La pensée irréconciliable de Pierre Dubuc

Débats Dubuc-Lisée 2011

Attention: billet pour les mordus seulement:

Pierre Dubuc, du SPQ libre, qui m’accusait dans un récent billet d’avancer des propositions qui conduiraient à l’assimilation du français, s’étonne que je réagisse sèchement à ses absurdes accusations.

Il tente de se justifier dans un nouveau texte, une lettre ouverte, où il réussit (à me poser) des questions auxquelles j’ai déjà répondues, mais, surtout, où il arrive à affirmer une chose et son contraire.

Il y a “une divergence fondamentale entre nos deux approches” écrit-il:

D’un côté, il y a une politique linguistique qui découle de la Charte de la langue française et de ses deux principes fondamentaux : le français, langue officielle et le français, langue commune. De l’autre, il y a une politique linguistique qui origine de l’arrêt Ford de 1988 de la Cour suprême du Canada qui impose le principe de la « nette prédominance du français », en prenant pour référence la Charte canadienne des droits, la Charte de Trudeau.

Ces deux approches, découlant de deux chartes aux principes antagonistes sur la question linguistique – il est bien connu que Trudeau a fait adopter sa charte pour invalider des dispositions de la Charte de la langue française – ne sont pas interchangeables. Il faut donc choisir sa Charte.

Vous le suivez ? Bon. Maintenant, lisez le paragraphe suivant. Il n’y a rien entre ce qui précède et ce qui suit.

Une politique linguistique basée sur le principe du « français, langue commune » implique, bien entendu, la prédominance du français et des exceptions pour l’anglais. C’est l’esprit et la lettre de la Loi 101.

Vous avez compris ? D’une part, il y a la trudeauiste “prédominance du français” et d’autre part, il y a la lévesquiste “prédominance du français”. La première est la mienne, assimilatrice. La seconde est la sienne, admirable. D’où, évidemment, le schisme ! C’est, écrit Dubuc, “irréconciliable” !

Il y a peut-être un problème dans l’ordre des termes. Il faut dire d’abord “français langue commune” et ensuite seulement, pour définir l’application de la politique, utiliser l’expression “prédominance du français”. On passerait ainsi le test de pureté linguistique-à-la-Dubuc. C’est pourtant très exactement ce que j’écris dans le billet que Dubuc critique:

Car si le français doit être la langue officielle et la langue commune au Québec, elle doit clairement prédominer. C’est un mot fort, prédominer. Cependant il indique que le français n’est pas seul. Il indique aussi que notre objectif n’est pas d’oblitérer les autres langues.

Mais voici le clou de l’argumentaire. Je reprends la lettre de Dubuc au point où on l’a laissée, sans rien enlever:


Par contre, une politique linguistique fondée sur le principe de la « nette prédominance du français » n’implique pas que le français soit la langue commune. Au contraire, il sous-entend la cohabitation de deux langues, le français et l’anglais.

Pour la première phrase, on croirait lire du Robert Bourassa. Dubuc affirme une chose qui n’a pas de sens logique et la prend pour vrai. Or l’exacte inverse est vraie. Si on fait du français la langue officielle et commune elle devient, par voie de conséquence, nettement prédominante dans un lieu où existent des minorités linguistiques. C’est seulement si on ne veut pas en faire la langue officielle et commune qu’elle perdra son caractère prédominant. Et c’est parce que sa prédominance est en retrait depuis 20 ans qu’il y a, à mon avis, urgence à légiférer pour corriger le tir.

Sa deuxième phrase nous entraine au coeur de la contradiction de la pensée-Dubuc. La nette prédominance, écrit-il (parlant surement de la mienne, et pas de la sienne), “sous-entend la cohabitation de deux langues”.

Soit Pierre Dubuc ne sait pas que deux langues cohabitent, depuis deux siècles et demi, au Québec. Et que toute la question est de savoir laquelle sera officielle, commune et prédominante. Soit il souhaite que deux langues cessent de coexister dans le futur. Donc que l’anglais finisse par disparaître.

Je précise que René Lévesque avait mis sa démission sur la table pour protéger l’existence du système scolaire anglophone et que Camille Laurin affirmait son respect pour la minorité historique anglophone. Il la déclarait “irréductible”. Le fait est que j’ai travaillé avec Camille de 1994 à 1999, alors qu’il défendait le principe de “nette prédominance du français” dans l’affichage, contre ceux qui voulaient revenir à l’unilinguisme. Bref, pour les deux fondateurs de la politique linguistique péquiste, deux langues allaient durablement cohabiter au Québec. Mais ils allaient renverser le rapport de force et faire de la faible, la forte.

Est-ce le cas de Pierre Dubuc? Je suis bien en peine de le préciser, car il prétend être favorable au maintien d’un système scolaire intégral, de la garderie à l’université, pour la communauté anglophone (il me reproche de vouloir abolir les Cégep anglophones et m’accuse de ne pas respecter l’identité des institutions anglophones). Donc, il est favorable à la cohabitation de deux systèmes d’éducation, perpétuant l’existence de deux groupes linguistiques. Il écrit même espérer que très peu d’anglos quitteront le Québec après la souveraineté. Bien. Mais attention, il est interdit de “sous-entendre là la cohabitation de deux langues”. Voilà deux positions qui, cohabitant semble-t-il dans un même cerveau, paraissent irréconciliables.

J’espère que ça se soigne.

Squared

Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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