Les Québécois qui exerceront leur droit de vote le 26 mars sont à ce point partagés qu'il est possible que sorte des urnes ce jour-là un gouvernement minoritaire. Impossible, à quelques jours du vote, de prédire quelle en sera la couleur. Une telle perspective devrait inciter les électeurs à bien soupeser le choix qu'ils feront et à se rendre nombreux pour l'exprimer lundi. Afin de contribuer à cette réflexion, Le Devoir propose en deux temps les conclusions qu'il tire de ces cinq semaines de campagne.
Beaucoup de qualificatifs ont été employés pour décrire le déroulement de cette campagne. On a dit qu'elle était terne, ennuyeuse, qu'on ne débattait pas des grands enjeux auxquels le Québec fait face alors que, tout autour de lui, le monde change. Cela est vrai à bien des égards.
De l'avenir politique du Québec, on n'a ainsi guère parlé. La question n'a été qu'effleurée lorsque le premier ministre Jean Charest a évoqué des scénarios catastrophe en cas de victoire du OUI à un éventuel référendum sur la souveraineté tandis qu'André Boisclair s'est contenté de réitérer la volonté de son parti de tenir un tel référendum et que Mario Dumont a rappelé la plate-forme autonomiste du sien. Mais ce que serait le Québec indépendant du PQ, on ne le sait pas. Non plus ce que seraient l'État autonome du Québec de l'ADQ et le fédéralisme renouvelé du PLQ. Décevant!
De l'avenir économique du Québec, on n'a pas non plus eu de vision nouvelle de la part des trois partis de tête dans cette course. La mondialisation de l'économie jette à terre tout le secteur manufacturier, mais on ne nous a présenté que des mesures d'aide ponctuelles, notamment pour les régions. Aucun n'avait la feuille de route qu'on attend pour moderniser ce secteur et lui donner un nouveau souffle. Le taux de chômage a baissé, pourquoi donc se préoccuper de cela? Plutôt à courte vue, comme réaction!
Du système de soins de santé et du maintien de son caractère public, gratuit et universel, on n'a pas dit mot non plus. Pourtant, on sait que nombreux sont ceux qui brûlent de le remettre en question. Tôt ou tard, le problème se posera. Déjà, l'ADQ a ouvert la porte à un système à deux vitesses, mais au cours de cette campagne, on n'a vu se lever aucun champion pour dire «pas touche!».
Des problèmes quotidiens que vivent les Québécois, on aura par contre beaucoup parlé. Parmi ceux-là, il y a eu le statut des régions et leur capacité à garder leurs citoyens et, bien sûr, la longueur infinie des listes d'attente pour les chirurgies. La seule réponse à ce problème alarmant aura été qu'il faut «attendre» que sortent de nouvelles cohortes de médecins et d'infirmières.
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Qu'il en ait été ainsi est révélateur non seulement de ce que sont devenus nos partis politiques mais peut-être plus encore de l'état d'esprit des électeurs. Le désintérêt des partis pour certains sujets correspond tout simplement au désintérêt des citoyens pour ces mêmes sujets, marketing politique oblige. Si on n'a pas débattu de l'avenir politique du Québec, c'est tout simplement parce que le sujet ne soulève pas de passions. André Boisclair aura beau avoir souligné sa volonté de tenir un nouveau référendum, il a pu constater que le goût pour un tel exercice n'y est pas.
Ce qu'aura révélé cette campagne, c'est un Québec qui se transforme. Plusieurs valeurs qui lui ont servi de repères ne sont plus sacrées. Le confirme certainement le fait que personne ne soit monté au créneau pour pourfendre la volonté de Mario Dumont d'instituer des cliniques privées de santé. Aux élections de 2003, libéraux et péquistes avaient fait front commun contre des projets du genre. La société progressiste qu'a voulu être le Québec depuis la Révolution tranquille l'est moins, dirait-on. Sur beaucoup de questions, l'opinion publique se fractionne. Les jeunes voient l'avenir différemment de leurs aînés, les régions autrement que les citoyens des grandes villes; tous n'ont plus les mêmes attentes envers l'État.
Les Québécois n'ont jamais été unanimes sur tout, mais ils ont déjà recherché davantage qu'aujourd'hui les consensus, au point de les ériger parfois en valeur absolue. Le Parti libéral comme le Parti québécois auront beaucoup contribué à cela par le passé. Tous deux se sont toujours vus comme des partis de coalition réunissant diverses tendances dont ils arrivaient à faire la synthèse. Mais ils ne sont plus ces partis de coalition. Le Parti libéral a perdu son aile autonomiste qui avait donné naissance à l'Action démocratique tandis que le Parti québécois a perdu son aile gauchiste, qui se retrouve aujourd'hui à Québec solidaire.
Pendant cette campagne électorale, le Québec a exprimé ses opinions de façon beaucoup plus diverse et beaucoup plus ouverte. La montée de l'ADQ et le succès relatif du Parti vert et de Québec solidaire sonnent la fin du bipartisme tel qu'on l'a connu depuis un siècle. Notre pratique de la politique et la gestion des affaires publiques en seront transformées. Plutôt qu'au sein du PLQ et du PQ, c'est à l'Assemblée nationale que se forgeront les coalitions et les consensus. Ce sera beaucoup plus sain, car les débats se feront à la vue de tous.
Cette transformation de l'échiquier politique a pris de court les deux vieux partis, qui n'avaient pas vu venir la fin de leur monopole sur la vie politique. Ils se sont vite retrouvés sur la défensive après seulement quelques jours de cette campagne qu'ils ont la plupart du temps menée en réaction au discours et au programme de l'Action démocratique. Propulsé à l'avant-scène par l'appui que lui apportait un lot d'électeurs désabusés ou protestataires, ce parti aura donné le ton. Pas étonnant qu'on ait mis de côté les débats de fond pour laisser place à une surenchère de solutions à nos petits problèmes de la vie quotidienne et à une démonisation de l'adversaire.
Certes, la campagne se termine sur un suspense qui lui donne un certain piquant, mais il serait pour le moins surprenant que nous retrouvions l'Action démocratique en première place au fil d'arrivée. Il ne faudrait surtout pas que cela se produise. La chose a été dite plusieurs fois: l'ADQ n'a qu'un chef et pas d'équipe. Elle n'est pas prête à prendre la direction des affaires publiques; ses tentatives de mettre en oeuvre son programme conduiraient à des catastrophes en chaîne et à des tensions sociales inutiles. Que l'ADQ arrive à se faufiler à la première place serait la pire chose qui puisse arriver. Ne jouons pas les apprentis sorciers!
Il faut bien sûr prendre acte de la force que représente maintenant ce parti, mais voyons d'abord s'il sera capable d'acquérir la maturité qui lui manque. Voyons si le ras-le-bol qui fait une partie de son succès persistera. Pour l'instant, il est certain que notre destin collectif sera mieux assuré en le confiant au Parti québécois ou au Parti libéral. La meilleure place pour l'Action démocratique est sur les banquettes de l'opposition.
Demain: le choix du Devoir
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