Il manque 50 millions en revenus publicitaires à cause du ralentissement économique et il faut effectuer des compressions dans les stations régionales. Radio-Canada, la semaine dernière? Pas du tout: ces informations sont tirées des articles publiés en décembre 1990, lors d'une première vague de compressions à Radio-Canada.
C'était sous un gouvernement conservateur. Le pire allait pourtant survenir cinq ans plus tard sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien. Le manque à gagner était alors de 350 millions. Au printemps 1995, la direction du secteur français prévoyait, à elle seule, le départ de 750 employés. Michèle Fortin, qui était alors la patronne des services français, prévenait ses troupes qu'il fallait produire moins de dramatiques, et que ce serait «de plus en plus difficile de produire des émissions culturelles de haute qualité».
La relation entre l'institution publique et les gouvernements successifs a souvent été houleuse, c'est évident. Les politiciens ont souvent prêté une oreille attentive aux critiques qui trouvaient que l'entreprise coûtait cher pour les résultats obtenus.
Il faut l'avouer, Radio-Canada a encore du ménage à faire entre ses murs pour être plus efficace et, comme c'est souvent le cas dans une énorme entreprise publique, on découvre du bois mort dans les recoins.
Un vaste mandat
Mais il faut répéter aussi à quel point le mandat de Radio-Canada est vaste, avec l'objectif de satisfaire tout le monde de l'Atlantique au Pacifique, dans les deux langues, et dans tous les villages, en offrant une programmation populaire censée rassembler les foules, mais également une programmation plus ciblée pour les publics boudés par la télévision commerciale. Radio-Canada, c'est autant Paquet voleur avec Véronique Cloutier que les réflexions philosophiques de Jacques Languirand à la radio. Ce sont autant des émissions en langues étrangères sur RCI que les musiques émergentes de Bande à part.
Bref, un mandat qu'aucun diffuseur privé n'accepterait de remplir. À moins que l'État ne lui donne un milliard pour le faire. Mais ce ne serait plus un diffuseur privé.
La crise de la semaine dernière à Radio-Canada est profonde. On peut critiquer le gouvernement actuel pour son manque de sensibilité envers le diffuseur public, et il est exact qu'il aurait pu lui accorder plus de souplesse financière. C'est un gouvernement qui a d'ailleurs fait la sourde oreille à des recommandations de sa propre Chambre des communes, puisque, ces dernières années, différents comités parlementaires préconisaient d'accorder un financement stable et pluri-annuel à Radio-Canada. On aimerait être bien convaincu que le gouvernement actuel considère Radio-Canada comme un service essentiel...
Mais le gouvernement libéral n'a pas fait mieux dans les années 90. Et il ne faut surtout pas perdre de vue que c'est l'ensemble des chaînes généralistes qui est dans la tourmente, avec la baisse générale des revenus publicitaires, causée à la fois par la récession et par les changements d'habitudes des téléspectateurs, qui s'épivardent autant sur les chaînes spécialisées que sur Internet.
Une crise majeure
Radio-Canada doit donc, encore une fois, se serrer la ceinture. Le défi consiste à ne pas affaiblir, dans cette opération, ce qui fait le caractère distinct du diffuseur public. Avec la disparition d'émissions comme Macadam Tribus ou Des airs de toi à la radio, c'est plutôt mal parti.
Ébranlée et se sentant menacée, Radio-Canada risque malheureusement de se replier sur des valeurs sûres, sans risque, qui vont la rapprocher encore plus des chaînes privées, en investissant moins dans le secteur jeunesse (c'est déjà commencé), moins dans les stations locales (c'est en marche), et en réduisant les budgets à l'information internationale, qui devrait pourtant être sa bannière la plus prestigieuse.
Pour sa part, le président de Radio-Canada, Hubert T. Lacroix, a très bien démontré la semaine dernière comment Radio-Canada représentait une véritable aubaine pour les Canadiens, en citant cette étude du groupe Nordicité qui révèle que Radio-Canada coûte 34 $ par année à chaque Canadien. Le chiffre fait son effet.
Surtout quand on sait qu'en moyenne, les 18 pays occidentaux étudiés par Nordicité consacrent 76 $ par année par citoyen à leur diffuseur public, et que la Grande-Bretagne consacre 124 $ à la BBC.
M. Lacroix pourrait poursuivre sa réflexion du côté de la BBC. Le diffuseur public britannique annonçait justement lundi dernier l'adoption d'un nouveau budget, qui prévoit, lui aussi, des compressions. La BBC prévoit aussi investir 30,7 millions de livres (55 millions $CAN) dans ses services Internet, et le budget total de «BBC on line» atteint maintenant 145 millions de livres (256 millions $CAN). Mais ce qui frappe l'imagination, c'est que le plan adopté prévoit non seulement un gel des salaires des dirigeants, mais aussi une réduction des cachets des grosses vedettes...
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pcauchon@ledevoir.com
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