Jean Gandois qui fut un temps le patron des patrons français, quand la Wallonie n’avait pas encore beaucoup de compétences, fut requis par le gouvernement belge pour superviser la reconversion de la sidérurgie wallonne, opération dans laquelle il excella.
Le témoignage d'un important patron français
Il écrit à propos de son expérience belge en 1986, il y a 25 ans :
« Je crois que j'ai été séduit dans mon esprit et dans mon coeur: d'abord sur le plan intellectuel; il faut bien dire que la construction institutionnelle de la Belgique est un exercice extraordinaire et particulièrement sophistiqué, qui me semble tout à fait caractéristique de l'ingéniosité et de l'imagination belges. Ensuite, au plan affectif, il y avait deux façons, je crois, de ressentir ce message. L'une, décevante, qui, dans toutes ces complications, ne voyait que le côté terre-à-terre, parfois un peu mesquin, qui avait pu les engendrer. L'autre, qui me toucha, traduisait, à travers ces textes compliqués, l'effort désespéré de quelques hommes pour arriver à faire vivre ensemble, au coeur de notre Europe, deux communautés humaines qui ont tant de raisons de conjuguer leurs efforts, mais que l'histoire, la culture, la langue, séparent en les entourant de mauvais démons qui les incitent à chaque instant à se dresser l'une contre l'autre. (Mission « acier », Gembloux-Paris, 1986). »
Depuis cette date, il y eut encore plusieurs réformes de l’Etat étendant les compétences des entités fédérées : en 1988, 1993 et 1999 avec quelques compléments jusqu’en 2003.
Une analyse flamande et wallonne récente
Paul Piret défend, à la fin d’un petit livre-brochure (Les forçats de la rue de la loi (1) qui regroupe en un seul volume des analyses de journalistes du journal flamand De Morgen et des journalistes du sien La Libre Belgique), l’idée que le compromis belge semble non seulement affaibli mais, alors qu’il a été conçu pour surmonter les conflits, qu’il crée de nouvelles difficultés. Il n’explicite pas plus avant. Mais on peut le faire en citant plusieurs choses.
1) La scission de tous les partis politiques belges en des partis distincts, les uns flamands, les autres wallons et francophones. Cette division était acquise la fin des années 70. Mais les partis de part et d’autre de la frontière Flandre/Wallonie appartenaient à la même famille idéologique (chrétiens-démocrates, socialistes, verts, libéraux – les libéraux au centre-droite). Des contacts se sont maintenus. Ils ne sont pas interrompus, mais distendus. Car un personnel politique de plus en plus nombreux est appelé à gérer Wallonie, Flandre et Bruxelles, distinctement du cadre fédéral.
2) En 1970, un compromis a été d’accepter non pas une seule forme d’entité fédérée mais deux (les Régions voulues par les Wallons, les Communautés voulues par les Flamands). Wallonie et Bruxelles préféraient la Région (territoire, et développement), la Flandre la Communauté (fondée sur la langue). La Région flamande n’existe pas : région et communauté ont fusionné formant un Etat comprenant tous les Flamands et les Flamands de Bruxelles. Au contraire, Bruxellois et Wallons partent des Régions et leur Communauté qui les lie est une structure faible. Or, dans le débat actuel , on veut transférer des compétences aux entités fédérées. Mais si on les transfère aux Communautés, les Bruxellois ne savent comment on organisera la santé, la famille, le social en général car à Bruxelles, les deux communautés sont présentes, la française très majoritaire, mais plus pauvre, la Flamande très minoritaire, mais plus riche. Certains Bruxellois sont heurtés par cette proposition flamande qui diviserait ethniquement leur Région (d’où le succès du régionalisme bruxellois). Origine d’un des blocages institutionnels.
3) Du temps de Jean Gandois, les parlements de Bruxelles, Wallonie et Flandre étaient composés d’élus du parlement national, siégeant au régional. Depuis 1995, chaque parlement élit ses propres représentants. Et en 1999, on a décidé que les élections dans les parlements régionaux auraient lieu distinctement de l’élection fédérale. Logique. Mais depuis 1999 (inclus), il y a eu des élections fédérales en 2003, régionales en 2004, fédérales en 2007, régionales en 2009 et à nouveau fédérales en 2010. Sur 11 ans, 6 élections. Deux élections communales et provinciales qui ont aussi un enjeu politique (2000 et 2006). Cela fait 8 élections en 11 ans!!!. Les partis sont des machines plus importantes que les institutions elles-mêmes et les élections sont capitales pour eux. Les forces politiques sont donc tétanisées. Aux quatre partis (4 x 2 = 8 évidemment puisqu'ils sont en un sens dédoublés), s’ajoutent en Flandre un parti nationaliste et un parti d’extrême droite (donc, 8 + 2 = 10 «partis belges»). La proximité entre les démocrates-chrétiens et les nationalistes flamands s’explique : ces deux partis sont souvent liés dans les communes de Flandre et les élections y auront lieu en 2012.
La situation est si compliquée que le gouvernement démissionnaire qui « expédie les affaires courantes » (normalement entre sa démission et la formation d’un nouveau gouvernement ), a été prié par le roi (par les forces politiques), de redevenir dans certains domaines un gouvernement de plein exercice, au moins pour le budget et pour parer à une crise grave éventuelle. C’est sage, mais cela souligne que l’espérance de résoudre la crise s’éloigne.
Au départ, il y avait de la part de la NVA et de certains milieux flamands, quand ont commencé les négociations, il y a presque 8 mois (13/6/2010 !), la volonté de montrer aussi que l’Etat fédéral ne fonctionne plus. Or beaucoup d’observateurs rappelant que déjà lors des élections de juin 2007, il avait fallu très longtemps pour former des gouvernements qui n’ont jamais tenu longtemps, estiment que l’Etat fédéral ne fonctionne plus très bien en effet. Et déjà depuis quasiment quatre ans (les Belges étant certes assez malins pour se débrouiller en cas de crise grave comme la crise bancaire en 2008). Il y a donc bien un problème et au moins un consensus sur le fait qu’il faut tout mettre en cause. Mon vœu serait que l’on réduise le pouvoir fédéral à sa plus simple expression, qu’on confine le parlement fédéral et le gouvernement fédéral à une sorte de commission de contacts entre Etats fédérés et que l’on réduise les pouvoirs du roi avant de supprimer la monarchie au lendemain de la mort du roi actuel. Il y a encore six mois, ceci, qui a une certaine logique, aurait été considéré comme extrême. Or maintenant , c’est raisonnable de l’envisager. Et que les dirigeants wallons s’occupent avant tout de la Wallonie : de toute façon, il faudra que les Belges se fassent une raison, la Belgique a vécu. J’avais dit cela à la télé déjà en 1991 « la Belgique et la monarchie sont à l’agonie, supprimons leur souffrance ».
Ajouté ce matin du 5 février
Le roi a chargé Didier Reynders d’une mission d’information pour résoudre la crise, faisant entrer ainsi les libéraux (qui en avaient été écartés jusqu’ici), dans le processus de formation du (dernier?) gouvernement fédéral belge, ceci le 2 février. Mais son parti comporte un parti avec lequel il est en cartel (le FDF), qui défend les Bruxellois francophones et propose l’élargissement de la Région bruxelloise aux communes de la périphérie flamande qui sont à majorité francophone, voire même à d’autres communes du Brabant wallon et même à l’ensemble du Brabant, flamand et wallon (ce qui aurait comme conséquence que la Flandre perdrait sa majorité politique en Belgique et la Wallonie perdrait sa province la plus riche, augmentant par là même le poids trop centralisateur de la capitale qui est à l’origine d’une bonne partie des difficultés belges). Or, ce matin 5 février dans Le Soir, la présidente des socialistes flamands (les plus modérés dans les négociateurs flamands), a déjà opposé un refus radical à cette proposition. Pour ne rien arranger l’accord interprofessionnel signé tous les ans entre le patronat et les syndicats pour fixer le cadre général des augmentations de salaire, de la législation sociale (etc.) (une institution officieuse mais importante du système belge), à peine signé est remis en cause. Deux syndicats sur trois dont les syndicats libéraux ( moins importants et surtout implantés en Flandre), les syndicats socialistes (massivement implantés en Wallonie), l'ont rejeté (75% des mandats de la base à la FGTB), alors que les syndicats chrétiens (à large prépondérance flamande), les ont acceptés. On peut le comprendre (et d’ailleurs les syndicats chrétiens ne sont pas très enthousiastes, certains secteurs comme les employés le rejetant tant en Flandre qu’en Wallonie). L'accord remettait en cause implicitement la liaison des salaires à l’index des prix (qui est automatique en Belgique), n’accordait que 0,3% d’augmentation des salaires (hors cette liaison), et, pour homogénéiser le statut des ouvriers et des employés, o améliorait un peu les conditions de licenciement des ouvriers (en leur faveur), mais en rabotant parallèlement celui des employés (en leur défaveur). Il me semble que l’on doit être d’accord avec cela. Des chiffres rarement publiés (et pour cause !), montrent que depuis les années 70 en Europe, la part des salaires dans le total des revenus est en baisse constante. Elle passe d’une part de 70% (années 70), à seulement 50 %, en tout cas en Belgique, mais le phénomène s’observe ailleurs en Europe (voir le 1er tableau et l’ajout récent de cette page en bas). Cette dégringolade effrayante démontre que contrairement à ce que prétend l’idéologie néolibérale, la lutte des classes a repris avec une violence de plus en plus grande menaçant le cœur même du patrimoine humain de l’Europe, ce par quoi elle donne un vrai exemple au monde, peut-être même le seul en valant la peine.
(1) Les forçats de la rue de la loi par De Morgen et La Libre Belgique
Les trois logiques de la désagrégation belge
Chronique de José Fontaine
José Fontaine355 articles
Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur...
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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.
Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...
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2 commentaires
José Fontaine Répondre
6 février 2011Merci à toi aussi Gilles. Une partie de la réponse est dans l'article. Dans la mesure où les Etats-régions existent de plus en plus solidement, dans la mesure où les négociations actuelles amèneront fatalement à augmenter leurs pouvoirs, c'est dans ce cadre que la solution pour l'avenir se dessine. J'ai découvert - enfin! - un rattachiste qui se posait la question de savoir comment concrètement on passerait du régime wallon au régime français, tellement celui-ci est différent.
C'est bien de voir un peu de réalisme chez les rattachistes. Mais cela les amènera à voir que la Wallonie (comme Bruxelles et la Flandre), expérimentent lentement mais sûrement des responsabilités de plus en plus importantes non seulement au niveau régional mais aussi international, y compris d'ailleurs l'affrontement de la crise bancaire. De sorte que l'inquiétude de l'avenir ne peut naître que chez ceux qui, par inadvertance (les Belges qui ne comprennent pas encore le régime institutionnel actuel qui a déjà changé la Belgique très très profondément), ou par rêve peu réfléchi (les rattachistes absolus), se projettent dans un pays qui n'existe déjà plus (l'ancienne Belgique), ou un pays qui n'est en rien effectif, dont pas le moindre élément n'a été construit (la Wallonie réunie à la France).
De toute façon, la Wallonie restera encore un certain temps liée à la Flandre et à Bruxelles, certes dans un Etat belge de plus en plus réduit à rien. Pour moi, cette situation est la bonne. Celle de la sagesse, celle qui donne du temps au temps, celle qui augure d'une Wallonie très autonome, quasiment indépendante, comme sont quasiment indépendants les autres Etats souverains de l'Europe, une Europe qui a entamé la construction de son unité, il ne faut jamais oublier cela qui différencie très fort le cas du Québec de celui de la Wallonie. Une Europe qui est un ensemble économique intégré avec une même monnaie, un droit largement partagé, une défense qui s'unit, une politique étrangère qui tend à être également commune etc.
Archives de Vigile Répondre
6 février 2011Merci José Fontaine de cette mise à jour aussi lumineuse que nécessaire ici Outr'Atlantique.
Les FDF de mon vieil ami Maingain vont peut-être avoir l'Occasion de relancer le débat sur de nouveaux horizons ?
Rien sur les Fourons ?
La Wallonie se divise-t-elle encore en 3 sur l'avenir : la rattachisme à la France (très minoritaire mais en constante quoique que lente progression depuis 30 ans; une Wallonie libre avec ou sans entente singulière avec Bruxelles) et le statu quo autant que faire se peut ?
L'enjeu nous semble être Bruxelles toujours aussi complexifiée.
Est-il question d'États Généraux des francophones de Belgique ? Ou encore d'États Généraux des peuples de la Francophonie européenne ?
Merci encore cher José de nous permettre de suivre ce qui se déroule chez vous qui un peu aussi chez nous.
GR