Le PQ et la constitution du Québec

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« Même si elle est peu ambitieuse au départ, elle affirmera notre droit à l’autodétermination explicitement »

L’auteur est avocat constitutionnaliste.


Je lis et admire les textes de Michel David depuis des décennies. J’aime toujours entendre son point de vue à la télé. Pour la première fois, l’une de ses chroniques cette semaine portant sur le PQ et la constitution du Québec m’a consterné.


Son point de départ est la nouvelle voulant que le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, planche avec son équipe sur un projet de constitution du Québec. Le ministre de la Justice aurait l’intention de soumettre ce projet à une instance de son parti ce printemps. Il ne s’agit pas bien sûr de la constitution du Québec souverain, mais de celle d’une province canadienne, ce qui serait parfaitement constitutionnel même si aucune province ne l’a encore fait. (La Colombie-Britannique a adopté une loi en ce sens, mais elle ne va pas assez loin pour être une référence utile.)


Il est tout à fait normal que les États fédérés aient leur propre constitution. Tous les États américains en ont une, de même que les cantons suisses. Il est anormal que les provinces canadiennes n’en aient pas. En fait, les provinces en ont une depuis 1867, mais elle n’est pas codifiée, ce qui signifie que ses éléments ne sont pas rassemblés dans un document unique et formel qui se situe au-dessus des autres lois provinciales. L’Assemblée nationale a indéniablement la compétence pour ce faire en vertu de la Constitution canadienne.


Il est permis de mettre en doute la pertinence de ce projet, son contenu, la démarche pour le réaliser et le moment choisi. Ce qui est irritant à mes yeux, c’est de citer trop longuement à cette fin, avec une déférence excessive, un ancien conseiller des premiers ministres Parizeau et Bouchard, comme l’a fait Michel David. C’est faire fi des efforts nobles et louables de Jacques-Yvan Morin, l’un des plus grands juristes de l’histoire du Québec, de convaincre chacun des chefs du Parti Québécois de 1985 jusqu’à son décès d’adopter une telle loi suprême du Québec. René Lévesque y avait songé, mais n’avait pas eu le temps de donner suite. Bernard Landry aurait eu l’intention de le faire s’il avait été élu en 2003.


Ce qui est clair, c’est que des conseillers non élus y étaient opposés. N’en déplaise à Michel David, ils avaient profondément tort. Ils étaient et sont encore des gardiens idéologiques de l’orthodoxie du PQ dont la rigidité intellectuelle est l’une des causes du déclin bien mérité de ce parti. J’ai demandé à l’un d’entre eux en 1995, alors que j’étais au Conseil exécutif, si l’indépendance ne devait pas servir à approfondir la démocratie québécoise, et il m’a répondu par un haussement d’épaules. Très peu pour moi. 


Depuis sa fondation, la souveraineté du peuple n’est pour le PQ que le moyen passager d’arriver à la souveraineté de l’État, autrement dit l’approche de la cage à homards. Pour moi, c’est le contraire. Le modèle de souveraineté du PQ donnerait l’État le plus centralisé de l’Occident, un vaste ministère de la Santé. Le PQ n’a jamais réfléchi sérieusement à ce que serait la République du Québec. Ce parti a toujours opté pour la stratégie du Grand Soir et du Chèque en blanc. C’est l’approche du tout-ou-rien et de la politique du pire : elle ne tient pas compte du fait que lorsqu’on n’avance pas, on recule, et qu’il vaut beaucoup mieux des petits pas assurés que des bonds en avant catastrophiques. Cette mentalité est nocive et dépassée. Elle n’est pas du tout adaptée à notre temps. Le Parti Québécois est un dinosaure.


Dans son second mandat, la CAQ pourrait avoir l’intelligence politique de faire adopter une constitution consensuelle et minimaliste en s’appuyant sur un juriste libéral et fédéraliste, Benoit Pelletier, pour qui ce projet tient à cœur au moins depuis son passage au gouvernement de Jean Charest, dont l’esprit stérile n’a bien sûr jamais daigné s’y intéresser.


Il faudra une démarche plus démocratique que pour une loi même majeure : une commission extraordinaire à la Bélanger-Campeau, qui devra faire une tournée des régions, mais pas nécessairement un référendum, encore moins une assemblée constituante qui devrait être réservée à l’après-souveraineté.


Cette constitution minimaliste pourra être étoffée par la suite jusqu’à supplanter la Constitution du Canada au Québec, même si ce dernier continue de faire partie du Canada. Des passerelles pourront être construites entre les deux constitutions, de manière à favoriser la nôtre chez nous.  À terme, la seule charte des droits qui devrait s’appliquer ici est la nôtre, et le Québec devrait abolir la monarchie par référendum même si le Canada désire s’accrocher aux scandales de la famille royale. Ce qui compte avant tout, c’est que le Québec aura pour la première fois une constitution choisie par le peuple québécois, ce qui sera un puissant facteur d’identité.  


Lors de ma présentation en commission parlementaire sur le projet de loi 96, j’ai affirmé que l’inscription unilatérale de la nation québécoise dans la Constitution canadienne était inconstitutionnelle. Je crois que nous étions deux constitutionnalistes invités sur une demi-douzaine à faire cette affirmation. Je suis le seul à avoir dit au ministre de la Justice qu’il se trompait de constitution. Je lui ai dit qu’il fallait plutôt inscrire la nation dans la constitution du Québec. Je lui ai affirmé que ce ne serait pas l’opération juridique la plus complexe, mais qu’il y aurait des choix politiques à faire. Il en a convenu.


La proposition du ministre à son parti suivra de peu l’adoption du projet de loi 96 et sa contestation immédiate devant les tribunaux. La constitution du Québec est la réponse imparable à cette contestation. Même si elle est peu ambitieuse au départ, elle affirmera notre droit à l’autodétermination explicitement, mieux que la loi 101 ou la Charte québécoise. C’est tout ce qu’il faut lui demander dans un premier temps, et c’est bien suffisant dans une perspective historique pour justifier son adoption. Dans ce domaine, le mieux est l’ennemi du bien commun.


Je suis un indépendantiste tourné vers l’avenir de notre peuple. Le Parti Québécois nous a donné ce qu’il avait de bon, et c’était considérable, mais il a perdu le fil de notre histoire. Je suis fermement persuadé que sa disparition est d’intérêt public et qu’elle aura bientôt lieu.


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(NDLR) André Binette a rédigé, en 1995, un projet de constitution, alors qu’il était conseiller constitutionnel au Conseil exécutif au gouvernement du Québec, dirigé par Jacques Parizeau. Il avait également été mandaté pour rédiger un projet de Traité économique avec le Canada dans l’éventualité d’un vote favorable à l’indépendance.


Il a récemment rendu publics ces deux documents qui ont fait l’objet d’une publication de l’aut’journal. Ils sont accompagnés d’une présentation sur le contexte de leur publication, de notes explicatives et de commentaires actuels.


Ces documents jettent un éclairage nouveau et approfondi sur l’état des préparations rigoureuses en vue de la réalisation de l’indépendance en 1995, mais ces documents et commentaires sont également une référence inestimable pour le débat qui va s’enclencher avec le dépôt du projet de constitution du ministre Jolin-Barrette.


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