La campagne est terminée. Rien ne va plus. Le 27 mars, ce sera comme s'il ne s'était rien passé.
Les rêves n'ont plus leur parti dans la politique. Aujourd'hui, on applique des règles de mise en marché à nos produits aux allures démocratiques. L'avenir de notre monde se joue sur les tables mêmes où sévissent les lois du commerce. Les pancartes des candidats ressemblent à celles des vendeurs de maison. On courtise l'immobilisme. On cherche le dominateur commun. Et tous les génies fusent de leurs lampes astiquées avec les trois mêmes voeux à offrir. Santé, éducation et prospérité. Comment ne pas les aimer tous?
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Les vieux du village m'en parlent avec nostalgie. Pas de celle qui aliène, mais de celle qui offre à rêver des souvenirs prochains. De celle d'un temps mythique qui se confond avec hier, mais que l'on sait venu des légendes lointaines. Les vieux me racontent cette époque où la chose politique ne rimait pas qu'avec la politesse. De ce temps où on parlait encore pour dire quelque chose. Où la langue était un muscle. D'une époque où les promesses se calculaient en asphalte et en whisky blanc. Concrètement.
«Mesdames et messieurs, pour le cultivateur, je ferai poser des lunettes vertes aux vaches afin qu'elles voyent de l'herbe où il n'y en a pas.»(extrait du discours électoral de Mégilde Rivard)
Rien ne va plus. On ne nous propose maintenant que du futur à numéro. Des possibles mesurés, aseptisés que l'on ne joue plus pour gagner, mais seulement pour ne pas perdre. Dans la liste des valeurs, il ne reste que des chiffres. Les mandats se misent sur des promesses d'injections de piasses pour tous les orifices de nos insatisfactions. On nous tire les joints avec du fric. On nous ferme étanche. Et nos avenirs se laissent aligner, droits, sur deux colonnes comptables. Allez, venez, Milliards, vous asseoir à ma table!
Morosité.
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Les vieux du village me parlent des années où la démocratie appelait encore son monde aux urnes. Remplies jusqu'aux bouchons. D'un temps où l'accessibilité à l'espérance était universelle. On rapporte qu'au jour du scrutin, dans les bonnes années, on enregistrait des records de 110 % de taux de vote. Parce que les morts continuaient de voter encore bien des années après le trépas. Par devoir, par responsabilité. On léguait beaucoup. On rêvait bien plus loin que sur quatre ans.
«Cultivateurs, j'ai cultivé le sol de la terre comme vous z'autres, j'ai élevé des vaches et des moutons comme vous z'autres et puis, mesdames et messieurs, j'ai élevé des cochons comme toutt vous z'autres!» (extrait du discours électoral de Mégilde Rivard)
Rien ne va plus. On nous a lu l'avenir dans les lignes des sondages. À déjà savoir qui va gouverner avant d'aller se prononcer. Facile de gagner ses élections quand on connaît la combine chanceuse à l'avance. Notre démocratie se joue comme une astrologie à l'envers. On nous apprend à ne pas faire mentir la science en s'assurant de nous lire notre horoscope à l'avance. Recto-verseau. Et on suit nos astres pour garder l'illusion vive que nos constellations sont justes. Le pourcentage de ceux qui se prononcent est faible. On tire la majorité des voix d'une minorité.
Morosité.
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Voilà. Mais je garde espoir. C'est connu, de toute façon, qu'on espère habituellement mieux dans l'insatisfaction du moment présent.
Je continue de croire en des demains. J'aspire d'air et rêve d'eau pure. Je rêve de voir briller le soleil dans le système scolaire. Je rêve d'une espérance de vie qui sera plus qu'une moyenne chiffrée. Pour qu'on règle le problème électile et le manque d'enfants. À arrêter de se réduire l'avenir à trop court. À se redonner le lousse pour pousser l'espoir un peu plus loin, et reprendre
envie à léguer. À rêver ensemble, surtout. La démocratie.
Mettons nos souliers. Attachés serrés. Entrez dans la danse et choisissez qui vous voudrez. Swinguez fort. Faites-y voir que vous z'êtes pas morts.
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Aujourd'hui, j'irai tracer mon X. La variable qu'il nous reste pour esquisser la prochaine équation collective. Notre X. Notre portion de décision. J'irai porter ma croix. Pour que la morosité ne l'emporte pas, j'ajouterai le nom de Mégilde Rivard sur mon bulletin de vote.
Fred Pellerin, Conteux
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