Je m’intéresse au débat sur la laïcité de l’État, à la loi 21, au port du voile et à toutes questions qui s’y rattachent. À la suite de l’article de Mylène Crête publié le 18 juillet, « La catho-laïcité de l’État », j’en suis venue à la conclusion que je ne suis pas d’accord avec les revendications du Mouvement laïque québécois (MLQ), qui dénonce la protection accordée au crucifix dans les lieux publics par le gouvernement dans le cadre de la loi 21. On parle bien ici de l’objet accroché au mur et non pas de la petite croix portée au cou par une personne chrétienne.
De nos jours, on souhaite un État laïque et la liberté de religion pour tout le monde. Je crois cependant que le crucifix exposé dans plusieurs lieux du Québec appartient bel et bien au patrimoine et qu’il ne relève plus directement du fait religieux. Je fais les distinctions suivantes : le crucifix dont on parle ne représente pas, pour la personne qui le regarde, l’institution à laquelle il appartient ou qui le laisse en place, une affirmation de sa foi actuelle, mais bien un rappel de ce sur quoi ou comment notre société a été érigée par le passé. Par ailleurs, un foulard, un turban, une petite croix ou tout autre signe religieux visible porté de nos jours par une personne fait quant à lui référence à la foi présente de la personne en question (sauf exception, je présume).
Patrimoine religieux
Mon mari et mes enfants sont anticléricaux. L’été, nous passons une semaine de vacances dans un lieu historique appartenant à la Société Provancher d’histoire naturelle du Canada, qui, bien que fondée par des laïcs en 1919, est nommée en l’honneur d’un de nos plus éminents naturalistes, l’abbé Léon Provancher, prêtre, le premier botaniste québécois (1820-1892). Le frère Marie Victorin (un frère des Écoles chrétiennes du XXe siècle) a visité et habité ce lieu dans les années 1930. Les trois chalets de l’endroit exhibent un gros crucifix au-dessus de la porte de la cuisine, encore plus gros que ceux que j’ai toujours vus chez mes grands-parents, oncles et tantes, et même chez mes beaux-frères et belles-soeurs qui ne sont pas pratiquants ni même croyants. Personne dans ma famille ne se formalise de cet objet patrimonial accroché dans le chalet — qui est aussi loué par plusieurs autres familles au cours de la saison —, et pourtant, les membres de ma famille ratent rarement une occasion de ridiculiser la religion…
Sans les Clercs de Sainte-Croix, sans les Frères des Écoles chrétiennes, sans l’abbé Provancher et le frère Marie-Victorin, ni le Cercle des jeunes naturalistes, ni le Jardin botanique de Montréal, ni « notre » refuge de plantes et d’oiseaux n’auraient été fondés ou florissants. Cela fait partie de notre histoire.
Donc, de mon point de vue, le crucifix, symbole religieux chrétien exposé dans les hôpitaux, les classes de cours, etc. — et plus particulièrement adopté par les catholiques au Québec —, représente notre patrimoine et non pas notre foi, qui comme on le sait, est surtout un fait du passé qui a permis la cohésion des Canadiens français.
Mères fondatrices
Par extension, je mentionne qu’il m’est tout aussi impossible de renier les bienfaits apportés du XVIIe au XIXe siècle par nos mères fondatrices religieuses et oh ! combien bonnes que sont Marie de l’Incarnation, Catherine de Saint-Augustin, Marguerite Bourgeoys, Marguerite d’Youville, mère Gamelin, Marie-Rose Durocher et mère Cadron-Jetté (j’en oublie certainement) dans les domaines de l’éducation (générale et… musicale), de la santé et du travail social.
À force d’amalgamer les concepts, les faits, les idées et même les siècles — c’est beaucoup plus à partir du XXe siècle que les multiples dérives humaines de plusieurs religieux ont noirci l’image de la religion au Québec —, à force de rayer le patrimoine religieux ou de l’ignorer, on noie tout en surface et on provoque un nuage indistinct et bien flou de notre histoire et du projet fondateur de la Nouvelle-France (de Québec et de Ville-Marie).
Le crucifix accroché à certains murs au Québec peut nous rappeler ce projet fondateur, de même que l’effet positif et de cohésion que la religion a eu aux XVIIIe et XIXe siècles, tout en soulignant notre résilience après la guerre de la Conquête et le traité de Paris.