Gilles Duceppe et Mario Beaulieu s’expliquent

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Tenez bien vos tuques, le bagarreur est d’attaque!

Gilles Duceppe et Mario Beaulieu étaient détendus, assis autour d’une table dans le grand local de la permanence du Bloc québécois, à Montréal, mercredi après-midi. Le nouveau et l’ancien chef du Bloc québécois semblaient avoir déjà complété la passation des pouvoirs, Gilles Duceppe répondant avec un plaisir évident à la vaste majorité des questions.


Entrevue avec les deux hommes sur un changement de chef aussi soudain qu’imprévisible, à quatre mois des prochaines élections fédérales.


L’actualité : Messieurs, si quelqu’un m’avait dit il y a quelques jours que je serais assis devant vous pour cette entrevue, je ne l’aurais pas cru ! Que s’est-il passé ?


Gilles Duceppe : Si quelqu’un m’avait dit il y a quelques jours que je serais ici pour cette entrevue avec vous, je ne l’aurais pas cru non plus ! On est sur la même longueur d’onde.


On ne s’entendait pas au départ, Mario et moi, tout le monde le sait. On a du caractère et on dit ce qu’on pense. On s’est expliqué et on s’est rencontré plusieurs fois dans les derniers mois. Mardi dernier, on devait se rencontrer pour discuter politique, et Mario m’est arrivé avec cette proposition de devenir chef. C’est comme ça que ça s’est passé. J’en ai parlé à ma famille, mes enfants, mes amis. J’ai réfléchi. J’en ai parlé à Pierre Karl Péladeau samedi, puis j’ai appelé Mario pour lui donner ma réponse. Ça s’est passé vite.


Mario Beaulieu : C’était assez imprévu pour moi aussi. On en avait parlé quelques fois. Je trouvais qu’il ne restait pas beaucoup de temps avant les élections et que ça n’allait pas comme il fallait. Je n’ai jamais eu aucune pression pour quitter. Les gens étaient motivés sur le terrain. Je suis là avant tout pour la cause, pour l’indépendance. La prochaine élection est cruciale pour le Bloc.


M. Beaulieu, vous dites quoi aux militants qui ont voté pour vous il y a à peine un an ?


Beaulieu : Mon mandat est de faire avancer la cause de l’indépendance et c’est pour ça que je fais ça. Tout le monde à qui j’en ai parlé est d’accord et se rallie à mon choix. Ce sera bien accepté, j’en suis certain.


Le fait que vous puissiez décider, à deux, dans un restaurant, de changer la chefferie du Bloc, n’est-ce pas un signe que le parti va mal, que les militants ne jouent plus un grand rôle dans ce parti ?


Duceppe : Il y a quand même un bureau de direction qui a été consulté, hier soir [le mardi 9 juin] et je n’étais pas là. Ils ont pris une décision. C’est déjà arrivé dans le passé. Par exemple, Michel Gauthier a été élu [en 1996] par les membres dans un conseil général, pas dans un congrès à la chefferie. La décision du bureau de direction sera ratifiée par le conseil général qui aura lieu au début du mois de juillet. Ça se fait correctement.


Beaulieu : On respecte les statuts. Les militants sont là avant tout pour l’indépendance. Je n’ai pas ressenti de problème.


Duceppe : Les membres du bureau de direction et du conseil général sont élus par les militants aussi. On a des associations dans chacune des circonscriptions. Il y a une vie sur le terrain. Si on avait senti un mécontentement, le téléphone aurait sonné depuis hier, ça n’aurait pas pris de temps. Mais ce n’est pas ça qui se passe actuellement.


Photo : Julia Marois pour L’actualité

Photo : Julia Marois pour L’actualité


M. Duceppe, pourquoi revenir en politique, alors que vous sembliez avoir fermé la porte ?


Duceppe : J’ai toujours dit que je n’avais pas de plan de carrière. Quand je me suis lancé en politique, en 1990, j’ai pris la décision en 48 heures. Je ne le savais pas avant. Là, il y a une semaine, je ne le savais pas non plus. Il y a un vieux concept qui s’appelle le sens des responsabilités. J’ai été éduqué avec ça. Quand je pense que j’ai une responsabilité, que je dois y faire face, je la prends. Je prends mes responsabilités. Ceux qui disent que je m’ennuyais, c’est faux. J’écrivais quatre textes par semaine pour le Journal de Montréal et de Québec, j’allais à RDI aux deux semaines, je faisais du vélo, je préside la compagnie Jean Duceppe, où je vais remettre ma démission ce soir… Je n’étais pas mal.


Pourquoi ne pas être resté en poste en 2011, après la défaite, pour rebâtir le parti ? Là, vous revenez avec quatre mois à faire avant les élections, c’est minuit moins une en politique…


Duceppe : Je pensais que quelqu’un d’autre pourrait le prendre. Mais là, on m’a fait la demande. C’est simple.


C’est rare, une deuxième chance, en politique. Pensez-vous l’obtenir ? Le verdict a été sans appel en 2011…


Duceppe : Il y a quelques exemples quand même. En 1993, Jean Charest est reparti avec deux députés au Parti progressiste-conservateur, à travers le Canada. Joe Clark est revenu aussi.


Beaulieu : Il y a eu Robert Bourassa.


Duceppe : Je ne veux pas d’autres chances. Je ne le vois pas comme ça. J’ai des choses à offrir avec le Bloc, et je pense que c’est la bonne solution pour le Québec. On n’a jamais si peu parlé du Québec depuis qu’on n’est plus là.


Depuis hier, j’entends des gens très sceptiques sur votre retour, autant des commentaires en personne que par courriel, ou sur les réseaux sociaux. Certains sont durs. J’ai entendu des phrases comme : «Il n’a pas compris le message en 2011.» Vous leur dites quoi ?


Duceppe : Je reçois ça régulièrement à propos de mes chroniques. Je suis convaincu que je pourrais reconnaître les noms ! Ça fait partie de la game. Je reçois de belles choses, aussi.


Vous n’avez pas l’impression de vous accrocher ?


Duceppe : Je ne m’accroche pas. Je ne suis pas désespéré.


Beaulieu : C’est nous qui sommes allés le chercher. Le contexte est spécial au Québec actuellement.


Photo : Julia Marois pour L’actualité

Photo : Julia Marois pour L’actualité


Vous dites revenir pour la cause souverainiste, mais si vous échouez, alors que vous êtes le meilleur espoir du Bloc, ça voudra dire quoi pour la santé du mouvement souverainiste ?


Duceppe : Ce n’est pas comme ça que je l’envisage ! Ça partirait bien mal ! J’ai joué longtemps au football, et si tu embarques sur le terrain en te disant que tu vas manger une volée, tu risques fort d’en manger une. Il faut vouloir gagner. Il faut accepter de recevoir des coups aussi. Sinon, ce serait trop facile. Et si tu penses aussi que c’est certain que tu vas gagner, ça part aussi mal.


Vous parlez de «souffle nouveau» et de «nouveau cycle», mais les gens revoient à la télé un chef qui a été là pendant 14 ans, entre 1997 et 2011. Où est la nouveauté selon vous ?


Duceppe : Ce n’est pas une question d’individus autant que d’idées. J’incarne des idées que Mario incarne aussi, que Pierre Karl [Péladeau] incarne aussi. On ne s’entend pas sur tout. Mais on s’entend sur le pays qu’on veut. C’est significatif. À Ottawa, même si le NPD, le PLC et le PC ne s’entendent pas, ils sont d’accord sur leur appartenance au Canada.


Il y a du monde qui n’est pas là longtemps comme premier ministre, mais on se demande si c’est la bonne personne. Regardez François Hollande, en France. Il y en a d’autres qui sont là plus longtemps. C’est toujours différent. Winston Churchill a été battu toute sa vie, sauf entre 1940 et 1944. C’est curieux. Mais il a été utile, même s’il n’était plus jeune. Hillary Clinton a mon âge, et le poste qu’elle convoite, présidente des États-Unis, est pas mal plus difficile que le mien.


Beaulieu : La moitié des 23 candidats qu’on a choisi jusqu’à maintenant a moins de 35 ans. Il y a de la relève au Bloc.


Vous êtes un amateur de football, mais je vais vous donner un exemple de hockey. Est-ce que la victoire du Bloc, en octobre, serait la première période d’un match pour le mouvement souverainiste ? La deuxième période étant la victoire du PQ aux prochaines élections, en 2018, et la troisième, un référendum ?


Duceppe : Ce serait la séquence idéale. J’espère que le référendum arrivera aussi vite que possible. On veut gagner, et le PQ veut gagner. Si on gagne les deux fois, est-ce que les conditions seront bonnes à ce moment-là ? Il faudra évaluer la réalité.


Votre discours a toujours été axé sur la défense des intérêts du Québec, au point de séduire quelques fédéralistes nationalistes. Vous avez déjà dit que la souveraineté ne se fera pas à Ottawa. Mais avec un Pierre Karl Péladeau plus déterminé sur le front de la souveraineté, cette clientèle ne se jettera pas dans les bras du Bloc. Visez-vous seulement les souverainistes cette fois ?


Duceppe : Il y a toujours eu plus de souverainistes qui ont voté pour le Bloc que de fédéralistes, on va s’entendre là-dessus. Selon le dernier sondage, la souveraineté est à 42 %. Ce serait une bonne base ! Personne ne se plaindrait d’un tel score. Mais on a été respectueux des fédéralistes, on n’a jamais été repoussant. Ce n’est pas parce que tu te tiens debout que tu détestes les autres.


Jacques Parizeau disait que le fer de lance du mouvement souverainiste était le Bloc québécois. Pourquoi ? Parce qu’on a beaucoup réfléchi sur le sujet, sur les frontières, l’armée, la monnaie, les affaires étrangères et ainsi de suite. On a fait un congrès au titre : «Imaginez un Québec souverain». La souveraineté, ce n’est pas incolore, inodore et sans saveur. C’est n’est pas juste un flag sur le hood du char. Ça s’incarne dans la réalité d’une nation. C’est ce qu’il faut expliquer.


Comment avez-vous trouvé le travail de Thomas Mulcair comme chef de l’opposition aux Communes ?


Duceppe : C’est un excellent débatteur. Un politicien habile. Mais sur les intérêts du Québec, il a été plus qu’ordinaire. Quand Ottawa a décidé d’aider financièrement la construction d’une ligne à haute tension entre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse, ce qui désavantagera Hydro-Québec pour ses exportations, Mulcair a dit «pas de problème». Il veut rouvrir la Constitution pour abolir le Sénat, mais ne faire aucun autre changement. Couillard vient de lui dire «non, ça ne marche pas comme ça».


Vous décochez des flèches au NPD sur la défense des intérêts du Québec, mais en toute justice, ils ont porté plusieurs dossiers qui sont importants pour les Québécois, comme se battre contre la réforme de l’assurance-emploi, le péage sur le pont Champlain, la fin du courrier à domicile dans les villes, le projet de loi antiterroriste C-51 ou encore la guerre en Irak… Ont-ils été si absents, comme vous le dites ?


Duceppe : Ils sont à l’aise de mener des combats lorsque ces combats sont les mêmes au Canada et au Québec. Je n’ai pas de problème avec leur position sur l’assurance-emploi. Mais dès qu’il y a un conflit entre les deux, le NPD s’occupe des intérêts du Canada d’abord.


Photo : Julia Marois pour L’actualité

Photo : Julia Marois pour L’actualité


Qu’est-ce que le Bloc aurait pu faire de plus face à un gouvernement Harper majoritaire, qui passe le rouleau compresseur ?


Duceppe : Le NPD disait «votez pour nous, on va battre Harper». Ce n’est pas ce qui est arrivé. Moi, je n’aurais pas appuyé la ligne de transport entre Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse. J’aurais mené le combat. Comme nous avons mené le combat lors du scandale des commandites. Le NPD ne s’en est pas mêlé, à l’époque. Quand les libéraux étaient majoritaires aux Communes, on ne s’est pas écrasé. On s’est tenu debout.


Selon un sondage Abacus paru le 2 juin dernier, la volonté d’avoir un changement de pouvoir à Ottawa atteint 86 % au Québec, soit le 2e résultat le plus élevé au pays, après les provinces atlantiques. Le NPD et le PLC vont dire qu’avec l’appui des Québécois, ils peuvent remplacer Harper. Vous n’avez pas cette carte. Vous allez miser sur quoi pour les convaincre ?


Duceppe : On va battre Harper au Québec, que les autres partis s’occupent de le battre ailleurs.


Souhaitez-vous un gouvernement minoritaire ?


Duceppe : Les électeurs vont choisir. Je vais respecter leur décision. Le Québec est plus fort quand il n’a pas de compromis à faire.


Pensez-vous qu’un Bloc plus fort risque de diviser le vote à Québec et au centre du Québec, ce qui va aider Stephen Harper à faire élire plus de députés ? Allez-vous lui faciliter la vie indirectement ?


Duceppe : Ça pourrait aussi être le contraire, notamment dans la région de Québec. Selon certains analystes, des électeurs allaient voter pour les conservateurs afin de battre le NPD. Là, ils pourraient revenir au Bloc. Je vais m’occuper de mes affaires, c’est le plus important. Les votes stratégiques, ça finit toujours pas nous nuire. Les Écossais ont voté pendant des décennies pour les travaillistes, qui se sont finalement battus contre l’indépendance lors du référendum.


La présence du Bloc au débat télévisé en anglais n’est pas acquise. Souhaitez-vous y participer ?


Duceppe : J’ai toujours aimé les débats. On va le demander.


En terminant, vous aviez exigé, en 2004, que Paul Martin vende les actions de sa compagnie, la Canada Steamship Lines, disant que la fiducie sans droit de regard était insuffisante. Or, Québecor prend beaucoup plus de place dans le paysage économique du Québec que les bateaux de Paul Martin au Canada. Pensez-vous que Pierre Karl Péladeau doit vendre ses actions ?


Duceppe : Pierre Karl devra respecter la décision du commissaire à l’éthique. Il n’a pas le choix et il devra prendre sa décision ensuite. Il ne faut pas non plus que le siège social quitte le Québec. Dans le cas de Paul Martin, ce qui a été choquant, c’est lorsqu’il a changé le traité fiscal avec la Barbade, ce qui aidait les pavillons de complaisance. On riait de nous autres ! Il a fait ce changement un 31 décembre. C’est dans ce contexte que j’ai fait cette sortie.


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