Je suis presque tombé de ma chaise quand j'ai entendu Ghislain Picard - chef régional de l'Assemblée des Premières Nations pour le Québec et le Labrador - lancer à l'ouverture du Forum socioéconomique de Mashteuiatsh : «Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, les cultures, les valeurs et les philosophies de nos peuples étaient et sont restées fondamentalement différentes de tout ce qui caractérise la société dominante québécoise. Soyons clairs, et disons les vraies affaires : je ne suis pas canadien, je ne suis pas québécois, je suis innu...»
Quel premier ministre du Québec oserait faire preuve d'autant d'arrogance ? Même un chef souverainiste, rejetant «la société dominante canadienne», comme dit encore Picard, ménagerait la susceptibilité des Amérindiens. Quant à un chef fédéraliste, il se sent toujours obligé de dire «Québécois et Canadiens». Les plus audacieux diront «Québécois d'abord», mais jamais «Québécois» tout court, niant, comme le chef Picard, toute autre appartenance.
Évidemment, personne n'a osé protester. Les Canadiens anglais, les grands médias anglophones, même les élites du Parti libéral, prompts à relever le moindre écart de langage des Québécois, laissent passer n'importe quoi des chefs autochtones... Pourquoi ?
Mépris
Il y a d'abord un profond mépris du Québec dans les propos de Ghislain Picard sur son appartenance identitaire. Les expressions «quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse» sont directement empruntées du langage de Robert Bourassa. Le chef Picard ne pouvait l'ignorer à moins qu'il n'ait lu aucun journal québécois depuis deux semaines... Ce qui est encore possible !
Ces mots constituaient l'épitaphe gravée sur le cercueil des Accords du lac Meech. Et que s'est-il passé le 22 juin 1990 ? Le Canada anglais s'est servi d'un autochtone - Elijah Harper du Manitoba - pour rejeter la reconnaissance du caractère distinct de la société québécoise. Puis, dans les deux années qui ont suivi, ce sont encore les peuples autochtones - vous rappelez-vous d'Ovide Mercredi ? - qui ont saboté la tentative de sauvetage des accords constitutionnels du lac Meech.
René Lévesque n'était pas fou. Il avait deviné que le Québec devrait satisfaire les revendications des autochtones avant d'entreprendre des négociations sérieuses avec le reste du Canada. «Le Québec n'accédera pas à l'indépendance politique tant que la question autochtone n'aura pas été réglée», avait-il confié à un intime. La question autochtone est devenue, avec le temps, un alibi pour bloquer les revendications du Québec. Ou les diluer.
D'abord, il faudrait rappeler que le concept de «nation» autochtone est purement inventé. La Constitution de Pierre Trudeau parle de «peuples autochtones», précisant qu'il s'agit des Indiens, Inuits et Métis du Canada. Ce sont les différentes communautés autochtones qui se sont peu à peu baptisées «nations» et qui ont fait référence à l'Assemblée des «Premières Nations». Le mot a fini par s'imposer dans le langage courant et même dans les traditions politiques.
Pourfendeurs
Il est curieux que les pourfendeurs habituels des «nationalistes» québécois, les Stéphane Dion, Bob Rae et maintenant Justin Trudeau, ne s'en soient jamais pris aux prétentions des communautés autochtones. D'autant plus que leurs chefs joignent maintenant l'insulte à leurs discours prétentieux puisqu'ils osent affirmer : «Je ne suis pas canadien !»
Je ne sais si cela remonte à la pendaison de Louis Riel et à la répression des Métis des Prairies en 1885 par les troupes orangistes de l'Ontario, mais les Canadiens anglais n'ont jamais eu peur des autochtones. Ils ne se sont pas beaucoup énervés devant la rébellion des Mohawks en 1990 et on ne s'est guère ému, dans les salles éditoriales de Toronto, lorsque l'armée a envahi le territoire de Kanesatake. Alors, s'ils veulent se rebaptiser «nations», grand bien leur fasse !
Audace
C'est peut-être l'audace qui manque à nos chefs politiques. Avant Pierre Trudeau, les chefs politiques fédéraux, le conservateur Robert Stanfield en particulier, ne craignaient pas de parler de «deux nations» au Canada. Ici on parle d'Assemblée nationale, d'État, de capitale nationale.
Pourquoi les premiers ministres du Québec, à commencer par Jean Charest, ne font-ils pas référence à la «nation» québécoise dans leurs discours et dans leurs textes officiels ? Peut-être que la notion de nation québécoise finirait par s'imposer... Comme dans le cas des Innus de Ghislain Picard.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé