À la suite d’un long procès et d’un verdict de 308 pages du juge Charles Vaillancourt, le sénateur Mike Duffy a été acquitté des 31 chefs d’accusation pour fraude, abus de confiance et corruption qui pesaient contre lui. Mais il n’a pas été blanchi, contrairement à certains gros titres dans les médias. Il n’est pas une victime. Dans ce débat qui est largement éthique, la nuance est importante. Le verdict populaire et politique sur les agissements de Mike Duffy n’a pas à être aussi clément que celui de la justice, qui applique des règles strictes de droit. Mike Duffy a bel et bien fait ce qu’on lui reproche. Le sénateur a utilisé des fonds publics de manière abusive et opportuniste, indigne d’un législateur. Il n’y avait aucune intention criminelle dans les actions de Mike Duffy, qui a profité des règles passoires du Sénat pour se faire rembourser des dépenses de voyage et toucher une allocation de logement, a conclu le juge. Aux yeux de la justice, les fautifs, ce sont donc les règles floues du Sénat. Et dans le cas du chèque de 90 000 $ rédigé par le chef de cabinet du premier ministre Harper, Nigel Wright, pour mettre fin à la controverse Duffy qui nuisait au gouvernement conservateur, c’est la faute d’une vaste manigance du bureau du premier ministre. Ça ne disculpe pas moralement Mike Duffy. Il demeure éclaboussé. Il peut retourner siéger au Sénat, mais ce n’est rien pour redorer le blason de l’institution. Quelle crédibilité aura-t-il pour débattre des dépenses de l’État? Quelques exemples. Mike Duffy a été nommé sénateur le 22 décembre 2008. Il réside alors à Ottawa depuis 1971, puisqu’il est correspondant parlementaire pour différents médias depuis plusieurs années. Il est né à l’Île-du-Prince-Édouard, de sorte que le premier Stephen Harper le nomme pour représenter cette province. Or, même s’il vit à Kanata, en banlieue d’Ottawa, dès le lendemain de sa nomination, le 23 décembre — alors qu’il ne sera assermenté comme sénateur que le 2 janvier 2009 — il demande une allocation de logement pour continuer à vivre dans sa propre maison, affirmant que sa résidence principale est soudainement à l’Île-du-Prince-Édouard — les sénateurs ont droit à une allocation si leur résidence principale est à plus de 100 km de la capitale. Il sera plus tard démontré qu’il n’avait en fait qu’un chalet d’été sur l’île et que son accès n’était pas déneigé en hiver. Duffy a un permis de conduire de l’Ontario, pas de l’Île-du-Prince-Édouard. Le stratagème lui permettra de toucher 90 172 $ en tout. Dans le premier mois qui suit sa nomination, Mike Duffy ne se contente pas de sa nouvelle allocation de logement, il réclame également des remboursements de dépenses de 1549,55 $ pour des repas qu’il a pris à… Ottawa, chez lui. Le per diem existe, pourquoi s’en priver lorsqu’on commande un souper à la maison? Le sénateur et son avocat ont plaidé avec succès que le Sénat a autorisé les remboursements, et que les règles de la Chambre haute ne définissaient pas clairement la notion de «résidence principale» et de «résidence secondaire». Si au regard de la justice, il doit être écrit noir sur blanc en quoi consiste une résidence principale, sur le plan éthique, c’est plutôt limpide. Il suffit de regarder la définition du mot «principal» dans le Larousse pour comprendre que cette situation s’applique à sa maison d’Ottawa, et non pas à son chalet d’été. En décembre 2012, Mike Duffy souhaite passer le temps des Fêtes en famille. Sa fille réside à Vancouver. Duffy appelle le député Andrew Saxton en Colombie-Britannique et demande à luncher avec lui et son père, Andrew Saxton Sr, un homme d’affaires local, le 3 janvier, afin de parler des consultations prébudgétaires en cours. Or, un sénateur n’a aucun rôle important dans les consultations prébudgétaires, qui sont menées par le ministre des Finances. Ce lunch de deux heures lui permet de passer plusieurs jours avec sa famille aux frais de l’État. Facture: 4 500 $. «Un grand moment» de sa carrière, a écrit Mike Duffy aux Saxton dans un courriel de remerciement en… 2014, deux ans après la rencontre et une fois que l’enquête de la GRC avait commencé à s’intéresser à l’affaire. Vaut mieux tard que jamais… Un geste «opportuniste», a conclu le juge Vaillancourt, mais pas criminel, puisque le sénateur a travaillé durant ce voyage dans l’Ouest. Le juge a préféré croire Duffy plutôt que la Couronne, encore une fois. Il en va de même pour l’opération de camouflage au bureau du premier ministre Harper. Un épisode «choquant» et «inacceptable», a dit le juge Charles Vaillancourt. Avec raison. J’ai écrit un texte en août dernier sur les mensonges servis aux Canadiens par l’entourage de Harper dans cette histoire. C’est digne d’Hollywood, en effet. Si Mike Duffy a été secoué comme un frêle pommier par Nigel Wright et son équipe, il convient toutefois de rappeler que c’est lui qui a eu l’idée de se faire rembourser les 90 000 $ qui étaient au coeur de la tempête médiatique à ce moment. C’est l’avocate de Duffy qui a soumis l’idée que le Parti conservateur devrait rembourser un sénateur en fonction pour éteindre une controverse dérangeante. Pas tout à fait blanc comme neige. C’est d’ailleurs l’un des mystères de cette saga rocambolesque. Le procès se termine, et ni Mike Duffy, ni Nigel Wright ne sont tenus responsables de ce chèque de 90 000 $ qui visait à faire taire un sénateur embarrassant et mettre fin à une controverse. Personne n’est tenu responsable des pressions faites sur des sénateurs pour qu’ils modifient un rapport interne afin d’expulser plus facilement Mike Duffy du Sénat. Et pour que ce dernier accepte son sort et cette manigance. Pourtant, l’article 119 du Code criminel interdit à un membre du Parlement d’accepter de l’argent pour des gestes posés en sa qualité officielle. Il est tout aussi interdit d’offrir de l’argent à un membre du Parlement en échange de tels services: Plus largement, le verdict dans le procès Duffy aura une incidence importante sur ceux de Patrick Brazeau et Mac Harb, accusés des mêmes crimes que Duffy: fraude et abus de confiance. Les règles déficientes du Sénat seront encore au banc des accusés et leur permettront probablement de s’en sortir. Sur le plan légal, du moins. À suivre. Ces procès auront au moins eu le mérite de montrer à quel point la boussole morale de certains sénateurs s’est déréglée au contact de cette institution et de ses membres. Et que pour certains, elle n’est pas encore tout à fait réparée. Après le verdict Duffy, le sénateur conservateur Jean-Guy Dagenais a dit que ça lui «donnait raison» dans sa bataille contre le vérificateur général, qui a découvert l’an dernier que l’adjoint politique de M. Dagenais a réclamé des remboursements de déplacements inappropriés de 2267 $. M. Dagenais ne semble trouver rien de mal à ce que son adjoint déclare Ottawa comme point de départ de son trajet, alors qu’il se trouvait déjà à Montréal. «Depuis le début, je dis qu’il y avait des zones grises au Sénat. Alors ça va me donner raison», a-t-il dit au Devoir. Non. Le verdict du procès Duffy ne rend pas soudainement plus acceptable éthiquement de réclamer des dépenses pour des déplacements qui n’ont pas eu lieu. L’adjoint n’était pas à Ottawa. Il ne peut pas avoir fait ce trajet. C’est simple. Ce n’est pas une zone grise. Le public n’a pas à rembourser ce type de dépenses. Si les règles du Sénat ne sont pas assez claires pour les sénateurs, devant des cas aussi évidents, le public a une bonne idée de ce qui est moralement acceptable. Cette saga a éclaboussé Mike Duffy et le Sénat, avec raison. Ils ne sont pas soudainement blanchis.
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