Ghislain Picard
_ Chef régional, Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador
- Deuxième texte d'une série de trois
Je ne suis pas assez naïf pour penser que notre relation générale entre les Québécois, les Québécoises et les Premières Nations est sous le signe de l'harmonie universelle. Je suis conscient des tensions et des litiges qui existent concernant plusieurs questions.
À titre d'exemple, je ne citerai que les droits territoriaux, le maintien de l'ordre et la sécurité publique sur nos territoires, la planification, l'aménagement et l'exploitation du territoire, la décentralisation régionale, les perspectives de souveraineté, l'intégrité du territoire, le statut de réserve indienne, nos droits de pratique d'activités traditionnelles, notre droit à l'autonomie de gouvernance et notre contexte fiscal.
Ce sont là des sujets importants d'incompréhension et de désinformation qui polluent périodiquement nos relations, de même que les ondes et les lignes de plusieurs médias.
Au cours des dernières années, nous avons honnêtement tenté de trouver des solutions à ces objets de litige en mettant en place un conseil conjoint des élus du Québec et des Premières Nations. Cette initiative n'a pas donné les résultats escomptés, et nous en sommes probablement tous en partie responsables. À notre avis, les conjectures politiques québécoises et le manque d'intensité de la volonté politique conséquente y sont pour beaucoup.
Pour avoir vu neiger depuis bien des lunes, je suis personnellement convaincu que, pour faire évoluer positivement notre relation et pour changer la situation, une révolution tranquille des mentalités est nécessaire. Cela exige une bonne dose de courage politique, une préoccupation de justice historique envers nos peuples, un minimum d'imagination, le respect de nos priorités et une approche consensuelle et surtout pas paternaliste. Cela est vrai pour tout parti ou personne politique que ce soit.
Développer l'autochtonisme
L'existence de nos incompréhensions mutuelles ne veut cependant pas dire que nous ne pouvons pas discuter et nous entendre sur le terrain concernant des partenariats concrets. Le juge Jean-Charles Coutu conçoit le mot «partenariat» comme impliquant l'abandon du pouvoir que l'un a sur l'autre, et c'est comme ça qu'il faut le voir.
Il existe des exemples positifs de relations réussies. Les mariages mixtes entre les membres de nos peuples sont nombreux, plusieurs partenariats économiques sont des succès, le partage de services en éducation et en santé sont courants, des approches pénales différentes et positives sont tentées par plusieurs juges, les centres d'amitié autochtones sont des points de rencontre et d'événements constructifs entre nous et plusieurs festivals populaires nous réunissent.
Si l'on veut réduire nos divergences et renforcer nos convergences concrètement dans les dossiers que j'ai nommés antérieurement, cela veut dire que le Québec et le Canada doivent développer ce que l'humaniste et géographe Louis-Edmond Hamelin a nommé l'«autochtonisme». Ce principe consiste simplement à ce que le Québec et le Canada soient ouverts à nous, à notre différence et qu'ils consentent à convenir avec nous des règles du jeu.
Notre avenir nous appartient, ce ne sont pas les gérants d'estrades qui vont décider à notre place. Nous avons probablement de notre côté à faire notre examen de conscience et à remettre en question les impacts populaires négatifs au Québec et au Canada de nos discours les plus radicaux.
Le partenariat entre nos peuples consiste bien sûr à renforcer notre amitié dans le respect mutuel, mais il faut éviter la mièvrerie. Il nous faut communément assumer les aspects problématiques de nos relations issues du contexte historique et politique autochtone-québécois. Accepter la charge problématique de nos enjeux communs, c'est faire preuve de maturité, c'est faire avancer une relation qui stagne. Des amis peuvent atteindre une qualité supérieure de relations s'ils savent reconnaître et prendre en compte leurs défauts mutuels.
Nous avons de nombreux devoirs à faire dans notre propre cour. Les différences de culture, de langue et de développement sont importantes entre les Premières Nations. Même si notre solidarité comme peuples autochtones est solide, notre unité politique est fragile et nos approches du développement sont encore peu concertées. Le Forum socioéconomique des Premières Nations, qui se tiendra du 25 au 27 octobre 2006 à Mashteuiatsh, est donc le moment pour nous d'arrimer nos moyens d'action et de mettre en commun nos ressources.
Démystifier des préjugés tenaces
Nos peuples sont prêts à envisager l'autonomie gouvernementale pour remplacer la tutelle actuelle de la Loi sur les Indiens. Un statut constitutionnel que nous jugerions valable pourrait remplacer le statut actuel des réserves indiennes qui nous apportent autant d'inconvénients que d'avantages.
Nous sommes disposés à négocier un encadrement strict des avantages fiscaux actuels ou même à y mettre fin, dans la mesure où nous aurions accès à un régime fiscal autonome et à des revenus compensatoires de nos terres traditionnelles.
Nous avons tout autant besoin d'autonomie en matière d'éducation que de redressement dans la façon de gérer certaines de nos institutions en vue d'optimiser la qualité de l'instruction et de combattre le décrochage scolaire. Nous avons besoin de mettre en place des mesures d'éducation populaire pour vaincre l'obésité et le diabète endémique de nos communautés. Nous avons besoin de formation et d'économie pour combattre le désoeuvrement.
Nous avons encore besoin pour un certain temps d'exercices collectifs et individuels de guérison pour éliminer les séquelles négatives des pensionnats indiens, les abus de drogues et d'alcool et les violences qui s'ensuivent. Nous avons besoin d'une justice efficace qui nous ressemble et qui protège nos sociétés. Nous sommes solidaires et nous voulons être actifs concernant les revendications des femmes autochtones du Québec de la même façon que nous appuyons la lutte du mouvement mondial des femmes contre la pauvreté et la violence.
Certains nous reprochent de coûter cher à l'État. Cela doit être relativisé considérant que nous devons assumer, sans revenus de taxation et dans un marché immobilier inexistant, les responsabilités de l'habitation, des terres, des immeubles, de l'éducation, de la santé, des services sociaux, du développement social, du développement économique, de la culture, de la langue, de l'environnement, des activités traditionnelles, etc.
Cependant, cette affirmation sera d'autant plus vraie que nos communautés continueront d'être pauvres et sous-développées et qu'elles bénéficieront obligatoirement de paiements de transferts gouvernementaux. Seul notre véritable développement social et économique changera cet état de fait.
Un immense rattrapage se traduisant en investissement est aussi nécessaire pour nous doter de logements convenables et suffisants, pour obtenir des infrastructures décentes et pour combler nos besoins de formation de tous ordres.
Un bel exemple d'inertie est celui de la stratégie de formation professionnelle que nous avons élaborée et à laquelle le gouvernement canadien ne donne pas suite depuis près de 10 ans. Notre Conseil en éducation des Premières Nations propose des gestes concrets qui ont été concertés chez nous, mais qui sont ignorés par les autorités gouvernementales.
Les constats et les recommandations sont faits dans la plupart des dossiers depuis longtemps, il s'agit maintenant essentiellement de passer de la parole aux actes.
Vers le Forum socioéconomique des Premières Nations (2)
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Ghislain Picard : Chef régional de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador
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