BÂILLON À QUÉBEC

La tentation du mammouth

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Une pratique qui relève de l’outrage à l’Assemblée nationale

La réforme parlementaire de 2009 à l’Assemblée nationale a eu pour effet de diminuer l’utilisation du bâillon par l’exécutif. Celui que le gouvernement Couillard a choisi de faire avec le projet de loi «mammouth» 28 pourrait constituer un précédent nocif, car il comporte une tentative de contourner cette saine réforme adoptée à l’unanimité.​

Il faut relire les déclarations outrées de décembre 2013 de Jean-Marc Fournier et de Pierre Moreau. Respectivement chef de l’opposition et leader parlementaire, ils s’étaient indignés du bâillon que l’éphémère gouvernement Marois avait imposé pour le projet de loi sur les mines : « Quand on fait un bâillon contre les Québécois, ce n’est pas une bonne nouvelle, puis c’est normal qu’on soit fâchés […]. Ce n’est pas quelque chose qui est normal, même si le gouvernement pense que c’est la seule façon de faire : […] on va leur passer ça dans la gorge ! », s’égosillait M. Fournier. Pour sa part, M. Moreau pourfendait la mesure, car elle conduisait les députés à « travailler tout croche » en exigeant plus de temps pour étudier ce projet de loi, soulignant qu’il contenait « 127 articles ».

Or, le projet de loi 28 (dont le titre est « loi concernant principalement la mise en oeuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 4 juin 2014 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2015-2016 ») en comporte 337 ! Du reste, ce même projet de loi modifie quelque 60 lois et comprend plusieurs « principes » très différents.

C’est en cela qu’il peut être qualifié de « mammouth ». Sous couvert de « retour à l’équilibre budgétaire », le gouvernement a concocté une sorte de poutine législative. Avec celui-ci, il abolit les CLD et les CRE, instaure la modulation des tarifs de garderie, réduit la rémunération des pharmaciens. Trois mesures qui, concédons-le, ont peut-être rapport avec l’équilibre des finances, mais dont il n’était pas question dans le budget de juin 2014.
D’autres éléments du projet de loi 28 semblent encore plus éloignés de l’intitulé : il dispense désormais les minières de rendre publics le volume et la valeur du minerai extrait ; il crée Capital Mines Hydrocarbures ; il modifie les règles de gouvernance applicables à Fondaction ; il oblige le ministre des Finances à produire un rapport préélectoral sur la situation financière du gouvernement et confie « au vérificateur général la préparation d’un rapport portant sur la plausibilité des prévisions et hypothèses » du gouvernement. Concernant les deux dernières mesures, rappelons que les prochaines élections auront lieu en 2018. Quel rapport avec l’équilibre budgétaire en 2015-2016 ? En passant le projet de loi 28 sous bâillon, on contourne le règlement qui veut, à son article 182, qu’on ne règle ainsi « qu’une seule affaire ».

Le projet de loi 20 sur l’accès aux services de santé (qui fera probablement l’objet du prochain bâillon, comme le projet de loi 10 avant lui et comme le projet de loi 13 bientôt) comporte aussi un aspect « mammouth » : il inclut la redéfinition du programme de procréation assistée. Le gouvernement Couillard s’est entiché de cette méthode. Comme s’il avait décidé d’importer au salon bleu la pratique des projets de loi fourre-tout adoptés à toute vapeur, courante dans l’Ottawa des conservateurs, pratique qui relève de l’outrage au Parlement et à l’esprit du parlementarisme.

Face à cette tentative, on se serait attendu à plus de vigilance de la part du président Jacques Chagnon, qui aurait dû taper sur les doigts du gouvernement et souligner la contradiction dans le règlement entre « une seule affaire » et « plus d’un seul principe ». L’institution parlementaire — le législatif, censé être séparé de l’exécutif — ne progresse que lorsqu’elle a sur son trône un président à l’esprit indépendant.


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