Le Barreau c. la langue officielle

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« L'ironie dans cette affaire, c'est que l'AANB, y compris son fameux article 133, n'existe pas en français ! »

Pour une question de mauvaise traduction, le Barreau du Québec et celui de Montréal ont demandé à la Cour supérieure de forcer l’Assemblée nationale à adopter le bilinguisme intégral en matière législative, comme à Ottawa. La Cour doit déclarer toutes les lois québécoises nulles et inopérantes, tout comme l’ensemble des règlements, affirment les deux ordres professionnels, qui soutiennent ne pas faire de politique. Or saper le statut de la langue officielle du Québec ne peut qu’avoir des conséquences politiques.


« Les barreaux font du droit, pas de la politique », clamait le communiqué de presse diffusé en avril par le Barreau du Québec pour annoncer la « demande introductive d’instance » auprès de la Cour supérieure. Si c’est si évident que l’offensive menée par les barreaux ne soulève aucun enjeu politique, pourquoi s’en défendent-ils avec autant d’énergie ?


On demande à la Cour de renforcer le bilinguisme institutionnel au Québec, qui, à ce chapitre, en fait bien davantage que toute autre province canadienne. Et on voudrait que ce ne soit pas politique ! Ce n’est pas parce que les barreaux se gargarisent d’arguments juridiques, qui ont leurs forces mais aussi leurs faiblesses, qu’ils se situent en dehors du monde réel et de la politique.


Depuis des années, les deux barreaux se plaignent que le nouveau Code de procédure civile (CPC) est mal traduit. Mais au-delà du nouveau CPC, qui semble donner du fil à retordre aux avocats anglophones, c’est tout le processus d’adoption des lois de l’Assemblée nationale qu’on remet en question.


En 1979, dans l’arrêt Blaikie, la Cour suprême invalidait la disposition de la loi 101 qui ne conférait qu’au texte de loi rédigé en français une valeur officielle, ce qui découlait du fait que le français était désigné comme la seule langue officielle du Québec. La Cour a signifié que non seulement l’Assemblée nationale devait imprimer et publier les lois dans les deux langues, comme le prévoit l’article 133 de l’Acte d’Amérique du Nord britannique (AANB) — la Loi constitutionnelle de 1867 —, mais qu’il existait « une exigence implicite » forçant l’adoption des lois dans les deux langues, les deux versions ayant force de loi.


Dans leur demande, les barreaux, qui s’appuient sur un avis juridique rédigé par Michel Bastarache, souhaitent que le français et l’anglais soient « utilisés simultanément durant tout le processus d’adoption des lois ».


Dans son avis, l’ancien juge de la Cour suprême note que Québec fait traduire ses lois « en vase clos » par des traducteurs qui n’ont pas de formation juridique. À Ottawa, les lois ne sont pas traduites, mais font l’objet d’une corédaction dont le produit est révisé par des jurilinguistes, ce qui assure qu’« aucune des versions n’est la traduction de l’autre ».


Certes, le gouvernement Charest puis le gouvernement Couillard auraient pu montrer un peu plus de bonne volonté afin d’assurer que les traductions des lois québécoises, à commencer par le CPC, soient de meilleure qualité. Est-ce à dire que l’arrêt Blaikie impose à l’Assemblée nationale, qui débat des projets de loi publics exclusivement en français, un bilinguisme intégral comme à Ottawa ? La question est posée.


Or, il existe une différence fondamentale entre l’État canadien et celui du Québec. Le Canada a deux langues officielles, le Québec n’en a qu’une seule, de surcroît une langue minoritaire dans la fédération et à l’échelle nord-américaine. Il faut bien que ça signifie quelque chose.


Plusieurs avocats dénoncent l’initiative du Barreau du Québec qui, font-ils observer, utilise des fonds fédéraux destinés à la défense des minorités linguistiques pour « promouvoir la bilinguisation institutionnelle » du Québec et use des tribunaux « pour faire de l’activisme politique ». Ils ont réuni les 100 signatures nécessaires pour la tenue d’une assemblée générale extraordinaire afin de voter une résolution appelant au désistement du Barreau. Cette assemblée a lieu jeudi à Montréal, sans que le vote à distance soit possible, ce qui confère un avantage aux avocats de la région métropolitaine.


> La suite sur Le Devoir.



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