Celui qui s’est fait un nom en attisant la polémique dit vouloir maintenant rassembler les Québécois. Réussira-t-il son pari de rebrasser l’échiquier politique avec une plateforme résolument libertarienne ? Ses partisans et ses détracteurs conviennent d’une chose : il sait comment s’y prendre.
Le conseiller du chef conservateur entre en coup de vent dans la pièce où Éric Duhaime nous accorde une entrevue, quelques minutes après l’annonce de la candidature de la comédienne Anne Casabonne à l’élection partielle dans Marie-Victorin. « Anne a pété sa coche. »
Dans la salle d’à côté, un journaliste de RDI venait d’affirmer en ondes que la candidate avait perdu son contrat de porte-parole des pharmacies Accès pharma après une sortie où elle qualifiait le vaccin contre la COVID-19 de « grosse marde » (notamment). « Elle est allée devant le gars, en live, elle a pris son micro pour dire : “Vous mentez !” »
Le chef du Parti conservateur du Québec fronce les sourcils : « Heu… Elle fait ça là ? Va la chercher ! Faut pas qu’elle fasse ça ! » Mais Anne Casabonne a fini et revient vers nous, encore remontée. « Calme-toi, Anne », lui dit doucement Éric Duhaime. « Ben non, mais il ment ! » répond-elle.
Entre-temps, vérification faite, le journaliste a corrigé son erreur : Anne Casabonne n’a pas perdu son contrat, il était déjà terminé. Walmart et ses pharmaciens affiliés se sont dissociés des propos de leur ancienne porte-parole.
Autour du chef, la discussion se poursuit — nulle trace de masque ni de distanciation, même si l’on est en pleine vague Omicron. « Ça va devenir viral sur les réseaux sociaux », dit à son équipe Éric Duhaime, qui paraît plus amusé qu’autre chose. Son flair médiatique ne le trompera pas…
Il savait d’emblée que le recrutement de la comédienne serait un coup d’éclat payant. La première sortie de sa candidate n’est pas passée inaperçue. Tout en soutenant ne pas être « antivaccin », elle a refusé de dire si elle était vaccinée. Elle a comparé les députés de l’opposition à des clones de François Legault, puis a parlé de sa volonté de « protéger les humains » dans leur « intégrité physique et psychique ».
C’était un bon panorama de ce qui a défini le discours du Parti conservateur du Québec (PCQ) dans les derniers mois. La résistance aux mesures sanitaires et au passeport vaccinal, que le chef de 53 ans qualifie de « ségrégation » (par rapport à la vaccination, le PCQ prône le « libre choix », et Éric Duhaime est doublement vacciné). La question plus large des libertés individuelles. Une certaine méfiance envers les médias (« il y a un double standard au Québec quand tu es à la droite du centre », estime Duhaime). La propension à mettre tous ses adversaires dans le même panier. À la radio, où il s’est fait une réputation de polémiste fort en gueule dans les années 2010, il plaçait là les environnementalistes « enverdeurs », les féministes et les syndicalistes ; ce sont maintenant ses adversaires politiques qu’il regroupe de la sorte.
Deux jours après l’épisode Casabonne, le 19 janvier, Éric Duhaime demandait la levée de toutes les mesures sanitaires, sous prétexte que « si elles fonctionnaient, on le saurait ». « Ça a eu l’effet escompté : ça a été la discussion de la semaine, analysera-t-il plus tard. La première étape en politique, c’est de percer le mur de l’indifférence, et on a réussi. Maintenant, il faut susciter l’adhésion. »
Voilà d’ailleurs le mandat du chef conservateur d’ici les élections d’octobre : se faire entendre, élargir la base partisane au-delà du cercle de ceux qu’attirent son discours sur l’« extrémisme sanitaire » et autres formules-chocs dont il a le secret.
Cela dit, il se passe quelque chose depuis qu’Éric Duhaime a été élu chef, avec 95 % des voix, en avril 2021 : formation négligeable avant son arrivée, le PCQ se trouvait à la mi-mars à égalité statistique avec Québec solidaire et à peine quelques points derrière les libéraux, selon la moyenne des sondages récents. Chez les francophones, les conservateurs récoltent autant d’appuis que les trois autres partis d’opposition, parfois plus. Et dans la région de Québec, ils sont installés en deuxième position depuis plusieurs mois. Des chiffres assez solides pour espérer des élus après les prochaines élections.
La formation a par ailleurs une voix à l’Assemblée nationale, celle de la transfuge caquiste Claire Samson, qui ne se représentera pas cet automne. Le nombre d’adhérents, lui, a explosé : de 600 membres quand le polémiste a commencé à réfléchir à l’idée de succéder à l’homme d’affaires Adrien Pouliot, il est passé à plus de 51 000 en janvier, selon les chiffres du parti.
Cette progression fulgurante est atypique à une époque d’effritement de l’adhésion. De 2016 à 2020, le PQ a perdu la moitié de ses membres (42 000 aujourd’hui). Depuis 2014, deux libéraux sur trois ont déserté — il reste 17 000 adhérents. Québec solidaire en compte 20 000. Et il aura fallu 10 ans à la Coalition Avenir Québec pour atteindre un nombre semblable (55 000 membres) à celui revendiqué par le PCQ. Contrairement à ce que les conservateurs soutiennent dans une publicité, ils ne forment pas « le plus grand mouvement politique de l’histoire du Québec », mais c’est tout de même beaucoup.
Côté financement, les données partielles du Directeur général des élections (les rapports annuels des formations n’étaient pas encore déposés au moment de publier) montrent que le PCQ a eu en 2021 autant de donateurs que le Parti québécois (près de 7 000), et près de deux fois plus que les libéraux. Le PCQ affirme disposer d’une somme de deux millions de dollars en vue des élections.
L’effet Duhaime n’étonne pas outre mesure l’ancienne ministre libérale Nathalie Normandeau, qui a coanimé une émission de radio avec lui en 2015 et en 2016, au FM93, à Québec : « Les gens qui appuient Éric Duhaime sont admiratifs de sa capacité à secouer le pommier. Ils ont l’impression qu’il pourrait faire les choses différemment, parce qu’il n’a pas peur de foncer dans le tas et de décrier le politically correct. »
Mais pour expliquer l’actuel succès du politicien, il y a aussi — et peut-être surtout — son aptitude à canaliser la colère et la frustration des gens opposés aux mesures sanitaires ou à la vaccination. « La pandémie, c’est l’étincelle qu’il lui fallait pour alimenter le feu », dit le chercheur Philippe R. Dubois, qui a réalisé avec sa collègue Katryne Villeneuve-Siconnelly une étude sur la COVID-19 comme moteur pour le populisme de droite au Québec — et plus précisément pour le Parti conservateur du Québec.
Les deux candidats au doctorat en science politique à l’Université Laval remarquent à quel point la stratégie coche les cases du parfait guide du populisme : trouver un enjeu polarisant auquel se rattacher et duquel se nourrir ; susciter l’intérêt de gens qui ne se sentent pas représentés adéquatement ; se présenter comme la seule solution de rechange, le parti antisystème, etc. La crise sanitaire a fourni le sujet, et Éric Duhaime en a fait le carburant de son mouvement.
Ce n’est pas un hasard, dit Philippe R. Dubois : le personnage comprend et connaît très bien les rouages médiatiques et politiques. « Il sait exactement à qui il veut parler, et comment le faire. » Ce fut même son métier.
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Durant une décennie, Éric Duhaime a multiplié les coups de gueule — et cultivé l’indignation à la sauce libertarienne. À la radio (sur des chaînes de Cogeco), dans les chroniques qu’il écrivait (pour Québecor, les médias de Sun, le National Post et le très controversé site The Rebel, associé à l’extrême droite), dans ses quatre essais-pamphlets (notamment sur l’équité intergénérationnelle), dans les activités du Réseau Liberté-Québec, qu’il a cofondé en 2010 et qui réunissait des tenants de la droite fiscale : toujours ce ton provocateur. Et rapidement, une notoriété sulfureuse.
Les polémiques et sorties remarquées abondent. En 2009, de passage dans une commission parlementaire qui s’intéresse au Régime de rentes du Québec — il y est à titre de « simple cotisant qui est excessivement inquiet » —, Éric Duhaime parle du « miracle chilien » pour décrire ce que le dictateur Augusto Pinochet a fait avec les caisses de retraite de son pays dans les années 1980 (il concédera dans la même intervention que ce gouvernement avait des « failles » en matière de droits de la personne…).
Cinq ans plus tard, dans une émission où il se demande si l’on peut « parler de la communauté noire sans se faire traiter de raciste », il soutient que « les Noirs ont peu de héros […] et malheureusement, quand ils en ont, ça finit souvent que ce sont des zéros ». En 2016, il établit en ondes un parallèle entre la responsabilité de quelqu’un qui se fait voler sa voiture parce qu’il n’a pas verrouillé les portières et celle d’une femme qui se fait agresser alors que la porte de son appartement n’était pas fermée à clé. Il s’excusera par la suite, disant s’être mal exprimé.
Avec Joanne Marcotte, cofondatrice du Réseau Liberté-Québec, en octobre 2010 (Photo : Jacques Boissinot / La Presse Canadienne) ; au micro du FM93, en novembre 2014 (Photo : Archives / Le Journal de Québec).
Toujours en 2016, il plaide pour l’abolition du Conseil du statut de la femme, de la Fédération des femmes du Québec et du ministère de la Condition féminine, qu’il remplacerait par un ministère de l’Égalité. La même année, il affirme que les hommes qui urinent assis sont des « colonisés du féminisme ».
Au fil des ans, il choque ainsi souvent, ce qui lui vaut plusieurs plaintes au Conseil de presse du Québec. Mais il plaît aux auditeurs de la radio parlée privée de Québec — où il bénéficie encore aujourd’hui de tribunes généreuses chaque semaine, notamment auprès de l’animateur de Radio X Dominic Maurais, un privilège dont aucun autre chef de parti ne dispose au Québec.
Éric Duhaime quitte Cogeco à l’été 2020. Il a envie d’un nouveau défi… qui se matérialisera quelques mois plus tard.
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Il est 19 h, et le chef du PCQ allume sa caméra. « Bienvenue à nos live du mardi soir ! » lance-t-il devant un logo de la formation. Casque sur la tête, micro intégré, il entame une heure de ce qui ressemble à un show de radio filmé. Par Facebook, YouTube et autres plateformes, il atteint des dizaines de milliers de sympathisants avec Duhaime en direct.
Tous ses talents de communicateur s’expriment ici. Habitué à discuter pendant des heures — sa mère évoque un problème de « placotage compulsif » dans une biographie récente —, il dirige le trafic des invités avec aisance.
Dans l’épisode du 25 janvier, Anne Casabonne est suivie de Claire Samson, puis de camionneurs venus parler du « convoi de la liberté » en route vers Ottawa pour dénoncer la vaccination obligatoire. L’animateur encourage le mouvement (« votre cause est noble et juste »), tout en demandant aux camionneurs de rester pacifiques et de « faire mentir [ceux] qui tentent de [les] diaboliser ».
Lors de ces diffusions en direct, il attrape les balles au bond et les renvoie là où elles serviront son message. « Ça se peut-tu, Sylvain, que vous êtes plus enragés et mobilisés pour la liberté parce que vous voyez plus la différence entre les deux bords de la frontière, et comment c’est débile ici, la gestion de crise ? » lance-t-il ce soir-là à un camionneur, qui acquiesce et renchérit. Et ainsi de suite.
« Ce qu’il entend les mardis soir, c’est vraiment la liberté », affirme Joanne Marcotte, avec qui il a cofondé le Réseau Liberté-Québec. D’autres diront que c’est aussi une chambre d’écho qui amplifie les perceptions et multiplie les distorsions. Mais la formule est efficace.
Claire Samson participe régulièrement aux diffusions. Cigarette, verre de vin à la main, cadrage en contre-plongée serré sur son visage, envolées à l’emporte-pièce… « C’est un live sur Facebook, elle n’est pas à Radio-Canada, relève Éric Duhaime. On fait ça en fin de journée les mardis : elle fait comme tous les Québécois, elle relaxe dans son salon. » Qu’on parle du style Samson témoigne, ajoute-t-il, « d’une incompréhension de certains médias traditionnels envers la manière de faire de la politique sur les médias sociaux. On a une proximité avec les gens comme personne d’autre. »
Les gens ? « La clientèle d’Éric Duhaime, ce ne sont ni les journalistes, ni les universitaires, ni les personnes très intéressées par la politique ou les nuances », énonce Philippe R. Dubois. Plutôt des citoyens qui se sentent lésés par le « système », brimés dans leurs libertés individuelles, et qui trouvent en lui une voix pour faire écho à ces sentiments.
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Dans la population générale, Duhaime a beaucoup imprimé sa marque par son « approche un peu kamikaze du débat public », comme le dit son ami Frédéric Têtu, qui vient de publier sa biographie, fort élogieuse, Envers et pour tous (Gestion Novillo).
Pour l’animateur radio et ancien ministre péquiste Bernard Drainville, le chef conservateur est « un polémiste absolu, vraiment très habile ». Les deux ont coanimé une émission pendant un an à Québec, en 2016-2017. « L’envers de la médaille de sa vive intelligence, c’est qu’il est capable d’être tordu, de trouver une ligne argumentaire que l’esprit le plus mal intentionné n’aurait pas invoquée. »
Nathalie Normandeau brosse un portrait semblable. « Ce n’est pas juste qu’il a une conviction, c’est l’intensité avec laquelle il émet ses idées. C’est : “Je veux avoir raison, j’ai raison !” Là-dessus, il est borné. Et jamais dans les nuances. »
Les deux ont passé des centaines d’heures en ondes avec Éric Duhaime. Ils ont (presque) tout entendu, ont grimpé dans les rideaux parfois. « On a eu des affrontements métal sur métal : ce n’était pas pour le show, raconte Bernard Drainville. Après certains segments, on ne se parlait même pas pendant la pause publicitaire, tellement on était en tabarnak. »
« L’envers de la médaille de sa vive intelligence, c’est qu’il est capable d’être tordu, de trouver une ligne argumentaire que l’esprit le plus mal intentionné n’aurait pas invoquée. »
L’animateur Bernard Drainville
Mais eux et d’autres dépeignent Éric Duhaime surtout comme une personne sympathique, chaleureuse, charmante, capable d’autodérision et d’empathie. Un travailleur acharné, dit Frédéric Têtu. « C’est quelqu’un qui consulte beaucoup, mais qui n’a pas un grand entourage. Presque tout le monde sait qui est Éric Duhaime, mais presque personne ne le connaît véritablement. »
Nombre d’anciens collègues conviennent qu’il y a une part de spectacle dans ce qu’il fait. Mais il y a surtout une base de conviction, qui s’articule autour d’un objectif majeur : faire avancer ses idées libertariennes.
« Parfois, il partait dans des harangues franchement exagérées, raconte Bernard Drainville. Il pouvait faire exprès, pour faire un show… mais le plus souvent, il y croyait. »
Le personnage radio qui savait capter l’attention avec ce ton clivant et corrosif doit maintenant céder le pas au politicien, reconnaît le chef conservateur. « Je ne parle plus juste en mon nom, et mon objectif n’est pas d’alimenter le prochain sondage radio, mais de rassembler les Québécois. Et c’est un jeu d’équilibriste, parce que je ne veux pas représenter seulement le 5 % qui est d’accord avec 95 % de mes idées. »
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Dans la chambre de l’adolescent Duhaime, enfant unique d’un couple de la classe moyenne, il y avait deux affiches sur les murs, selon ce que raconte le principal intéressé. Une de la première ministre britannique Margaret Thatcher (l’incarnation d’une droite néolibérale assumée), et une du premier ministre québécois René Lévesque.
À 16 ans, indépendantiste convaincu, Éric Duhaime est président d’une association de circonscription du Parti québécois à Laval. Son virage libertarien va s’opérer dans la jeune vingtaine, durant ses études à l’École nationale d’administration publique (ENAP) et un séjour à l’Institut Fraser (un groupe de réflexion de droite établi en Colombie-Britannique).
« Vers 1999, on a remarqué que ses idées étaient plus près de celles de Stockwell Day [leader de l’Alliance canadienne, opposition officielle de 2000 à 2002] que des nôtres. Il avait un choix à faire. »
Gilles Duceppe, alors chef du Bloc québécois
C’est pourtant dans les coulisses du Bloc québécois qu’il passe les six années suivantes, à partir de 1993, notamment comme conseiller et recherchiste au bureau du chef. Gilles Duceppe, qui a pris la tête du parti en 1997, se souvient qu’il travaillait bien, et qu’il avait tissé de bons contacts avec le mouvement allianciste de l’Ouest. Un peu trop, même. « Vers 1999, on a remarqué que ses idées étaient plus près de celles de Stockwell Day [leader de l’Alliance canadienne, opposition officielle de 2000 à 2002] que des nôtres. Il avait un choix à faire. »
Éric Duhaime quitte le Bloc pour l’Alliance, où il devient conseiller du chef. En 2003, il se joint à Mario Dumont et l’Action démocratique du Québec — dont l’incarnation du début des années 2000 inspirera le programme du PCQ. Maintenant animateur et chroniqueur pour Québecor, Mario Dumont n’a pas souhaité revenir sur leur collaboration passée — il n’hésite pas à critiquer en ondes les positions du chef conservateur par rapport à la pandémie.
Éric Duhaime avec Mario Dumont lors de l’annonce de sa candidature pour l’ADQ, en 2003. (Photo : D.R.)
La carrière d’Éric Duhaime bifurque deux ans plus tard, quand il rejoint le National Democratic Institute, une ONG américaine non partisane, où il apporte une assistance technique à des parlementaires ou aide à la préparation d’élections. Il passe près de deux ans au Maroc et en Mauritanie, puis plusieurs mois en Irak à partir de décembre 2008. Le contexte sécuritaire difficile de ce dernier séjour le marque profondément : de retour au Québec, Éric Duhaime consulte un psychologue pendant un temps, pour traiter un choc post-traumatique. « Je ne m’en suis pas rendu compte quand j’étais là-bas. C’est vraiment à mon retour, quand j’ai baissé mes barrières, que j’ai eu des difficultés », dit-il à L’actualité. Dans sa biographie, Frédéric Têtu raconte qu’Éric Duhaime n’a jamais retrouvé son appétit d’avant ni la capacité de dormir des nuits de huit heures.
« Ça m’a sensibilisé à un paquet d’affaires », dit Éric Duhaime en parlant plus largement de son expérience dans ces trois pays. « Le fait d’être gai, ce n’était pas un enjeu qui m’interpellait avant de vivre là-bas. Et tu vois aussi les questions d’immigration différemment après ça. »
Selon Frédéric Têtu, c’est de là que le chef conservateur tient ses préoccupations par rapport à l’intégration au Québec des nouveaux arrivants en provenance du monde musulman. Un thème qu’Éric Duhaime a beaucoup exploité à la radio.
En 2017, lorsque des banderoles affichant « Remigration » sont déployées à Québec — le terme, associé à l’extrême droite en Europe, fait référence au retour (ou renvoi) des immigrés, voire de leurs descendants, dans le pays où ils ont leurs racines —, Éric Duhaime estime qu’il est « charrié pas à peu près » de qualifier de « haineux » le concept.
Même position l’année précédente, quand une tête de cochon ensanglantée avait été déposée devant le Centre culturel islamique de Québec (un an avant l’attentat à la mosquée). Beaucoup ont dénoncé un geste haineux empreint d’islamophobie. Pas Éric Duhaime, qui s’est demandé en ondes : « C’est écrit où dans le Code criminel que j’ai pas le droit de donner une tête de cochon ? C’est peut-être une joke niaiseuse […], mais en quoi c’est de la haine ? » Il soulève aussi une controverse en 2018 quand il affirme qu’Alexandre Bissonnette, auteur de la tuerie à la mosquée de Québec, est un « prisonnier politique ». « Il a fait un geste à caractère politique, explique-t-il à L’actualité. Mais ça ne veut pas dire qu’il doit être libéré, je n’ai jamais prétendu ça. »
Le Conseil de presse lui a reproché en 2016 d’avoir exagéré le nombre d’immigrants accueillis au Québec en provenance du Maghreb — « là d’où viennent la majorité de nos immigrants », avait-il dit, alors que c’était moins du cinquième de ceux-ci.
En 2019, à son émission du FM93, il s’inquiète de voir « les symboles historiques du Québec effacés pour […] que les autres entrent avec leurs symboles ».
Tout cela a fait dire au collectif Sortons les radios-poubelles — qui répertorie depuis 10 ans l’intimidation et les propos mensongers entendus en ondes — qu’Éric Duhaime est « dangereux. C’est un démagogue en croisade contre les musulmans, instrumentalisant la haine pour ses cotes d’écoute », peut-on lire sur le site de la coalition.
Éric Duhaime soutient ne pas avoir de problème particulier avec l’immigration ou avec l’islam. « Ce n’est pas que l’islam soit une religion pire que les autres, dit-il. Mais l’interprétation qu’en font certains imams et la radicalisation que ça entraîne m’ont toujours fait peur. »
Le programme du PCQ propose de réduire le nombre d’immigrants à accueillir au Québec (comme la CAQ en 2018), de « donner la priorité absolue à une immigration choisie fondée sur la préservation de la culture québécoise » de même que sur les « compatibilités civilisationnelles et les capacités d’intégration ». Ce qui veut dire ? « Il faut que les immigrants, avant même d’arriver, démontrent qu’ils sont capables de [vivre avec ce qui est dans nos] chartes des droits et libertés. On ne va pas négocier ça au rabais pour accueillir de nouveaux immigrants », répond Éric Duhaime.
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C’est un leitmotiv du PCQ mouture Duhaime : on assume des positions tranchées. En santé, le parti plaide pour une plus grande place au privé. En environnement, il souhaite accélérer l’exploitation et l’exploration des ressources naturelles. En matière de services de garde, le financement du réseau des CPE serait remplacé graduellement par une allocation hebdomadaire versée aux parents. Sur le front sanitaire, le programme est sans compromis.
Des idées en porte-à-faux avec celles des autres partis (et d’une bonne partie de la population), qui valent régulièrement au chef Duhaime d’être qualifié de radical. « C’est de l’exagération », affirme la sénatrice Josée Verner, ex-députée conservatrice à Ottawa, qui a été directrice de sa campagne au leadership. Le décalage de perception tient selon elle au fait qu’au Québec, la moindre dissidence avec un certain consensus entraîne cette étiquette. « Si tu poses des questions par rapport aux mesures sanitaires, par exemple, tu deviens un complotiste ou un antivax. Il n’y a pas de zone grise. »
Éric Duhaime se défend d’être l’un ou l’autre. Contrairement à Maxime Bernier, le leader du Parti populaire du Canada, avec qui le PCQ partage une base de sympathisants, il ne va pas dans les manifestations (outre celle qu’il a organisée contre le port du masque à l’école en août 2020) et n’appelle pas à la désobéissance civile. « Les gens les plus enragés et les plus aliénés par le système politique ne trouvent pas en Éric leur champion », soutient Frédéric Têtu.
La professeure de communication Marie-Ève Carignan, de l’Université de Sherbrooke, considère qu’Éric Duhaime est très adroit dans ses stratégies de communication : « On voit cette tendance à appuyer indirectement les opposants aux mesures sanitaires et les tenants d’un discours conspirationniste, tout en s’en détachant partiellement. »
Dans un de ses live, il disait par exemple ne pas aimer le mot « dictature » pour décrire le style de gestion du gouvernement Legault, mais ajoutait que celui-ci prenait des « décisions très autoritaires et très peu démocratiques ». En août 2021, il soutenait que les autres partis étaient « en train de bâillonner » Claire Samson… qui venait pourtant de poser une dizaine de questions au nom du PCQ durant une commission parlementaire — à laquelle Éric Duhaime avait été empêché d’assister à cause des règles sanitaires en vigueur.
Nathalie Normandeau trouve son ancien coanimateur plutôt téméraire dans cette phase de sa vie politique où il courtise très clairement une clientèle en colère. « Ce ne sont pas tant ses idées qui sont dangereuses que les réactions qu’elles peuvent provoquer », croit l’ex-ministre. Mais Bernard Drainville et elle en conviennent : il ne faut pas sous-estimer Éric Duhaime. Il est rusé comme tout. Et il sait où il va.
Cet article a été publié dans le numéro de mai 2022 de L’actualité, sous le titre « Le trouble-fête ».