelle au sein des Québécois apparemment qualifiés de souche. Tout ça témoignera d'un désir de ne pas être autre chose que des identités distinctes.
Quant on en est rendu là, on est loin d'un «vivre ensemble» affirmé politiquement. On est dans l'enfermement culturel qui ouvre la voie à l'affirmation canadienne. La résultante: la vie québécoise est en dehors de la vie politique d'un pays.
Une économie de tensions
Derrière les programmes des partis, il y a des alignements économiques. Le PQ a son modèle, qu'il veut à peine retoucher. L'État demeurera, et l'influence syndicale aussi. Le PV fait dans l'économie sociale avec des entrepreneurs locaux. QS veut tirer profit des multinationales, ce que n'ose pas faire le PLQ. Quant à l'ADQ, son choix est la PME, l'abaissement des forces syndicales et le dégonflement de l'État.
En somme, tout est là, mais le tout prend des airs de clivage entre des morceaux d'un puzzle sans image à reproduire. Aux gros morceaux, le PQ veut opposer de gros morceaux d'État et boucher les trous avec les petits et les moyens morceaux; QS entend les siphonner et le PLQ, les protéger. Les deux autres partis font dans le petit et le moyen, le PV misant sur du collectif localisé, l'ADQ sur l'entrepreneuriat en région, collectif ou individuel.
Dans ce Québec, on est loin de Québec inc. et plus loin encore d'une vision de l'économie du Québec. On est ailleurs. Dans un garage dont les mécaniciens semblent formés à bricoler avec de vieux outils d'hier sur des autos abandonnées sur la route, incapables de penser en dehors de ces limites car non formés pour penser autrement.
Un avenir sans avenir
Derrière ces fissures, c'est un Québec d'avenir sans avenir qui ressort. Un Québec divisé en trois axes politiques équivalents en soutien populaire, mais sans avenir pour chacun d'eux. QS et le PQ pensent indépendance, mais dans le futur, aucunement dans le présent, alors que les Québécois sondés en veulent un à 45 % autrement que par référendum.
Le PLQ, bras droit du Canada centralisateur modèle PLC, PC ou NPD, voit l'avenir du Québec dans le pays qui lui pompe l'air et lui en retourne à ses conditions et selon ses priorités. Quant à l'ADQ, l'autonomie des années 1950 ou celle promise en 1867 lui suffit pour agir, ce qui semble satisfaire aussi le PV. Ces deux partis, comme des enfants, pensent pouvoir se construire des châteaux en jouant dans un carré de sable dégarni.
Tout ça est dramatique, car l'avenir sera construit sur la base du parti ou des partis qui deviendront des maîtres quêteurs. Au lendemain du 26, l'art de la quête redeviendra le coeur de l'activité politique québécoise, comme il l'est déjà. Il s'incrustera toutefois plus qu'avant et celui qui donne des sous, qu'il soit généreux ou circonspect, sera encore et toujours l'habile constructeur bien payé de cette province sans bon sens.
Tout ça va se retrouver pêle-mêle à l'Assemblée nationale. Cet état, typique des transitions, devrait durer deux ans, peut-être plus, peut-être moins, et faire la démonstration que quêter indigne, non pas les Canadiens, car ça les sert, mais des Québécois, de toutes origines confondues, si tant est que l'honneur et la dignité demeurent une valeur partagée.
Si c'est le cas, ces Québécois pousseront à la roue et trouveront l'argent qu'il faut pour rejeter cette gouvernance qui nourrit toujours des intermédiaires téteux mais empêche de faire le pays du Québec. Si ce rejet ne conduit pas à décider, lors des prochaines élections, de faire ce pays, la mendicité et le morcellement demeureront.
Comme membre de ce peuple, je vais tout faire pour qu'on ne soit plus des mendiants.
Le soir du 26: un Québec morcelé et mendiant
Derrière ce morcellement, des fissures de tout genre ressortiront, témoins autant de l'absence d'une vision émanant du peuple québécois que de l'omniprésence d'une vue du Québec à l'intérieur des paramètres définis par le Canada. Oui, ces élections seront historiques. Elles annoncent la fin d'une approche, celle de la génération de la Révolution tranquille. Pour l'après, elle fera voir un grand vide, ce qui permet de penser que ce vide pourrait être l'amorce de quelque chose d'autre.
Chronique de Claude Bariteau
Claude Bariteau49 articles
Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans L...
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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.
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